L’Égypte veut étouffer les éloges suscités par une attaque meurtrière à la frontière
Soucieux de ne pas nuire aux liens avec Israël, Le Caire a tenté d'empêcher que le tireur Mohamed Salah Ibrahim soit promu au rang de "martyr" - avec un succès limité

Le 5 octobre 1985, à 16h20, un soldat égyptien chargé de surveiller un poste de contrôle situé dans la station balnéaire de Ras Burqa, sur la côte de la mer Rouge, avait brandi son arme et avait ouvert le feu sur des touristes israéliens.
Sept civils dont quatre enfants avaient été tués dans cette attaque.
À l’époque, le gouvernement d’Hosni Moubarak s’était empressé de faire en sorte que le soldat, Suleiman Khater, ne devienne pas un héros national, inquiet de ne pas mettre en péril le traité de paix avec Israël qui avait été signé seulement six ans auparavant.
Les autorités avaient qualifié Khater de « malade mental » et l’individu avait été retrouvé mort dans sa cellule, quelques jours après sa condamnation à une peine de la prison à vie.
Le régime avait évoqué un suicide – mais la correspondance de Khater, partiellement publiée en 2014, avait révélé qu’il craignait que les gardiens de l’établissement pénitentiaire ne le mettent à mort.
Malgré les efforts livrés par les autorités, au Caire, les politiciens et les journalistes de l’opposition avaient rendu hommage à Khater, « héros » et « modèle », et des rassemblements de soutien avaient été organisés dans les universités égyptiennes.

En réponse, les médias pro-régime avaient noté que Khater avait abattu en majorité des femmes et des enfants – ce qui n’avait pas empêché qu’il soit fêté dans le monde arabe en général et à Téhéran en particulier.
Près de quarante ans plus tard, Le Caire a agi de la même manière en réponse à l’attaque qui a entraîné la mort de trois soldats de Tsahal, abattus par un membre des forces de sécurité égyptiennes.
Comme Moubarak, le régime d’Abdel Fattah el-Sissi a cherché à empêcher que l’assaillant ne devienne un héros national, ce qui compliquerait ses liens avec Israël.
Mais comme cela avait déjà été le cas en 1985, il semble que les tentatives du gouvernement aient largement échoué.

« Le régime veut faire disparaître le sujet de la sphère publique le plus rapidement possible », a expliqué Ofir Winter, chercheur à l’Institut d’études sur la sécurité nationale et à l’université de Tel Aviv.
Passer rapidement à autre chose
Le Caire a plusieurs raisons de vouloir tourner rapidement la page.
Tout d’abord, il craint d’être perçu comme étant dans l’incapacité de contrôler ses propres soldats.

L’Égypte tient également à faire croire au public que tout est sous contrôle, comme toujours, a noté Eran Lerman, vice-président de l’Institut de Jérusalem pour la stratégie et la sécurité et ancien directeur-adjoint du Conseil national de sécurité d’Israël.
« Cela renvoie à un schéma connu dans les médias égyptiens et dans les communications officielles – le refus d’admettre que quelque chose ne va pas », a-t-il déclaré.
Mais la principale inquiétude de Sissi semble être la nécessité d’empêcher le policier Mohamed Salah Ibrahim, qui a été tué lors d’une fusillade avec les forces israéliennes, soit promu au rang de « martyr » – et qu’il ne devienne pas une source d’inspiration pour d’éventuels autres attaquants.
Le gouvernement de Sissi n’a jamais admis que Ibrahim avait attaqué intentionnellement les soldats israéliens, affirmant au contraire qu’il poursuivait des trafiquants de drogue – coopérant en cela avec Israël dans la protection de sa frontière et sans jamais le nommer.

« Au cours de la poursuite, ce policier a franchi la barrière de sécurité et il s’est retrouvé dans une fusillade involontaire qui l’a opposé aux forces de Tsahal », a déclaré l’armée égyptienne.
En outre, l’Égypte n’a pas organisé de funérailles militaires pour Ibrahim – préférant l’enterrer rapidement dans son village natal d’Al-Amar Al-Kubra. Sa mère n’a pas été autorisée à assister à son inhumation, seulement son oncle et son frère – qui ont tous les deux été interrogés.
Les forces de sécurité ont également bouclé la maison de sa famille et limité les visites auprès de cette dernière.
« Il y a eu une tentative de conserver sa mémoire dans l’ombre afin qu’il ne devienne pas un autre Suleiman Khater », a fait remarquer Winter.

« Ce qui nous apprend – et ce qui indique au public – qu’il ne s’agit pas d’un héros ou d’un patriote, mais bien d’un terroriste qui a agi contre les ordres et contre l’intérêt national de l’Égypte », a-t-il poursuivi.
Intérêts égyptiens
L’Égypte reconnaît qu’elle partage des intérêts essentiels avec Israël, mais des signes de tension sont apparus dans les relations entre les deux pays depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement de Netanyahu, à la fin du mois de décembre.
Sissi a été l’un des derniers dirigeants arabes à féliciter Netanyahu lors de son retour au pouvoir – mais il n’a pas invité le Premier ministre à se rendre en visite officielle. L’ancien Premier ministre Naftali Bennett avait été accueilli à Charm el-Cheikh à deux reprises au cours de son très court mandat.
L’Égypte souhaite toutefois conserver une coordination étroite avec Jérusalem en matière de sécurité, notamment pour lutter contre le terrorisme et contre la contrebande de drogue dans le Sinaï. Le pays a également besoin d’une coopération continue dans les domaines de l’énergie et du tourisme, qui sont des sources importantes de devises étrangères pour l’économie égyptienne.

Dans le même temps, Le Caire souhaite renforcer l’Autorité palestinienne (AP) à Gaza aux dépens du groupe terroriste palestinien du Hamas, et aimerait qu’un accord à long-terme garantisse le maintien du calme dans la Bande de Gaza.
Les partisans de la ligne radicale qui soutiennent Netanyahu ont fait pression pour que des mesures punitives de répression soient prises à l’encontre des Palestiniens – durcissant le caractère belliqueux des relations entretenues la Bande de Gaza.
« Ce gouvernement est perçu en Égypte comme un partenaire problématique pour atteindre les objectifs fixés », a indiqué Winter.
Les médias égyptiens ont affirmé que Le Caire avait été surpris par les frappes aériennes qui ont pris pour cible les dirigeants du groupe terroriste du Jihad islamique palestinien au début de l’Opération « Flèche et Bouclier », au mois de mai – que le gouvernement avait perçues comme venant contredire les signaux envoyés depuis Jérusalem.

« Les médias d’État ont affirmé qu’Israël était passé à l’acte sur la base de calculs politiques internes de façon à stabiliser la coalition chancelante », a expliqué Winter.
Le ton employé par Sissi et par le ministère égyptien des Affaires étrangères dans leurs condamnations s’est également quelque peu durci depuis le retour au pouvoir de Netanyahu.
Lundi, le ministre égyptien des Affaires étrangères Sameh Choukri a rencontré Tor Wennesland, le coordinateur spécial des Nations unies pour le processus de paix au Moyen-Orient, et a exprimé sa profonde inquiétude face aux incursions israéliennes dans les zones palestiniennes de Cisjordanie, selon un communiqué du Caire.
Immunité
Malgré sa frustration, « l’Égypte s’efforce d’apaiser les tensions », a déclaré Nimrod Goren, chercheur principal pour les affaires israéliennes à l’Institut du Moyen-Orient. Il rappelle sa médiation à Gaza et le sommet régional de Charm el Cheikh en mars, destiné à apaiser les tensions à l’approche du ramadan.
Mais ses efforts pour limiter les louanges faites à Ibrahim dans les rues, qui depuis des dizaines d’années rejette les efforts officiels de normalisation et reste largement hostile à Israël, semblent avoir largement échoué.

« Au niveau du peuple, nous avons vu des signes d’adoration et de soutien, soulignant l’écart entre la position officielle à l’égard d’Israël et les tendances de l’opinion publique », a déclaré Goren.
Dans le discours public et sur les réseaux sociaux, nombreux sont ceux qui ont loué les actions d’Ibrahim.
« Les commentateurs, dont certains sont des opposants au régime en exil qui s’identifient aux Frères musulmans, le décrivent comme un héros national et un martyr, et justifient l’attaque contre les soldats israéliens », a déclaré Winter. « Ils considèrent cet acte comme la preuve que le peuple égyptien s’oppose à la paix. »
Dans le même temps, certaines voix en Égypte reconnaissent que la paix avec Israël sert les intérêts nationaux de l’Égypte et décrivent Ibrahim comme quelqu’un qui a porté atteinte à l’État et à ses forces de sécurité.

Malgré les griefs et les récriminations à l’égard d’Israël, l’Égypte est déterminée à montrer qu’elle est un partenaire fiable en matière de sécurité. Dimanche, de hauts responsables égyptiens de la Défense ont rencontré des officiers supérieurs de Tsahal au Caire pour leur présenter les premières conclusions de leur enquête sur l’attaque.
« La relation jouit d’une certaine immunité », a déclaré Goren.
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