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Interview

L’ambassadeur de France en Israël se confie au Times of Israël

Eric Danon a expliqué que Paris n’interdira pas le Hezbollah. L'envoyé est revenu sur l'alyah et sur sa nomination en tant que premier ambassadeur juif de France en Israël

Eric Danon, ambassadeur de France en Israël, depuis septembre 2019. (Autorisation de l'Ambassade de France à Tel Aviv)
Eric Danon, ambassadeur de France en Israël, depuis septembre 2019. (Autorisation de l'Ambassade de France à Tel Aviv)

La France n’a pas l’intention de menacer Israël, mais la décision d’annexer unilatéralement de larges pans de la Cisjordanie serait considérée comme une violation « grave » du droit international et aurait inévitablement des conséquences négatives sur les relations bilatérales, a déclaré l’ambassadeur de France à Tel Aviv lors d’une interview Zoom début mai.

« Il y a des violations du droit international à différents degrés de gravité, et une annexion de la vallée du Jourdain et des implantations serait considérée comme grave », a déclaré Eric Danon au Times of Israël. « Cette qualification implique qu’il y aurait des conséquences, car elle ne serait sinon pas considérée comme ‘grave’. »

Durant cet échange d’une heure et demie, Danon a également expliqué pourquoi Paris n’envisageait pas actuellement d’inscrire le Hezbollah sur la liste des organisations terroristes, et est revenu sur sa nomination en Israël, faisant de lui le premier ambassadeur juif de France dans le pays, défiant ainsi la politique de longue date du quai d’Orsay de ne pas nommer à ce poste un diplomate de cette confession par crainte de double allégeance.

La France, comme la plupart des pays européens, s’est montrée très ferme dans son opposition à une annexion israélienne. Le 23 avril, l’ambassadeur de France aux Nations unies, Nicolas de Rivière, a déclaré au Conseil de sécurité qu’une telle décision « constituerait une violation flagrante du droit international », « ne [resterait] pas sans réaction et [serait] prise en compte dans nos relations avec Israël ».

De nombreux observateurs ont vu en cette formulation un avertissement sévère, pouvant impliquer d’éventuelles sanctions contre Israël. Mais M. Danon a indiqué que la déclaration de son collègue diplomate ne devait pas être considérée comme une menace.

« Permettez-moi de clarifier la formulation : il n’y a absolument aucune ‘menace’. Il y a des réactions aux déclarations faites par Israël, si les annonces [du Premier ministre Benjamin Netanyahu sur ses intentions d’annexer] devaient être mises en œuvre. Nous considérons que, si ça arrive, ce serait une violation du droit international », a-t-il déclaré.

« La France a toujours promu une vision des relations internationales fondée sur l’Etat de droit et sur les négociations, et non sur des actions unilatérales », a-t-il poursuivi. « Donc, honnêtement, il n’y a rien de nouveau dans la position de la France. Il fallait simplement réaffirmer cette position, car pour la première fois, l’annexion était incluse dans l’accord de coalition, et il semble que l’échéance approche à grands pas. »

À l’instar de l’Union européenne, le gouvernement français a condamné avec véhémence les plans israéliens d’expansion des implantations, mais n’a jusqu’à présent réagi par aucune sanction.

Mais « l’annexion est [une question] différente », a déclaré Danon. « Vous ne pouvez pas comparer un permis de construire pour un nouveau quartier dans une implantation – ce que nous considérons comme une mauvaise chose, comme une violation du droit international – avec l’annexion. Ce n’est pas la même gravité. L’annexion est beaucoup plus grave – c’est une déclaration selon laquelle il s’agirait maintenant d’un territoire israélien. C’est tout à fait différent. »

Des constructions dans le quartier Dagan de l’implantation d’Efrat, en Cisjordanie, le 22 juillet 2019. (Crédit : Gershon Elinson / Flash90)

Danon, 63 ans, était parmi les onze ambassadeurs européens en Israël qui ont mis en garde début mai le ministère des Affaires étrangères à Jérusalem concernant le projet d’annexion. Le président Emmanuel Macron a également récemment envoyé une lettre personnelle à Netanyahu rejetant cette « mesure unilatérale » en Cisjordanie.

Néanmoins, Eric Danon, diplomate depuis plus de 30 ans, a refusé de discuter plus en détails des mesures concrètes que Paris pourrait prendre si Israël mettait en œuvre son projet d’annexion.

« Je ne m’étendrai pas davantage sur quelque chose qui ne s’est pas encore produit », a-t-il déclaré. « Nous verrons ce qui se passe effectivement et quelle sera la réponse, en particulier au niveau européen. »

Le 20 mai, Jean-Yves Le Drian, chef de la diplomatie française, avait annoncé que plusieurs pays européens, dont la France, l’Allemagne et l’Italie, préparaient une « action commune » pour tenter de relancer des « négociations » entre Israël et les Palestiniens, et n’excluent pas une « riposte » en cas d’annexion de certains territoires en Cisjordanie.

L’objectif est de faire revenir « tout le monde à la table des négociations », avait précisé le ministre des Affaires étrangères, évoquant par ailleurs des mesures de « riposte » si l’annexion venait à se concrétiser. « Nous travaillons ensemble pour une action commune de prévention et éventuellement de riposte si d’aventure cette décision était prise », a-t-il souligné, sans plus de précisions.

Quelques jours plus tard, à l’Assemblée nationale, il avait ajouté qu’une « telle décision ne pourrait rester sans réponse ».

Pas d’interdiction du Hezbollah envisagée

Danon étudie les questions liées au terrorisme depuis les années 1970 et est expert en sécurité internationale et en désarmement. Il ne semble pas gêné par le fait que la France continue à refuser de reconnaître le Hezbollah comme une organisation terroriste, démarche que d’autres pays européens ont entreprise ces dernières années.

Nous n’avons pas identifié d’événement particulier qui nous inciterait à changer notre position [sur le Hezbollah]

Après les Pays-Bas et le Royaume-Uni, l’Allemagne a interdit le 30 avril toute activité du Hezbollah sur son territoire, mettant fin à sa politique antérieure de différenciation entre les ailes armée et politique de l’organisation chiite (Une différenciation que le Hezbollah lui-même n’opère pas). Selon Danon, la France ne voit actuellement aucune raison d’en faire de même.

« Le simple fait que les Allemands aient changé de position ne signifie pas nécessairement que nous devons également changer notre position. À ce stade, ce n’est pas prévu », a-t-il déclaré.

« Il faudrait demander [aux Allemands] quel moment ou événement a déclenché leur changement de position », a poursuivi Danon. « La presse a fait état d’une éventuelle attaque terroriste prévue en Allemagne. Peut-être que cela a joué un rôle ? Pour éviter toute spéculation, il faudrait demander directement aux Allemands les raisons de cette décision. Pour notre part, nous n’avons identifié aucun événement particulier qui nous inciterait à changer notre position. »

Danon faisait référence à des informations selon lesquelles Berlin a changé sa politique vis-à-vis du Hezbollah après avoir reçu des informations du Mossad. Suite à une opération de plusieurs mois visant à évaluer les opérations du groupe en Allemagne, l’agence de renseignements israélienne a informé les autorités allemandes de l’existence d’entrepôts dans le sud du pays où l’organisation libanaise conservait des matériaux utilisés pour la fabrication d’explosifs.

Des partisans du chef du groupe terroriste du Hezbollah Sayyed Hassan Nasrallah scandent des slogans avant son discours télévisé, dans la banlieue sud de Beyrouth au Liban, le 5 janvier 2020. (Crédit : Maya Alleruzzo/AP)

Les services de renseignements israéliens auraient également remis des informations concernant des individus clés pour les opérations du Hezbollah en Allemagne, notamment ceux œuvrant sur les réseaux utilisés pour blanchir des fonds, transférer des millions d’euros sur les comptes bancaires du groupe terroriste et financer des activités au sein même du pays.

La raison officielle invoquée par l’Allemagne pour interdire l’organisation soutenue par l’Iran était qu’elle violait le droit pénal et « s’opposait au concept de compréhension internationale ».

Le Hezbollah nie à Israël son droit à exister et « soutient la lutte terroriste armée » contre l’Etat juif, avait alors déclaré le ministère allemand de l’Intérieur, ajoutant qu’on pouvait s’attendre à ce que l’organisation continue à planifier des attaques terroristes contre Israël et contre les intérêts israéliens à l’étranger.

En sourdine, des responsables israéliens accusent la France, puissance historique au Liban, de bloquer des résolutions européennes contre le Hezbollah, poussant, selon eux, des pays européens à se doter de leur propres mesures contre le mouvement terroriste chiite.

À l’heure où le Liban a besoin d’une aide internationale pour sortir du naufrage économique, selon l’International Crisis Group, Israël souhaite que toute aide soit assortie de réformes réduisant l’influence du Hezbollah chez son voisin, ont indiqué à l’AFP des sources israéliennes.

L’alyah française en période post-pandémique ?

Danon, fils de Juifs égyptiens qui ont immigré en France quelques années avant sa naissance, a également évoqué les possibles conséquences de la pandémie de coronavirus concernant l’alyah des Juifs de France.

Contrairement à certains responsables israéliens qui prédisent une vague massive d’alyah au lendemain de la crise sanitaire actuelle – y compris Tzipi Hotovely, ministre sortante des Affaires de la diaspora – l’ambassadeur de France a déclaré qu’il n’avait aucune raison de croire qu’une vague d’immigration en Israël était à attendre.

« Je n’ai aucun indicateur montrant que l’alyah va augmenter. Ces dernières années, elle a diminué après un pic en 2015-2016, à la suite des attaques terroristes en France », a-t-il déclaré.

« L’alyah est une décision tellement personnelle, tellement intime, qui tire sa motivation de raisons différentes. Il y a la dimension religieuse, qui est mise en avant comme raison principale pour peut-être 20 % des gens ; et il y a la peur de l’antisémitisme ou un sentiment d’insécurité. Nous n’avons pas de statistiques, mais on a l’idée qu’environ une alyah sur deux a été déclenchée par un sentiment d’insécurité. Il existe également des alyah avec des déclencheurs positifs, telles que l’idée qu’Israël, en tant que start-up nation, offrira un meilleur avenir à la famille, aux enfants. »

Un médecin prend en charge un patient atteint du coronavirus dans l’unité de soins intensifs de la clinique Ambroise Paré à Neuilly-sur-Seine, près de Paris, le 10 avril 2020. (Crédit : AP Photo / Christophe Ena)

En raison du coronavirus, qui a très durement frappé la France et la communauté juive française, « il existe des facteurs d’incertitude supplémentaires », a déclaré Danon. « La circulation transfrontalière a presque été arrêtée. Il pourrait y avoir un effet de rattrapage lorsque les restrictions seront levées, car ils n’auront pas pu venir à cause de la crise. D’un autre côté, les difficultés extrêmes d’un point de vue économique peuvent dissuader les alyahs, car s’installer et trouver un emploi [en Israël] dans ces circonstances peut sembler très difficile », a-t-il poursuivi.

« Je n’ai aucun indicateur montrant que l’alyah va augmenter. Ces dernières années, elle a diminué »

« Dans l’ensemble, je serais très prudent avant de prédire si le nombre va augmenter ou diminuer », a-t-il déclaré. « Cette crise génère – et continuera de générer – un niveau élevé d’incertitude et de complexité. Il est compliqué de déterminer si la crise déclenchera de nouvelles alyahs. »

Suite à la crise sanitaire, il a salué la coopération, la solidarité et le comportement exemplaire des Français d’Israël, ainsi que le travail des associations, qui ont permis à ce que « personne ne soit laissé de côté ». Il a aussi rappelé le travail de l’ambassade durant la crise, qui a notamment aidé ses ressortissants à rentrer en France et a distribué des aides aux familles en difficulté.

Peu avant son interview avec le Times of Israël, Danon était revenu sur la chaine i24News sur la pandémie, et les expressions d’antisémitisme qui ont émergé dans ce contexte.

« Lorsqu’il faut un bouc émissaire, les Juifs sont désignés parmi les premiers », avait-il regretté.

« Il y a une augmentation de l’antisémitisme et des actes de violence, mais la responsabilité n’incombe en rien à Israël. Lorsque la haine anti-juive a besoin de s’exprimer pour des tas de névroses personnelles, il n’est pas étonnant que de telles théories du complot émergent. »

Lors de cet entretien avec Elie Chouraqui, il était également revenu sur l’accord de coalition signé entre Benjamin Netanyahu et Benny Gantz. « Beaucoup semblent ravis qu’il y ait enfin un gouvernement mais l’inconvénient de la cohabitation, c’est qu’elle ne permet pas de prendre des décisions stratégiques, ou alors, il y a des concessions mutuelles en permanence. La capacité décisionnelle est amoindrie », avait-il déclaré.

Au sujet du plan de paix de l’administration Trump, il avait salué le fait « qu’au bout de quatre ans de négociations, les Etats-Unis pourraient reconnaître l’Etat de Palestine ». Il avait néanmoins regretté que le projet présente, « comme le dessin de la Palestine cisjordanienne, un Etat dont les frontières sont en Israël. En termes de viabilité, ce n’est pas évident ».

Danon, père de cinq enfants, a pris ses fonctions à Tel Aviv en septembre 2019, après avoir visité le pays à seulement quelques reprises pour assister à des conférences sur les questions de sécurité. Il s’est dit auprès du Times of Israël « très profondément » heureux d’être dans le pays. « Quelque chose m’attirait dans le fonctionnement même du pays. Être en poste ici est une expérience différente et je ressens un lien fort avec ce merveilleux pays », a-t-il déclaré. « C’est une période fascinante pour être en Israël. »

Le président Reuven Rivlin, à droite, reçoit le nouvel ambassadeur de France, Eric Danon, lors d’une cérémonie de remise des lettres de créance diplomatiques des nouveaux ambassadeurs à la résidence présidentielle, le 12 septembre 2019. (Crédit : Mark Neiman / GPO)

Bien qu’il soit manifestement fier d’être le premier ambassadeur juif de France à être nommé en Israël, Danon a souligné que son histoire personnelle n’avait aucune incidence sur son travail diplomatique, rappelant que la ligne de Paris n’avait pas changé depuis sa nomination.

« Peut-être que mes antécédents familiaux ont un impact sur le curseur d’empathie que je ressens pour le peuple israélien », a-t-il indiqué. « Tout le monde me dit que mes relations avec les Israéliens sont différentes de celles de mes prédécesseurs. Je ne serais pas le meilleur juge de cela, mais si mon style est différent, cela ne change pas le fond de mes missions. »

Compte tenu de la longue tradition française de ne pas nommer de diplomate de confession juive au poste d’ambassadeur en Israël, Danon indique n’avoir même pas songé à postuler pour le poste. « Mais on m’a proposé cette mission, et j’ai immédiatement répondu que j’en serais très honoré. »

Pourquoi le ministère français des Affaires étrangères a-t-il soudainement changé cette politique ?

« Je ne suis pas sûr que le ministère des Affaires étrangères lui-même l’aurait changée, mais le président de la République l’a changée », a répondu l’ambassadeur. « Les relations franco-israéliennes ont évolué, la coopération fonctionne très bien, et il [Emmanuel Macron] a lui-même fait plusieurs gestes symboliques sans précédent », a déclaré Danon, saluant les liens entre les deux pays, tant au niveau culturel, éducatif, universitaire ou encore sanitaire ou scientifique. « On a beaucoup de choses à faire ensemble », estime-t-il. « Il se passe certainement quelque chose dans nos relations bilatérales, et je suis absolument ravi de servir ici. »

Le président français Emmanuel Macron au Mur occidental, lieu de prière le plus sacré du judaïsme, dans la Vieille Ville de Jérusalem, le 22 janvier 2020. (Crédit : Ahmad GHARABLI / AFP)

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