« Laissez venir les nôtres », plaident les Juifs éthiopiens alors que l’immigration est bloquée
Les parlementaires accusent le ministère de l'Intérieur de saboter l'alyah éthiopienne. Le ministère affirme devoir relever des défis logistiques

Les Juifs éthiopiens qui attendent en Ethiopie et leurs familles en Israël ont réclamé des réponses mardi concernant l’échec de mise en oeuvre d’une décision gouvernementale qui concerne l’approbation de l’immigration de 1 300 membres de cette communauté en Israël.
Les membres de la Knesset Eli Alaluf (Koulanou), David Amsalem (Likud) et Avraham Neguise (Likud) ont condamné les représentants du ministère de l’Intérieur, les accusant de placer des obstacles délibérés pour interrompre l’alyah des Juifs d’Ethiopie.
En août 2016, après presque un an de négociations, le ministre des Finances a accepté d’allouer un budget afin de permettre à 1 300 Ethiopiens de s’installer en Israël. C’est la première étape d’un plan approuvé par le gouvernement de faire venir approximativement 6 000 Juifs éthiopiens en Israël en cinq ans, au rythme de 100 par mois. Après cette période de cinq ans, il sera nécessaire de définir un programme supplémentaire pour la communauté juive restante, soit environ 3 000 personnes.
Même si un vol a atterri au mois d’octobre sur le tarmac de l’aéroport international Ben Gurion transportant 63 Ethiopiens ayant reçu une approbation à leur candidature pour l’immigration, aucun autre avion ne s’est posé depuis et aucun dossier éthiopien n’a été accepté par les autorités israéliennes.
Le ministère de l’Intérieur a affirmé qu’il rencontrait des problèmes logistiques pour trouver des bureaux afin d’ accueillir ses représentants à Gondar, où 9 000 Juifs Falashmura attendent encore, espérant de pouvoir émigrer. Le ministère n’a envoyé que trois employés sur le terrain le 26 février, quelques jours avant l’arrivée de parlementaires qui ont réalisé une commission d’enquête en Ethiopie.
« Vous agissez comme si vous étiez en train de charger un camion de pommes de terre et non comme si vous gériez des gens qui sont en train de mourir parce qu’ils manquent de soins médicaux », a déclaré Amsalem à Amos Arbel, directeur du bureau chargé des populations de l’immigration et des frontières au ministère de l’Intérieur, évoquant les moyens réellement mis en oeuvre pour les approbations d’immigration en Israël des dossiers éthiopiens.
Gashaw Abinet, chantre à la synagogue de Gondar, explique que les Juifs de sa ville comme ceux d’Addis Ababa vivent dans la pauvreté. Ils ont quitté leur village il y a 15 ou 20 ans pour s’inscrire auprès des responsables israéliens et attendent leur tour de s’envoler en Israël.
Parce qu’ils se sont trouvés dans le flou depuis de nombreuses années, pensant souvent que leur départ en Israël aurait lieu sous peu, les Juifs n’ont pas investi dans des commerces ou dans l’immobilier, ce qui les a projetés dans la pauvreté. A Gondar, 6 000 Juifs vivent dans des cabanes de boue louées, la majorité sans électricité ni eau courante. 3 000 Juifs de plus vivent à Addis Ababa, dispersés parmi les faubourgs les plus miséreux parce qu’ils n’ont plus les moyens de vivre à proximité de la synagogue de la ville.
Les membres de la communauté juive sont également plus pauvres que l’Ethiopien moyen. En 2011, les chercheurs ont révélé que 41 % des enfants juifs à Gondar étaient sous-alimentés, et qu’à l’âge de 12 à 13 mois, 67 % d’entre eux souffraient déjà de malnutrition. Le taux urbain de malnutrition en Ethiopie s’élève à 30 %.
« C’est un cauchemar à Gondar,” a commenté Abinet lors d’un entretien téléphonique la semaine dernière. « Nous voulons que le gouvernement nous vienne en aide. Pourquoi vous faites ça ? Il y a déjà eu une décision de faire venir 9 000 Juifs ».

Les Juifs restés en Ethiopie sont appelés Falashmura, un terme pour désigner les Juifs éthiopiens dont les ancêtres se sont convertis il y a des générations au christianisme, souvent sous la contrainte.
Parce que le ministère de l’Intérieur ne considère pas que les Falashmura sont Juifs, ils ne sont pas éligibles à la citoyenneté israélienne selon la définition de la loi du retour et doivent donc obtenir une autorisation gouvernementale particulière pour venir s’installer en Israël.
Les Juifs éthiopiens pour leur part ont fait valoir que le processus visant à déterminer leur judéité a été médiocrement exécuté et imprécis, divisant les familles. Au moins 80 % des Juifs éthiopiens ont des parents au premier degré qui vivent en Israël.
En août 1993, le gouvernement avait annoncé la « fin » de l’alyah éthiopienne, clamant que tous les Juifs éthiopiens se trouvaient dorénavant en Israël. L’Agence juive avait alors retiré son financement de la synagogue communautaire, abandonnant un programme de nutrition des enfants et retirant même à un moment le rouleau de Torah utilisé par les fidèles.

Même si en novembre 2015, le gouvernement a approuvé à l’unanimité l’immigration de tous les Juifs qui se trouvent en Ethiopie, la décision a vacillé trois mois plus tard lorsque le Bureau du Premier ministre a refusé de mettre en oeuvre le programme en raison du milliard de dollars manquant au budget de l’état qui, a-t-il dit, était nécessaire pour financer le programme d’intégration.
Mais même maintenant, avec l’argent en place, le processus d’immigration a stagné. Les membres de la communauté accusent l’état de s’embourber dans des questions de bureaucratie.
Abinet a expliqué que le ministre de l’Intérieur exige dorénavant plus de documents administratifs que lors des années précédentes, dont une carte de résident à Gondar. Toutefois, dans la mesure où la majorité de la communauté est constituée de réfugiés qui ont fui les discriminations des villages ruraux dans les années 1990 et nourri l’espoir d’émigrer en Israël, ils n’ont pas de papiers officiels délivrés par les autorités éthiopiennes.
Sabine Hadad, porte-parole du bureau chargé des populations, de l’immigration et des frontières et responsable de l’approbation des candidatures à l’immigration, a indiqué que le ministère a toujours réclamé ces documents.
Abinet a également affirmé que les actions menées par le ministère de l’Intérieur sépareront les familles, une erreur dont, espérait-il, le gouvernement israélien avait tiré les leçons.
Par exemple, la mère d’Abinet a été approuvée à l’immigration il y a des années mais, dans les années qui se sont écoulées, son frère aîné est décédé et la mère d’Abinet est devenue la tutrice de ses petits-enfants.
Mais parce que ses petits-enfants n’étaient pas inscrits aux côtés de leur grand-mère, la mère d’Abinet pouvait être placée dans l’obligation de quitter ses petits-enfants si elle voulait se rendre en Israël, où elle a d’autres parents.

« Nous nous sommes tellement battus pour garder les familles réunies », dit Abinet, qui s’exprime en hébreu. « Si le ministère de l’Intérieur doit séparer encore une fois les parents de leurs enfants, alors je n’aurai plus d’espoir. Je tente de garder espoir et je vais continuer à lutter ».
Le ministère de l’Intérieur a clamé avoir interrogé 120 chefs de famille représentant environ 500 Juifs au cours des trois dernières semaines, même si personne n’a encore reçu une approbation d’immigration en raison « de problèmes avec Internet et de soucis de communication ». Arbel a expliqué que le ministère espère pouvoir commencer à donner des approbations dès la semaine prochaine, même si l’organisation de vols vers Israël prendra encore du temps.
Un problème majeur, selon le ministère de l’Intérieur, est le manque d’espaces de bureaux disponibles à Gondar pour mener les entretiens et les examens médicaux de manière appropriée.
Un représentant du ministère des Affaires étrangères a annoncé que l’ambassade israélienne est en train de faire construire la structure nécessaire pour ce processus et qu’entre-temps, un appartement privé pouvait servir de solution secondaire jusqu’à l’achèvement des travaux. Mais le ministère de l’Intérieur ne l’a pas utilisé.
« Il y a tellement d’excuses », a indiqué Alaluf, qui faisait partie de la commission d’enquête déléguée en Ethiopie il y a deux semaines. « J’ai été dégoûté par le comportement du ministère de l’Intérieur ».
Alaluf a expliqué avoir été choqué par les conditions de vie des Juifs en Ethiopie. Un grand nombre d’entre eux vivent dans des taudis de boue où des familles entières cohabitent dans une seule pièce.
« Je ne peux pas rester sans rien faire alors qu’il y a encore des Juifs qui se trouvent dans cette situation dans le monde », a-t-il dit.

Abinet a expliqué que le ministère de l’Intérieur appelle dorénavant les aspirants à l’immigration à se rendre à des entretiens, et ce même si un grand nombre d’entre eux n’ont pas les moyens d’avoir un téléphone. Jusqu’en 2013, le ministère avait annoncé la tenue des entretiens à la synagogue, mais Neguise a déclaré que le ministère avait mis un terme à cette pratique pour des raisons idéologiques et religieuses.
« Vous n’utilisez pas la synagogue parce que vous ne voulez pas reconnaître qu’ils ont une synagogue », a dit Neguise, né en Ethiopie et qui préside la commission de l’immigration, de l’intégration et des affaires de la diaspora de la Knesset.
Arbel a défendu les trois employés du ministère de l’Intérieur à Gondar et déclaré qu’ils continueraient à « mener leur mission professionnelle pour mettre en oeuvre la décision du gouvernement ».
Il a ajouté que le ministère continuerait à contacter les gens par téléphone pour les informer des calendriers de leurs entretiens indépendamment des obstacles.
Amsalem et Neguise ont annoncé qu’ils programmaient une session supplémentaire consacrée à la question immédiatement après Pâque, même si la Knesset sera en pause.

Les militants israélo-éthiopiens et les membres des familles qui ont assisté à cette session de la Knesset ont condamné l’inaction du gouvernement et son refus de fournir des informations.
« Je ne sais pas quoi faire. Ma soeur est malade et vous ne nous donnez aucune réponse pour la faire venir », a déploré Dinkitu Tarkgen. “Vous me dites d’appeler un numéro [au ministère de l’Intérieur] et il n’y a pas de réponse. Je veux juste savoir quand je pourrais la voir ».
Cela fait 16 ans que Yahallem Tadesa attend de faire venir ses deux aînés, qui ont été séparés de la famille dans le camp de réfugiés. Elle dit avoir été forcée à faire un test sanguin pour prouver qu’il s’agissait effectivement de ses enfants. Elle l’a fait il y a déjà deux ans. « Je pense à eux tous les jours », s’est exclamé Tadesa. « Je pense à eux et je pleure tous les jours ».
Vous comptez sur The Times of Israel pour obtenir une couverture précise et rapide du conflit entre Israël et l'Iran ?
Si oui, rejoignez la Communauté du Times of Israël !
Pour seulement 6 $ par mois, vous pourrez soutenir nos journalistes indépendants qui travaillent sans relâche pour couvrir cette guerre et bénéficier d'une expérience de lecture sur le site du Times of Israël sans publicité et dans nos newsletters.