La mère d’un homme tué par erreur le 7 octobre dénonce une enquête dénuée d’empathie
Les soldats israéliens ont tiré 400 balles sur Niv Aivas, qu'ils avaient pris pour un terroriste. Après un entretien avec les autorités, ses parents ont reçu une lettre lui disant que l'enquête était close

Niv Aivas, l’un des nombreux civils qui ont tenu, dès les premières heures, à intégrer la réserve de Tsahal pour lutter contre l’attaque du Hamas dans le sud d’Israël, le 7 octobre 2023, a été tué le 8 octobre. Les forces de l’ordre israéliennes avaient pris son véhicule pour celui d’un terroriste. Ils l’ont criblé de 400 balles.
Depuis ce jour, les parents d’Aivas n’ont eu de cesse de demander des explications. Ils ont même demandé à la Cour Suprême d’enjoindre à l’armée d’élever leur fils à la dignité de soldat mort au combat, en lieu et place de « victime du terrorisme », son statut actuel.
Le 30 janvier dernier, c’est avec une profonde consternation qu’ils ont reçu une lettre des autorités adressée à leur fils mort, l’informant que le Service des enquêtes internes de la police – chargé d’enquêter sur les soupçons d’erreur policière – avait classé sans suite sa plainte concernant « l’incident du 8 octobre 2023 » et conclu qu’il n’y avait aucun « élément de preuve raisonnable de nature à étayer une possible erreur criminelle », ont-ils témoigné devant les caméras de la chaine d’informations N12, lors d’un reportage diffusé jeudi.
Selon les termes du courrier reçu, le défunt a « le droit de faire appel de la décision auprès de la division d’appel des services du procureur de l’État » par retour de courrier ou via leur site Internet.
Keren Aivas, la mère du défunt, a déclaré à la chaîne N12 qu’elle avait failli s’évanouir en parcourant cette lettre.
« Je ne comprends pas », dit-elle, en accusant la police d’avoir tout fait pour se couvrir lors de cette enquête. « Ils ne sont pas au courant qu’il est mort ? Ils ne sont pas au courant que cet incident a fait un mort, et qu’ils en sont responsables ? »
♦️יב נורה בשוגג ב-8/10, ההודעה על סגירת התיק התקבלה בדואר: "חוסר אנושיות"
לוחם המילואים ניב איוס יצא מביתו יום אחרי הטבח כדי להצטרף ליחידתו, ונורה למוות בשוגג על ידי כוחות הביטחון בעוטף כי נחשד כמחבל. למשפחתו הובטחה פגישה עם מח"ש, אך עוד קודם קיבלה בדואר הודעה על סגירת התיק,… pic.twitter.com/I0i595b7BM— Asslan Khalil (@KhalilAsslan) February 6, 2025
Ajoutant l’insulte à l’injure, la lettre est arrivée peu de temps après que Keren et son mari Benny ont eu ce qu’ils ont décrit comme un entretien constructif avec le Service des enquêtes internes de la police au sujet de l’enquête sur la mort de Niv.
La lettre est pourtant datée du 30 décembre dernier, preuve que l’enquête était déjà close au moment de cet entretien qui leur avait donné l’espoir que l’enquête soit menée sérieusement.
Le Service des enquêtes internes de la police a présenté ses excuses pour cette lettre et s’est engagé à ce que cette erreur fasse l’objet d’une enquête formelle. Cela ne l’a pas empêché de confirmer le classement sans suites de l’affaire et d’assurer avoir expliqué sa décision à la famille de la victime, fondée sur l’impossibilité d’identifier l’auteur des premiers coups de feu sur Niv.
Le Service des enquêtes internes de la police s’est dit disposé à mettre à la disposition de la famille les documents d’enquête et de prendre en compte tout nouvel élément qui pourrait être mis à jour.
Niv Aivas, 25 ans, était réserviste de combat avec le grade de sergent-major au sein du bataillon mixte Caracal. C’est d’ailleurs là qu’il avait rencontré sa femme Lior, elle aussi combattante. Lior était enceinte lorsque son mari est mort : elle a, depuis, donné naissance à un petit garçon.
Selon la chaîne N12, Niv Aivas n’a pas été immédiatement appelé par l’armée alors que d’autres réservistes, à commencer par sa femme, ont été mobilisés très rapidement après l’intrusion de milliers de terroristes dirigés par le Hamas dans le sud d’Israël, le 7 octobre 2023, venus tuer 1 200 personnes et faire 251 otages, prélude de la guerre à Gaza.
Les forces de sécurité et le gouvernement ayant été pris de court, il s’est écoulé quelques jours avant que tous les terroristes ne soient arrêtés ou tués.
Le 8 octobre 2023, sans nouvelles de l’armée, Aivas a décidé qu’il ne pouvait plus rester sans rien faire. Il est parti de chez lui, à Nitzan, petite communauté à mi-chemin entre Ashdod et Ashkelon, pour se rendre chez ses parents, à Jérusalem, et récupérer ses équipements militaires.
Au volant d’une Mazda bleue empruntée à un proche, Aivas roulait en direction du nord, sur la route 4, lorsque les forces de sécurité ont reçu une alerte disant que des terroristes se dirigeaient dans cette direction, sur cette route, au volant d’une Audi bleue volée, pour attaquer d’autres cibles dans le centre d’Israël.

Non loin du carrefour d’Emunim, dans les environs d’Ashdod, Aivas a aperçu des hommes armés masqués qu’il a pris pour des terroristes et a prestement fait demi-tour. En fait, il s’agissait de membres des forces de sécurité israéliennes qui l’ont, à leur tour, pris pour quelqu’un d’autre et ouvert le feu sur ce qui était pour eux un véhicule suspect sur le point de fuir. Aivas a été tué par ces tirs.
L’un des auteurs des tirs est Roi Yifrach, qui a passé 11 mois en prison pour s’être fait passer pour un soldat. Yifrach a, sur le plateau de l’émission d’investigation Uvda, sur la chaîne N12, avoué avoir pris part à la fusillade qui a tué Aivas.
Keren Aivas a déclaré à la chaîne N12 que la police avait singulièrement manqué d’empathie au cours de l’enquête sur la mort de son fils.
À peine une heure après l’incident, « ils m’ont demandé où je voulais que soit entreposée la voiture », a-t-elle expliqué. « Qu’est-ce que cela pouvait bien me faire ? Ils ne l’ont même pas nettoyée. Le téléphone de mon fils était ouvert sur le siège conducteur, criblé de balles, indiquant un dernier appel à un numéro d’urgence. »
Lors d’une réunion avec le chef adjoint du Service des enquêtes internes de la police, Ronen Yitzhak, le mois dernier – que les parents d’Aivas disent avoir attendue plus d’un an – l’officier leur a indiqué que leur fils s’était retrouvé sans le vouloir à l’intérieur d’une « zone de meurtre », a exposé la chaîne N12.
« Lorsque la fusillade a commencé, c’était la confusion la plus totale ; quand ils ont crié ‘Cessez le feu’, il était déjà trop tard », a-t-il déclaré, ajoutant qu’il était impossible de déterminer qui avait tiré le premier coup de feu.
הערב במהדורה: תחקיר מותו של ניב איוס: כשניב שמע על הטבח והמלחמה שפרצה ב7 באוקטובר, כל מה שרצה לעשות זה לנסוע למילואים לתרום למדינה. הוא לא קיבל צו שמונה. אבל בבוקר ה8 באוקטובר הןא, החליט לנסוע על דעת עצמו לבסיס. הוא לא ידע שבמשטרה התקבלו התרעות על חוליית נוחבה שגנבה רכב אאודי… pic.twitter.com/SNYfhW69eC
— Yossi Eli (@Yossi_eli) December 5, 2023
Les parents d’Aivas étaient indignés. Benny, le père, a dit à Yitzhak : « Quelqu’un a donné l’ordre d’abattre mon fils. »
« Tout le monde sait faire la différence entre une Mazda et une Audi », a dit le père à Yitzhak. « Si vous et moi avions aussi été à bord d’une voiture bleue, nous aurions été tués. »
« L’État doit en assumer la responsabilité », a-t-il ajouté. « Il y a des gens, ici, qui méritent d’aller en prison. »
La réunion s’est toutefois terminée sur une note positive : les parents de la victime avaient le sentiment que l’on avait cette fois entendu leurs regrets de ne pas avoir été consultés lors de cette enquête. A leur retour chez eux, ils ont trouvé la lettre qui les a exaspérés.
Keren, la mère, reproche aux autorités de ne pas avoir fait preuve de diligence lors de l’enquête : si les événements du 7 octobre devaient se reproduire, dit-il, « tout le monde attendrait l’appel officiel, ce qui laisserait le temps aux terroristes d’arriver jusqu’à Tel Aviv ».
« Pourquoi cela a-t-il pris tant de temps ? », a-t-elle dit. « Un être humain a été éliminé de l’État d’Israël, éliminé de la surface de la Terre. Personne n’a pris le temps de venir, que ce soit pour nous présenter des condoléances ou reconnaitre sa responsabilité. »
« Je me doute que vous n’avez rien à m’apprendre » sur cette enquête, a-t-elle poursuivi. « J’ai ramassé des balles – je peux parfaitement vous dire quelle unité a tiré et même qui a tiré. Le corps de mon fils était criblé de balles. »
Devant les caméras de la chaîne N12, Keren Aivas a dit que la mort de son fils ne pourrait « être reléguée dans les archives, au sous-sol. Il est inconcevable que personne ne prenne ses responsabilités. Je ne veux accuser personne, je demande seulement que quelqu’un prenne ses responsabilités. »