Le soutien américain est solide, mais Biden et Netanyahu jouent un jeu dangereux avec la solution à deux États
Le différend public sur la question de l' État palestinien faut du tort à la guerre que livre Israël contre le Hamas, mais Biden tient bon, face à sa gauche, déçue
À première vue, c’est une dangereuse fissure qui est apparue entre les gouvernements Biden et Netanyahu, susceptible de mettre à mal la campagne d’Israël pour détruire le Hamas si elle venait à s’élargit.
Un désaccord relatif existe depuis le début de la guerre, mais il se révèle plus véhément dernièrement, notamment autour de la question de la solution à deux États.
Le déplacement en Israël du Secrétaire d’État américain Antony Blinken, il y a de cela deux semaines, a été moins chaleureux que ceux qui l’ont précédé depuis le 7 octobre. Il est venu avec une liste de requêtes, notamment en ce qui concerne la situation humanitaire à Gaza, dont peu ont pu été satisfaites.
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Le cabinet de Netanyahu a refusé de publier un compte-rendu ou même des photos, suite à son entretien avec Blinken, de même qu’après son entrevue avec le cabinet de guerre, signe que les discussions n’ont pas été aussi amicales que les Israéliens l’auraient souhaité.
Chaque fois qu’il s’est retrouvé devant un micro, M. Blinken a souligné que le prix de la normalisation avec l’Arabie saoudite avait augmenté. Cela ne pourra arriver, a-t-il dit, que si Israël accepte de s’engager dans un processus menant à « un État palestinien ».
« J’ai eu l’impression que tout cela était tombé dans l’oreille d’un sourd », estime Michael Oren, ancien ambassadeur à Washington.
Blinken a exercé davantage de pression sur Netanyahu, la semaine passée, lors de ses prises de parole au Forum économique mondial de Davos, affirmant qu’Israël ne serait jamais en sécurité ou véritablement intégré dans la région sans « une voie vers un État palestinien ».
Il a également qualifié le conflit au Moyen-Orient de « point d’inflexion » exigeant des décisions difficiles pour Israël. « Il s’agit d’une décision importante à prendre pour le pays : quelle direction veut-il prendre ? Voit-il – et peut-il saisir – l’opportunité que nous voyons ? »
Le lendemain, trois hauts responsables américains ont révélé à NBC que le Premier ministre Benjamin Netanyahu avait dit à Blinken, lors de son passage en Israël, qu’il n’était pas prêt à conclure un accord permettant la création d’un État palestinien. Ils ont également déclaré que l’administration voyait au-delà de l’horizon Netanyahu pour atteindre ses objectifs, l’un d’entre eux déclarant à la chaîne que le Premier ministre « ne serait pas là pour toujours ».
Netanyahu avait réagi lors d’une conférence de presse, le lendemain, en s’imposant comme le dirigeant défavorable à la création d’un État palestinien : « Ceux qui parlent de ‘l’après Netanyahu’ », a déclaré le Premier ministre, « le font pour parler de la création d’un État palestinien avec l’Autorité palestinienne ».
Le lendemain, le président américain Joe Biden et Netanyahu avaient leur premier entretien téléphonique en un mois, au terme duquel Biden devait annoncer à la presse que la solution à deux États était envisageable avec Netanyahu au pouvoir, avec un « type » d’État « sans armée propre ».
Une fois n’est pas coutume, le Premier ministre a réagi en publiant une déclaration le jour de Shabbat pour contredire publiquement le président. « Israël doit garder le contrôle total sur la sécurité de la bande de Gaza pour s’assurer que Gaza ne soit plus jamais une menace pour Israël – et cela est contradictoire avec les exigences de souveraineté palestinienne », a déclaré le cabinet du Premier ministre à Netanyahu au président.
Période électorale
Ce différend public n’est pas pour autant le signe que Biden est sur le point de retirer son soutien à l’effort de guerre d’Israël, ou que son objectif est la confrontation.
« Je ne pense pas que Biden veuille l’affrontement avec Israël », estime Eldad Shavit, chercheur principal à l’Institut d’études de sécurité nationale de Tel Aviv.
« Sur le fond, la position de l’administration Biden a très peu changé depuis le 7 octobre », souligne Danielle Pletka, chercheuse principale à l’American Enterprise Institute à Washington.
Les ventes d’armes et d’autres formes d’aide se poursuivent, les États-Unis utilisent leur droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU et n’appellent pas à la fin de la campagne destinée à renverser le Hamas.
Il y a un mois, la Douzième chaîne a fait savoir que 244 avions de transport et 20 navires américains avaient livré plus de 10 000 tonnes d’armes et d’équipements militaires à Israël depuis le début de la guerre. À ce moment-là, le ministère de la Défense avait effectué 40 milliards de shekels d’achats supplémentaires aux États-Unis.
Un accord pour le troisième escadron de F-35I de Tsahal avec les États-Unis devrait également être signé dans un avenir proche.
Les critiques publiques émanant de Washington, fait valoir Pletka, ont tout à voir avec les prochaines élections de Biden.
Biden est à la traîne dans les sondages par rapport à son challenger probable et bête noire des Démocrates, Donald Trump, qui a éliminé tous ses challengers du GOP sauf un. Selon RealClearPolitics, Trump devance Biden dans tous les grands sondages ce mois-ci, sauf un, et le sondage de The Messenger de cette semaine donne Trump en hausse de sept points sur le plan national.
Biden aura besoin de tous les suffrages, et les progressistes, qui ne lui ont jamais fait confiance, sont très mécontents de son ferme soutien à Israël.
« Ce qui est intéressant, c’est de voir à quel point ce que l’on entend signale à l’aile gauche du président, déjà très en colère, à ses partisans musulmans et arabes, également très en colère, qu’il ne soutient plus Bibi, alors que ce n’est pas vrai », fait-elle valoir. « Il y a un vrai fossé entre ce qu’il dit et ce qu’il fait. »
Ceci étant, Biden subit des pressions au sein de la Maison Blanche pour changer de cap.
« L’administration ne se résume pas à une seule personne », explique Oren. « Il s’agit de plusieurs milliers de personnes. Et ils voient tous ce président Joe Biden, dont les sondages ne sont pas bons, et ils se disent, êtes-vous devenu fou, vous mettez en péril notre avenir. Vous mettez en péril nos emplois. Si vous continuez comme ça, vous ferez revenir Donald Trump. »
De nombreuses lettres, écrites par une multiplicité d’auteurs, des stagiaires de la Maison-Blanche aux hauts-responsables politiques en passant par les membres du personnel de campagne, ont été publiées dans la presse depuis le massacre de 1 200 personnes par le Hamas et l’enlèvement de 253 otages, le 7 octobre 2023, et le début de la guerre entre Israël et le Hamas, pour prier Biden de faire pression pour mettre fin au conflit et conditionner l’aide à l’État juif à son respect des exigences américaines.
Il est sans doute plus fidèle à la réalité de considérer la Maison-Blanche comme deux entités.
« Il y a d’abord la Maison-Blanche qui fonctionne seule », explique Pletka. Ce sont les assistants qui veulent un changement de politique à l’égard d’Israël, et qui sont probablement les auteurs de fuites vers des médias comme NBC ou le New York Times sur les désaccords entre les deux pays.
« Il y a ensuite la Maison-Blanche, étroitement contrôlée par Biden, qui se consacre à quelques questions très précises », ajoute Pletka. « Dont Hunter Biden, et Israël. »
Et Biden, jusqu’à présent, résiste fermement aux pressions.
« Biden est, à certains égards, l’un des plus grands diplomates américains de toute l’histoire », estime Jonathan Lord, chercheur principal et directeur du programme de sécurité au Moyen-Orient au Center for A New American Security.
« Avec une carrière politique longue de plus d’un demi-siècle, il a une opinion bien argumentée et ancrée d’Israël. »
Et cette conviction s’est renforcée lorsque les scènes du carnage du Hamas dans les communautés frontalières israéliennes sont arrivées à Washington.
« Ce qui s’est passé le 7 octobre a eu un impact profond sur Biden », souligne Shavit.
Mais il pourrait céder à la pression à l’approche des élections.
« Il aimerait être réélu, sa femme voudrait qu’il soit réélu, le parti Démocrate voudrait qu’il soit réélu », analyse Pletka.
Et si la Cour internationale de justice de La Haye prend vendredi une décision provisoire appelant Israël à suspendre ou réduire ses opérations, ceux qui font pression sur Biden pour qu’il serre la vis à Israël pourraient bien disposer d’un nouveau levier à l’intérieur du Bureau ovale.
Les deux centres de pouvoir à la Maison Blanche aimeraient que Netanyahu cède la place. Mais ils ne font que l’aider en faisant publiquement campagne pour un État palestinien, fait valoir Lord.
« Parler de la solution à deux États est sans doute l’unique chose qui profite à Netanyahu », assure-t-il, « qui lui donne en outre l’espoir de pouvoir se retourner vers un peuple israélien, choqué et traumatisé par les événements du 7 octobre, et dire : ‘Je suis le seul à pouvoir empêcher les Américains de nous imposer un État palestinien’ ».
« Je suis d’avis que cette poussée en faveur d’un État [palestinien] est en fait contre-productive. »
Abstrait et pour l’avenir
Netanyahu, qui semble désireux de rendre public le différend sur la question à deux États, voit un avantage de politique intérieure à pouvoir dire à un Israël peu enclin aux compromis sur la sécurité qu’il n’a rien à craindre d’un autre mandataire iranien en périphérie de Jérusalem ou de Tel-Aviv, en tout cas tant qu’il sera au pouvoir.
C’est une position très largement soutenue en Israël, même s’ils sont nombreux, à Washington, à y voir une preuve de plus de la nature intransigeante de l’actuel gouvernement.
Même le président Isaac Herzog, qui n’est pas un compagnon de route de Netanyahu et est très introduit dans les cercles de gauche, en Europe comme aux États-Unis, a déclaré la semaine dernière que l’idée d’un État palestinien n’était pas pertinente à l’heure actuelle.
En Israël, « vous ne trouverez personne de sain d’esprit prêt à penser à des accords de paix », a déclaré Herzog à la tribune de Davos, « parce que tout le monde veut surtout savoir : peut-on nous promettre une vraie sécurité pour l’avenir ? »
« Israël a perdu confiance dans les processus de paix parce que son peuple voit le terrorisme porté à l’honneur par ses voisins », a ajouté Herzog.
Mais en faisant de la politique, Netanyahu rend plus difficile le soutien de Washington à sa guerre, dont la poursuite et la réussite devrait être une priorité pour les dirigeants israéliens.
« La solution à deux États est très abstraite, reléguée dans le futur », estime Oren. « Dites-leur, d’accord, nous parlerons d’une voie vers une solution à deux États après la guerre. »
D’ici là, estime M. Lord, nombre de ceux qui se chamaillent aujourd’hui pourraient bien avoir quitté leurs fonctions : « L’ironie, ici, est que la quasi-totalité des principaux acteurs qui discutent de l’avenir sont là à court terme, certains avec une possibilité de renouvellement, d’autres non. »
Netanyahu, poursuit Oren, devrait se concentrer sur « les deux choses les plus importantes, à savoir le temps et l’espace, pour que l’armée israélienne puisse travailler. Ce qui signifie pas de cessez-le-feu mais des munitions. Ce sont là nos deux seules considérations pour l’instant. »
« Nous savons que les Palestiniens ne sont pas prêts à accepter les conditions qu’Israël pourrait imposer de toute façon », ajoute-t-il.
Shavit convient que Biden ne pousse pas à des engagements fermes auxquels Netanyahu ne pourrait pas se soustraire dans l’après-guerre.
« Les Américains veulent simplement être prêts à parler d’une solution à deux États », conclut-il.
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