Les femmes victimes de violences inquiètes de l’assouplissement du port d’armes
175 000 demandes de permis de port d'armes à feu ont été déposées depuis le 7 octobre ; les femmes demandent que les personnes ayant fait l'objet de plaintes pour violences domestiques ne soient pas éligibles
Depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas, le 7 octobre dernier, quelque 8 800 permis de port d’armes ont été délivrés pour des raisons de sécurité. Mais pour les organisations de femmes et de victimes de violences domestiques, cette décision est loin de procurer un sentiment de sécurité.
Lorsque quelque 3 000 terroristes du Hamas ont fait irruption dans le sud d’Israël, le matin du 7 octobre, tuant 1 400 personnes et prenant plus de 240 otages, les escadrons de sécurité civile ont été les premiers sur place face aux scènes de carnage.
Par conséquent, le ministre d’extrême droite de la Sécurité intérieure, Itamar Ben Gvir, s’est donné pour mission de multiplier ces groupes dans tout Israël et a fait l’acquisition de 10 000 fusils pour y parvenir.
Au-delà des plus de 600 escadrons existants, ce sont plus de 175 000 demandes de permis d’armes à feu qui ont été soumises par des particuliers : 8 800 d’entre elles ont déjà été traitées et les permis, accordés.
Ces derniers jours, le Forum Michal Sela, fondé par Lili Ben Ami suite à l’assassinat de sa sœur Michal Sela par son partenaire, en 2019, a mis en garde contre les risques que représente l’augmentation rapide du nombre de nouveaux détenteurs d’armes à feu et le processus de demande accéléré.
« Il est vrai que ces armes peuvent sauver des vies », a écrit l’ONG cette semaine sur X, anciennement Twitter. « Cependant, il est important que nous fassions tout ce qui est en notre pouvoir pour nous assurer que les armes ne tombent pas entre de mauvaises mains. »
L’ONG dit avoir « contacté le ministre de la Sécurité intérieure pour qu’une vérification des antécédents soit incluse dans les critères d’examen des demandes, afin de s’assurer qu’il n’y ait pas de menace ou danger d’homicide domestique », après avoir reçu plusieurs demandes de femmes victimes de violences domestiques.
Réitérant l’appel à la vérification des antécédents sur son propre compte X, Ben Ami a publié le message d’une femme anonyme qui se trouve en danger depuis l’assouplissement de la réglementation sur les armes à feu.
« J’ai décidé de mettre fin à mon mariage à cause de graves violences verbales à mon encontre et parce que mes enfants ont peur de lui », a-t-elle écrit. « J’ai trois enfants de moins de 10 ans. L’aîné dit qu’il préférerait que nous divorcions parce qu’il me parle mal : il a peur qu’il s’en prenne un jour à moi. »
Lorsqu’elle a abordé le sujet du divorce avec son mari, il l’a menacée, non pas physiquement mais verbalement, et aussi financièrement, a-t-elle confié à Ben Ami.
« Le week-end, il prend une drogue qui s’appelle ‘Docteur’ [NDLT : Le 3-MMC, une drogue de synthèse] », a-t-elle ajouté. « Il a alors des crises de colère : il jette des objets, brise des assiettes, déchire des chemises et casse des portables. Une fois, il m’a marché dessus et m’a cassé l’orteil, mais il a dit que cela n’avait rien d’intentionnel… Une fois, il a cassé la main de ma fille. »
« Et aujourd’hui, il a demandé un permis de port d’arme ».
Elle a expliqué à Ben Ami que même si elle ne craignait pas pour sa vie en ce moment, elle ne se sentait pas capable de vivre de la sorte plus longtemps, et qu’elle voulait donc demander le divorce ou la séparation.
« Mon thérapeute craint qu’une fois la séparation finalisée, il n’y ait aucun moyen de savoir comment il va réagir », dit-elle. « Je suis sur le fil du rasoir. »
Sur instructions de Ben Gvir, les critères d’éligibilité au permis de port d’arme ont été considérablement assouplis pour inclure ceux qui ont servi dans des unités de combat de Tsahal, les secouristes bénévoles et les olim, qui devaient auparavant attendre trois ans avant de pouvoir présenter une demande.
Les demandeurs de permis d’armes à feu doivent d’ores et déjà se soumettre à une vérification de leurs antécédents judiciaires, mais le Forum Michal Sela demande que toute personne ayant fait l’objet d’une plainte pour violences domestiques, même classée, soit inéligible.
En effet, de nombreuses plaintes pour violences conjugales ou agressions sont classées avant même d’avoir atteint le stade des poursuites quand ce n’est pas celle de l’enquête policière. En 2022, l’Observatoire israélien sur les féminicides relevait qu’un tiers des suspects des cas de violences domestiques avaient déjà fait l’objet de plaintes.
Selon les données les plus récentes, celles de Gun Free Kitchen Tables (GFKT), initiative de contrôle des armes à feu visant à désarmer les espaces civils en Israël, 12 femmes ont été tuées par balle en 2021, pour une moyenne de huit par an entre 2016 et 2019.
Vingt-trois femmes sont mortes de violences domestiques depuis début 2023. Mardi, Maya Glogovski, 38 ans, a été retrouvée morte à Rehovot, et son partenaire, Ben Castro, est le principal suspect.
Selon le Forum Michal Sela, Castro était obsédé par Glogovski, qu’il n’avait fréquentée que durant un mois et demi. Lorsque cette dernière a voulu rompre, il l’a convaincue de monter en voiture avec lui : il l’a alors poignardée à mort avant de s’enfuir, laissant son corps dans la voiture.
C’est le propre père de Castro qui est allé le dénoncer à la police après que ce dernier ait avoué le meurtre. Il a été interpelé peu de temps après.
Étudiante en troisième année de médecine à l’université de Tel Aviv, la victime était, selon ses amis qui s’en sont ouverts aux médias israéliens, enjouée et intelligente.
Depuis le 7 octobre, le ministère des Affaires sociales et de la Sécurité sociale a reçu pas moins de 269 appels de personnes vivant dans des foyers violents ou potentiellement abusifs, a rapporté mercredi la Douzième chaîne.
Ce fait, ajouté au meurtre brutal de Glovoski, aggrave les craintes que la guerre ne conduise à une situation similaire observée en 2020, lorsque la pandémie de COVID-19 a entraîné une augmentation de 315 % des cas de violences domestiques.
« La phrase que j’entends le plus souvent, c’est ‘ce n’est pas le moment’ », explique Rivka Neumann, cheffe de la Division de la promotion de la femme à la Women’s International Zionist Organization, à la Douzième chaîne. « Les femmes qui souffrent de violences aujourd’hui ont le sentiment que l’enfer personnel qu’elles vivent, ou l’endroit violent et dangereux dans lequel elles évoluent, est éclipsé par ce qui se passe à l’extérieur, les actes sadiques et la folie meurtrière dont nous avons été témoins, les menaces existentielles. »
« Pourtant, ce qui vous arrive peut mettre votre vie en danger », insiste-t-elle. « Ce qui se passe par ailleurs n’annule pas le mal qui est fait aux femmes. »