Les appels du BDS sur les campus du Royaume-Uni contrecarrés par le droit
Les manifestations universitaires alimentent une hausse des actes antisémites - mais le type et l'ampleur du désinvestissement qu'elles visent sont souvent contraires à la loi
LONDRES – Pendant des décennies, la prestigieuse London School of Economics (LSE) a été considérée comme un foyer de radicalisme estudiantin et de politique de gauche.
Sans surprise, ces dernières années, ce cocktail a fait de l’université du centre de Londres un environnement nettement enflammé pour les étudiants et les visiteurs pro-Israël. En novembre 2021, par exemple, l’ambassadrice d’Israël en Grande-Bretagne, Tzipi Hotovely, avait été évacuée en urgence après qu’un grand groupe de manifestants s’eut livré à son égard à ce qu’un ministre britannique a par la suite condamné comme un « comportement agressif et menaçant ».
Mais cet été, l’école a frappé deux coups contre les manifestations anti-Israël : elle a intenté une action en justice en juin pour mettre fin à une occupation d’un mois d’un bâtiment de l’université et, le mois dernier, elle a fermement rejeté les demandes du mouvement anti-Israël Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS).
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La position de la LSE reflète l’échec des militants du BDS à faire avancer leurs objectifs sur les campus britanniques malgré une vague de manifestations anti-Israël et une recrudescence des actes antisémites au Royaume-Uni à la suite du pogrom perpétré par le groupe terroriste palestinien du Hamas le 7 octobre et de la guerre qui s’en est suivie à Gaza.
Selon la dernière analyse du Community Security Trust (CST), qui surveille l’antisémitisme et assure la protection des lieux juifs, il y a eu « une augmentation significative des actes antisémites dans les milieux de l’enseignement supérieur ». De janvier à juin 2024, on a enregistré un chiffre semestriel record et une forte augmentation de 465 % par rapport à la même période en 2023. Près des trois quarts des actes – dans lesquels les victimes ou les délinquants étaient des étudiants ou des universitaires, ou qui impliquaient des syndicats étudiants, des sociétés ou d’autres organismes représentatifs – contenaient un discours relatif à Israël, à la Palestine et au Moyen-Orient, contre 52 % de tous les incidents à l’échelle nationale.
Le CST affirme qu’aucun facteur unique ne peut expliquer la prévalence plus élevée des actes antisémites apparemment liés à l’État Juif sur les campus. Toutefois, il estime « qu’une longue tradition d’activisme anti-Israël chez les étudiants peut contribuer à un environnement dans lequel certains individus réagissent à la guerre actuelle au Moyen-Orient d’une manière antisémite ».
L’Union des étudiants juifs abonde dans le même sens. « Après une année où les étudiants juifs ont connu la pire crise d’antisémitisme sur les campus – qui continue à se dérouler – une nouvelle campagne de BDS qui cible la vie juive sur le campus est malavisée, perturbatrice et inacceptable », a déclaré un porte-parole de l’union dans un communiqué.
« Le BDS est un mouvement qui sème la discorde et qui donne la priorité à un récit unique plutôt qu’à une discussion nuancée et respectueuse. Il divise les pairs, aliène les étudiants juifs et crée une atmosphère qui peut alimenter et a alimenté l’antisémitisme sur les campus à travers le Royaume-Uni. »
Depuis le 7 octobre, les campagnes anti-Israël se sont multipliées sur les campus. Les syndicats étudiants ont adopté des motions attaquant l’État Juif et exigeant que les autorités universitaires tiennent compte des demandes du mouvement BDS.
Mais, comme cela a souvent été le cas par le passé, ce sont les événements survenus à la LSE qui ont le plus attiré l’attention des médias. À la mi-mai, des étudiants anti-Israël et pro-palestiniens ont occupé un bâtiment sur le campus central de l’école à Londres et ont dressé une liste de demandes qu’ils souhaitaient voir satisfaites s’ils devaient quitter les lieux. Ils ont notamment demandé le désinvestissement de « toutes les entreprises identifiées comme complices de crimes contre le peuple palestinien », l’interdiction pour les « représentants de l’État israélien ou les extrémistes sionistes » de prendre la parole à l’université et l’interdiction pour les « membres actifs ou réservistes de l’armée israélienne qui ont participé à des actes génocidaires ou à des crimes de guerre » de s’inscrire à l’université en tant qu’étudiants.
Les étudiants ont également demandé à l’université de publier une déclaration publique en collaboration avec les sociétés palestiniennes, islamiques et autres sociétés pro-BDS « exprimant une solidarité inébranlable avec la libération palestinienne », et de revenir sur son adoption de la définition de l’antisémitisme de l’IHRA (International Holocaust Remembrance Alliance).
Lors des cérémonies de remise des diplômes en juillet, des étudiants ont déployé des drapeaux palestiniens et des banderoles accusant l’université d’être une « institution islamophobe ». Sans surprise, Jeremy Corbyn, l’ancien dirigeant d’extrême-gauche du parti travailliste, s’est adressé aux étudiants du campement, leur disant qu’ils étaient « du bon côté de l’Histoire ».
Néanmoins, les militants anti-Israël semblent avoir largement échoué dans leurs efforts pour utiliser le conflit afin de faire avancer leur agenda.
En juin, la LSE a saisi la justice, devenant la première université britannique à engager une action en justice pour mettre fin à un campement anti-Israël sur son campus. L’administration de l’école a également adopté une ligne dure face aux demandes des étudiants en faveur du BDS.
Dans un rapport publié en juillet, le conseil d’administration de la LSE a déclaré que l’école n’adopterait pas la politique de désinvestissement demandée par les étudiants qui, en fait, englobe toutes les entreprises « qui font des affaires dans ou avec l’État d’Israël ».
Le rapport du conseil affirme que sa décision est conforme à la politique environnementale, sociale et de gouvernance de la LSE, notant « l’impossibilité de distinguer ce conflit de tant d’autres qui préoccupent différents groupes au sein de la communauté de la LSE ».
Le conseil a rejeté les demandes de soutien de l’université à la cause palestinienne, affirmant que son devoir était de préserver « la liberté d’expression et de pensée sur le campus et de protéger la liberté académique de tous nos professeurs et étudiants ». Le conflit israélo-arabe, a-t-il souligné , est « un conflit géopolitique en cours avec de nombreuses dimensions complexes sur lesquelles les membres de notre communauté ont un large éventail d’opinions et de positions ».
Le conseil a déclaré qu’il protégerait « les protestations et les critiques », avant d’ajouter « tant qu’elles ne franchissent pas la ligne du harcèlement ou de la haine et qu’elles n’entravent pas l’enseignement, la recherche et les possibilités d’apprentissage des autres ».
Apprendre de leurs homologues yankees
Inspiré par des efforts similaires aux États-Unis, l’été a vu des campements anti-Israël apparaître dans des universités à travers le pays, y compris dans les collèges d’élite du « Russell Group », tels que les universités de Cambridge, Oxford, Bristol, Manchester, Leeds, Exeter et la LSE. Dans certains cas, des militants anti-Israël ont envahi – parfois avec l’autorisation du personnel – les discours de bienvenue lors des journées portes ouvertes destinées aux futurs étudiants. Ailleurs, les examens d’été ont été perturbés, annulés ou déplacés parce que des étudiants s’étaient barricadés dans des bâtiments.
L’organisation UK Lawyers for Israel (UKLFI) a suivi de près l’évolution de la situation, avertissant les syndicats d’étudiants et les administrateurs d’universités lorsque leurs actions sont susceptibles d’enfreindre diverses lois britanniques qui réglementent le secteur de l’enseignement supérieur et ont un impact.
Les syndicats d’étudiants, par exemple, sont des associations caritatives et n’ont pas le droit de faire campagne sur des questions autres que celles qui affectent directement la vie des étudiants.
Ceux qui gèrent les fonds de pension des universités – une cible privilégiée pour les militants qui appellent au désinvestissement d’Israël et des entreprises liées à l’État juif – sont soumis à une législation complexe. Ils ne sont, par exemple, pas autorisés à prendre des décisions qui risqueraient de porter un préjudice financier important au fonds ou qui ne bénéficieraient pas d’un large soutien de la part des bénéficiaires des fonds – principalement d’anciens membres du personnel universitaire.
De manière plus générale, étant donné qu’elles dépendent des fonds publics, les universités doivent se conformer à des réglementations qui leur interdisent de laisser la politique influencer leurs décisions d’achat.
Enfin, la loi britannique sur l’égalité est stricte et interdit la discrimination, le harcèlement et la victimisation sur la base de facteurs tels que la race (qui couvre la nationalité et l’origine ethnique), la religion ou les convictions philosophiques (qui peuvent inclure l’antisionisme), tandis que la législation sur l’ordre public criminalise le langage menaçant ou abusif et l’incitation à la haine raciale ou religieuse. La loi sur le terrorisme interdit l’expression d’opinions favorables aux organisations terroristes interdites, telles que le groupe terroriste palestinien du Hamas.
L’UKLFI a demandé aux universités de prendre des mesures plus strictes pour protéger les étudiants juifs contre l’antisémitisme, le harcèlement et la discrimination, tout en les mettant en garde contre les dangers d’accéder aux demandes – souvent illégales – des militants anti-Israël sur les campus.
« Nous sommes préoccupés par le fait qu’ils répondent à ces campements illégaux en cédant, ce qui ne fera qu’aggraver les problèmes à l’avenir », a déclaré Jonathan Turner, directeur général de l’UKLFI, au Times of Israel.
« Ils ne devraient pas laisser l’intimidation des campements affecter leurs politiques. C’est une chose d’entendre des arguments raisonnés de la part de personnes se comportant de manière civilisée, mais payer, pour ainsi dire, ceux qui rendent la situation extrêmement désagréable pour de nombreux autres étudiants n’est en réalité pas la meilleure solution. »
En avril, par exemple, UKLFI avait fait savoir à l’université d’Exeter, classée parmi les meilleures universités britanniques, que la « situation actuelle » sur le campus était « inacceptable » pour les étudiants juifs.
Elle soulignait des manifestations anti-Israël hebdomadaires « extrêmement agressives » lors desquelles les participants scandaient notamment « génocide », « assassins » et « de la rivière à la mer ». Selon la lettre, les étudiants juifs sont désormais contraints de dissimuler les signes extérieurs de leur identité juive et de marcher en groupe. La lettre fait également état de cas où des professeurs ont qualifié le pogrom du 7 octobre de « résistance » et où des doctorants ont fait des commentaires « violemment antisémites » dans un groupe en ligne.
En juin, l’UKLFI a affirmé que « l’apaisement » de l’Université d’Oxford avait encouragé des perturbations qui avaient conduit à l’annulation de certains examens, tandis que d’autres s’étaient déroulés au milieu de bruyantes manifestations anti-Israël. Les copies d’examen des étudiants israéliens, juifs et sionistes, qui avaient été « la cible d’une hostilité aussi venimeuse et d’un comportement aussi menaçant », devraient être notées plus généreusement que celles des autres étudiants, a fait valoir l’UKLFI, en se référant à la loi anti-discrimination.
Le mois dernier, UKLFI a écrit au vice-chancelier de l’Université de Bristol – une autre institution britannique de premier plan – après que des manifestants anti-Israël masqués eurent perturbé les cours de la journée des visiteurs, puis aient été autorisés ou encouragés par le personnel à prononcer des discours qualifiant l’université de « complice du génocide à Gaza » parce qu’elle n’avait pas rompu ses liens avec les entreprises d’armement. Les manifestants ont déclaré aux futurs étudiants et à leurs parents que toute personne choisissant de s’inscrire à l’Université de Bristol avait le « devoir de résister » au « génocide » d’Israël. Le « discours de haine ininterrompu » et le rôle du personnel qui l’a facilité, a averti l’UKLFI, ont violé les obligations de l’université en vertu de la loi sur l’égalité.
Priorité aux fonds de pension
Un certain nombre de syndicats étudiants – y compris à l’Université de Manchester et à l’Université de Nottingham – qui ont adopté des motions appelant à des campagnes BDS ont été contraints de faire marche arrière par leurs administrateurs à la suite des avertissements de l’UKLFI et des conseils juridiques selon lesquels la défense de questions n’affectant pas directement les étudiants constituerait une violation de leur statut d’organisation caritative.
Turner estime que la situation dans les universités britanniques n’est « pas aussi grave » que celle, « horrible », de nombreux campus américains.
Néanmoins, les groupes pro-Israël ne sont pas complaisants face à la menace potentielle que représente le BDS sur les campus britanniques. Turner cite la réponse de l’Université d’Édimbourg à un campement anti-Israël, qui comprenait des instructions à son gestionnaire de fonds pour mettre en pause l’achat de nouvelles actions d’Amazon et d’Alphabet (la société mère de Google). Amazon et Google sont ciblés par le mouvement BDS parce qu’ils ont conclu des contrats avec le gouvernement israélien pour fournir de la technologie « cloud ».
Dans une lettre adressée au vice-chancelier de l’université en juin, UKLFI a averti que si l’instruction affectait le fonds de pension de l’institution, l’université pourrait s’exposer à des poursuites judiciaires.
L’UKLFI est également préoccupée par les décisions prises par l’Université d’Aberdeen en réponse à un campement d’étudiants anti-Israël.
Aberdeen s’est engagée à revoir ses investissements et ses contrats avec le géant de l’informatique HP et la société de restauration rapide Subway (HP fournit et exploite des technologies pour le gouvernement israélien, tandis que les franchises locales de Subway sont accusées d’offrir des dons en nature à Tsahal).
Bien que l’université ait répondu à la demande de boycott des institutions universitaires israéliennes formulée par le campement en défendant la liberté académique, elle a ajouté qu’elle n’avait aucun accord actif avec les universités israéliennes et qu’elle n’avait pas l’intention d’en conclure de nouveaux.
Le précédent gouvernement conservateur britannique était en train de faire passer un projet de loi anti-BDS au Parlement lorsque les élections générales ont eu lieu. Bien que le nouveau gouvernement travailliste n’ait pas proposé de relancer le projet de loi, Turner estime que les lois britanniques existantes restent « assez solides ».
Mais entre les manifestations anti-Israël sur les campus et les avocats pro-Israël qui se battent au nom de l’État juif et des étudiants juifs au Royaume-Uni, il existe une zone grise obscure qu’aucune loi ne peut traiter de manière adéquate. Parfois, comme le concède Turner, il est impossible de savoir exactement pourquoi une décision a été prise.
« Nos adversaires crient souvent victoire lorsqu’une institution se défait d’un investissement dans une entreprise israélienne ou une entreprise qu’ils ont ciblée, même si la cession a pu être décidée pour des raisons purement financières ou pour d’autres raisons ESG [environnement, social et gouvernance] », a-t-il déclaré.
« Inversement, une institution peut se désengager d’une entreprise en raison de la pression exercée par le BDS ou d’un membre du personnel occupant un poste clé qui est hostile à Israël, mais prétendre qu’il s’agit d’une cession pour des raisons commerciales ou d’autres raisons liées à l’ESG. »
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