La maladie de Gaucher, fréquente chez les Ashkénazes, protège contre la tuberculose
L'Université de Cambridge a découvert que des lipides cellulaires spécifiques qui s'accumulent dans la maladie génétique attaquent et tuent la bactérie mortelle de la tuberculose

Des scientifiques de l’Université de Cambridge, en Angleterre, ont découvert que les rares mutations génétiques à l’origine de la maladie de Gaucher protégeaient contre la tuberculose, la principale maladie infectieuse mortelle au niveau international (à l’exception de la pandémie de COVID).
La maladie de Gaucher, un trouble entraînant un déficit de l’activité d’une enzyme lysosomale, est beaucoup plus fréquente chez les Juifs que dans le reste de la population mondiale. Selon une étude publiée par les National Institutes of Health, si elle touche 1 personne sur 50 000 à 100 000 dans la population générale, elle touche, chez les individus d’origine ashkénaze, 1 personne sur 500 à 1 000.
Les personnes atteintes de la maladie de Gaucher sont privées d’une enzyme qui décompose les lipides. Ces substances grasses commencent à s’accumuler dans certains organes tels que la rate et le foie. La maladie est incurable, mais elle ne raccourcit généralement pas la durée de vie moyenne et ses symptômes peuvent être gérés.
La Pr. Lalita Ramakrishnan et son groupe à Cambridge ont découvert qu’une personne atteinte de la maladie de Gaucher était moins susceptible de contracter la tuberculose. Cette découverte a été publiée au début de l’année dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America (PNAS).
« Nous avons fait cette découverte en travaillant avec le poisson-zèbre dans notre laboratoire. Nous avons étudié la tuberculose à l’aide de ces poissons parce que leur système immunitaire est similaire à celui des humains. De plus, il est également possible de manipuler leurs gènes », a expliqué Ramakrishnan au Times of Israel.
Ramakrishnan est mondialement connue pour ses recherches sur la tuberculose. Elle est la sœur de Venkatraman Ramakrishnan, qui a remporté le prix Nobel de chimie 2009 avec Thomas A. Steitz et la scientifique israélienne Ada Yonath pour leurs recherches sur les ribosomes.
Pour Ramakrishnan, cette quête n’est pas seulement académique. Elle a personnellement vu des personnes succomber à la tuberculose, qui se propage par l’air et qui affecte généralement les poumons, mais qui peut aussi se propager à d’autres parties du corps. Lorsque Ramakrishnan était enfant, sa mère avait été trois fois atteinte de tuberculose spinale. Plus tard, lorsqu’elle était étudiante en médecine dans un hôpital de Baroda, en Inde, elle se souvient qu’elle avait dû vérifier que chaque patient n’était pas atteint de cette maladie endémique en le plaçant derrière un fluoroscope.

« Nous réalisons nos expériences en utilisant un organisme appelé Mycobacterium marinum. Il s’agit d’un pathogène naturel chez les animaux à sang-froid, notamment les poissons, et il provoque chez eux une maladie semblable à la tuberculose. La pathologie ressemble à la tuberculose chez l’homme », a indiqué Ramakrishnan.
Ramakrishnan précise également que si Mycobacterium marinum peut provoquer une infection systémique chez les animaux à sang-froid, il ne peut généralement atteindre que l’épiderme chez l’homme.
« Par conséquent, il peut être utilisé dans des conditions de laboratoire standards et ne nécessite pas de mesures de confinement respiratoire », dit-elle.
Ramakrishnan et son équipe ont procédé à des mutations génétiques sur des enzymes présentes dans les lysosomes des cellules du poisson-zèbre. Les lysosomes décomposent les protéines et les graisses indésirables. En cas de trouble lysosomal et de réduction de la production des enzymes, il y a accumulation de matières indésirables dans la cellule.
Les scientifiques ont découvert que les troubles lysosomaux rendaient les globules blancs, appelés « macrophages », gonflés et léthargiques. Incapables de se déplacer rapidement, ils ne pouvaient pas faire correctement leur travail d’encerclement et de destruction des bactéries envahissantes de type tuberculose. Ce qui a été une mauvaise nouvelle pour le poisson-zèbre.

« Nous avons alors décidé de nous pencher sur la maladie de Gaucher. Il s’agit d’un trouble lysosomal courant et le substrat accumulé dans ce cas n’est pas une protéine, mais plutôt un lipide », note Ramakrishnan.
« Nous étions sûrs que les animaux seraient sensibles à la bactérie, car il s’agissait du même mécanisme. Nous avons créé des poissons mutants Gaucher. Nous avons constaté que les macrophages étaient stockés, et que leurs lysosomes étaient emballés. Ils ressemblent aux macrophages humains Gaucher et on a pu voir qu’ils ne bougeaient pas beaucoup. Nous nous sommes donc dit : ‘D’accord, faisons l’expérience pour voir s’ils sont sensibles à la tuberculose' », a-t-elle expliqué.
À la surprise générale, les poissons Gaucher se sont montrés résistants à la bactérie Mycobacterium tuberculosis (la tuberculose) une fois qu’elle a été introduite.
« Mon étudiante, Jingwen Fan, a refait l’expérience encore et encore, mais ils résistaient ! Et ce qui est amusant, c’est que grâce à notre écran, il nous a été beaucoup plus facile de trouver des mutants sensibles que des mutants résistants. C’est donc le Saint-Graal », s’est exclamé Ramakrishnan.
Les poissons Gaucher sont résistants aux bactéries en raison de ce qui se passe avec les substrats qui s’accumulent dans les macrophages dans la maladie de Gaucher. L’un d’entre eux est le glucosylcéramide, un lipide neutre. Il se transforme en glucosylsphingosine, un lipide concentré.
« C’est très similaire aux composés d’ammonium quaternaire. Ce sont les éléments que l’on trouve dans les désinfectants et dans les liquides stérilisants. Nous nous sommes rendus compte que c’était probablement la raison pour laquelle les bactéries mouraient. Nous avons donc effectué des tests et montré qu’in vitro, la glucosylsphingosine tuait les microbes. Elle tue également la tuberculose humaine et d’autres bactéries pathogènes. Elle s’insère simplement dans la membrane cellulaire de la bactérie et la désintègre rapidement », a expliqué Ramakrishnan.

Après avoir mené des expériences avec l’allèle N370S (la mutation génétique liée à la maladie de Gaucher la plus courante chez les Juifs ashkénazes), Ramakrishnan et son groupe ont été prêts à soumettre leur étude pour publication.
L’apparition de la tuberculose chez l’homme remonte à 9 000 ans en arrière, à Atlit Yam, une ville qui se trouve aujourd’hui sous la mer Méditerranée, au large de la côte israélienne. Ramakrishnan suppose que la mutation génétique Gaucher a probablement protégé une grande partie des Juifs qui, historiquement, ont souvent été contraints de vivre dans des conditions de promiscuité propices au développement de la tuberculose.
La découverte de l’équipe de Ramakrishnan pourrait déboucher sur une nouvelle approche du traitement de la tuberculose. C’est d’autant plus important qu’un demi-million de personnes sont infectées chaque année dans le monde [l’Afrique du Sud est l’un des pays où le nombre de cas de tuberculose est le plus élevé] par une tuberculose résistante aux médicaments.
« Personne ne souhaite être atteint de la maladie de Gaucher, mais, ironiquement, cette mauvaise pathologie nous a aidés à comprendre une autre maladie ancienne. Il est tout à fait possible que cette recherche permette de développer de nouvelles thérapies contre la tuberculose, qui touche 10,6 millions de personnes et en tue 1,5 chaque année », a déclaré Ramakrishnan.