Le Musée d’Art de Tel Aviv dans la tourmente en raison de ses liens avec Christie’s
La maison de vente aux enchères a procédé à une vente de bijoux appartenant à un nazi qui avait fait fortune pendant la Shoah ; une conférence coorganisée avec Christie's indigne
JTA — Cela fait des mois que la maison de vente aux enchères Christie’s est dans la tourmente suite à la vente d’une collection de bijoux qui était liée à un nazi ayant fait fortune en confisquant des entreprises juives. Les pièces de joaillerie avaient été finalement acquises, lors de la vente, pour un montant total de 202 millions de dollars.
Aujourd’hui, un groupe de survivants de la Shoah qui avait blâmé Christie’s à l’occasion de cette vente a tourné son attention vers la relation entretenue entre la célèbre maison de ventes aux enchères, le musée d’art de Tel Aviv et une organisation caritative qui finance le musée et dont le siège est à New York.
La Holocaust Survivors Foundation USA a appelé le musée à annuler une conférence qui était consacrée à la restitution des œuvres d’art, qu’il devait accueillir en collaboration avec Christie’s au mois de décembre. Vendredi, l’organisation a envoyé une lettre de protestation au groupe Tel Aviv Museum of Art American Friends, qui finance le musée, disant que la conférence offrira « une plateforme au sein de l’État juif à des gens qui ont profité de la Shoah, qui pourront ainsi justifier leurs pillages et marginaliser les survivants de la Shoah dans le monde entier ».
Mais le lien entre la conférence de Christie’s et le groupe American Friends pourrait bien aller au-delà des millions de dollars versés par ce dernier au musée. L’un des dix membres du conseil d’administration de l’organisation American Friends, Marc Porter, occupe également un poste à responsabilité chez Christie’s où il est président de la division Amérique. Il avait aidé à organiser l’initiative de la maison de vente aux enchères visant à célébrer le 25e anniversaire d’un accord international consacré à la restitution des œuvres d’art pillées par les nazis – un anniversaire qui s’était étendu sur un an et dont le point d’orgue sera la conférence de Tel Aviv.
L’implication de Porter dans l’appareil de collecte de fonds du musée et le fait qu’en même temps, il puisse retirer du crédit d’un événement organisé par le même musée au niveau professionnel, a fait froncer quelques sourcils.
La situation entraîne « un conflit d’intérêt clair en lien avec ce déplorable événement », déplore David Schaecter, président de la Holocaust Survivors Foundation USA, auprès de la JTA.
Les pressions exercées sur le musée – en plus des plaintes portant sur la double casquette de Porter – sont les dernières répercussions de la mise aux enchères, par Christie’s, des précieux bijoux en date du 10 mai, des bijoux qui appartenaient à une famille qui avait bâti sa fortune sur les biens qui avaient été confisqués aux Juifs pendant la Shoah.
Suite à la controverse, le musée avait offert de donner certains des bénéfices de la vente pour soutenir la recherche sur la Shoah et l’éducation sur le génocide juif. Une offre rejetée par plusieurs institutions, notamment par celle qui est responsable de distribuer les indemnisations de la Shoah, a-t-il été confié à la JTA.
« Notre positionnement – que nous avons clairement établi auprès de Christie’s – est qu’ils ne doivent pas profiter de cette vente, que tous les frais et toutes les commissions qui resteront après les dépenses devraient être versées aux survivants de la Shoah, » explique Gideon Taylor, le chef de la Claims Conference (Jewish Material Claims Against Germany).
Il ajoute que « Christie’s ne nous a pas fait savoir pourquoi ils souhaitent conserver une partie de la commission et des frais. Sans qu’une telle initiative soit prise, nous pensons que Christie’s choisira de se placer du mauvais côté de l’Histoire ».
Lors de la vente aux enchères en question, des bijoux appartenant à feu la philanthrope autrichienne Heidi Horten, décédée l’année dernière, avaient été présentés aux potentiels acquéreurs. Cela avait été la vente de pièces de joaillerie la plus importante de toute l’Histoire et les revenus avaient été versés au bénéfice de la Fondation Heidi Horten, créée en 2021, qui soutient un musée d’art du même nom et qui œuvre également dans la protection de l’enfance, finançant aussi la recherche médicale.
La fortune à l’origine de cette collection exceptionnelle de bijoux avait été construite pendant l’ère nazie par feu l’époux de Heidi, Helmut, membre du parti nazi qui avait utilisé cette affiliation pour déposséder les Juifs de leurs entreprises – un processus qui s’appelait alors « aryanisation ». De nombreux propriétaires de firmes avaient vendu leurs entreprises au notable nazi à bas prix, sous la menace d’être déportés dans des camps de concentration.
L’annonce de la vente avait suscité l’indignation et Christie’s avait été accusée d’aider à blanchir le passé de la famille Horten. Les critiques avaient noté que le catalogue de la vente ne précisait pas l’origine de la fortune de Horten et Christie’s avait répondu en ajoutant une note, sur son site internet, indiquant que Horten avait acquis des entreprises « vendues sous la contrainte » par leurs propriétaires juifs.
La maison de vente aux enchères avait aussi promis de donner une partie de ses profits. Mais quand Christie avait commencé à contacter des organisations caritatives du monde entier pour faire un don, certaines avaient rejeté l’offre, notamment la Claims Conference. Cela avait été également le cas du musée Yad Vashem, le musée israélien de la Shoah, une décision qui avait été annoncée par Jerusalem Post.
Au début du mois, une responsable de Christie’s a évoqué la controverse lors d’une discussion de panel organisée à Londres dans le cadre de l’initiative de restitution de la compagnie. Les réactions à la vente aux enchères ont été, pour la vénérable institution, « l’opportunité d’une introspection profonde », a commenté Anthea Peers, à la tête de la division Europe, Moyen-Orient et Afrique de Christie.
« La vente Heidi Horton a souligné une attente, celle que le marché des arts et des collectionneurs prête une attention particulière lorsqu’il examine un objet pour une vente aux enchères, non seulement pour faire des recherches sur l’histoire des propriétaires eux-mêmes mais aussi pour étudier l’origine des richesses qui avaient été utilisées pour l’acquérir », a-t-elle commenté.
Elle a aussi reconnu que la compagnie « devrait avoir montré plus de transparence lorsque la vente a été annoncée. C’est l’une des principales leçons que nous tirons de cette affaire. Nous sommes à l’écoute et nous évoluons à chaque pas ».
Du point de vue de Schaecter, président du groupe de survivants de la Shoah, Christie’s s’est engagé « dans une campagne sophistiquée de relations publiques – un effort dans lequel il a dorénavant recruté le musée de Tel Aviv, avec l’aide de Porter ».
Le Times of Israel n’a pas pu interroger Porter après être entré en contact avec Christie’s. Toutefois, un porte-parole de la maison de vente aux enchères a fait remarquer que Porter travaillait sur le dossier des restitutions depuis 30 ans, qu’il était le fils d’un survivant de la Shoah âgé aujourd’hui de 97 ans et qu’il « soutient pleinement l’enseignement de la Shoah et le dialogue ».
Un autre porte-parole de Christie’s a ajouté que Porter n’avait rien à voir avec l’événement prévu au musée de Tel Aviv et qu’il n’était pas impliqué dans sa planification.
Le musée et le groupe American Friends n’ont pas répondu à une demande de réaction du Times of Israel.
L’absence de communication de la part des organisations variées rend l’évaluation de la situation d’un point de vue éthique difficile, dit Ann Skeet, qui étudie le secteur des organisations à but non-lucratif au Markkula Center for Applied Ethics, au sein de l’université de Santa Clara. Elle ajoute que la durée et la nature de la relation entretenue entre Christie’s et le musée, les conditions de la révélation de la double casquette de Porter et les intentions des parties concernées sont des facteurs importants à prendre en considération s’agissant de déterminer s’il y a eu en effet un conflit d’intérêt.
« Dévoiler les réflexions qui ont été à l’origine des décisions qui ont été prises est toujours considéré comme la meilleure pratique en termes d’éthique s’agissant de leadership« , dit-elle.
Schaecter, pour sa part, avertit que s’il continue à être associé à Christie’s, le Musée d’Art de Tel Aviv risque sa réputation – et qu’il rend un mauvais service aux survivants.
« En tant qu’institution culturelle de premier plan en Israël, le musée d’art est considéré par un grand nombre comme un garant de la vérité », écrit-il. « Il ne doit pas soutenir l’hypocrisie de Christie’s. »
« Est-ce que la population de Tel Aviv et les soutiens du musée comprennent vraiment la douleur et la souffrance infligées par cet événement aux survivants de la Shoah, partout dans le monde ?, » s’interroge-t-il.
Mise à jour : Après la publication de cet article, la maison Christie’s a publié la déclaration suivante : « Nous rejetons la suggestion qu’il y ait un quelconque conflit d’intérêts dans le rôle de Marc Porter chez Christie’s et son soutien aux American Friends of the Tel Aviv Museum of Art. Marc n’a pas été impliqué dans les négociations concernant le programme de restitution au musée de Tel-Aviv. »