Israël en guerre - Jour 373

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Analyse

Les Gazaouis paieront un lourd tribut pour la « 10ème [guerre] du Ramadan »

Dans la bande côtière, on s’émerveille du fait que le petit Hamas pousse cinq millions d’israéliens aux abris

Avi Issacharoff est notre spécialiste du Moyen Orient. Il remplit le même rôle pour Walla, premier portail d'infos en Israël. Il est régulièrement invité à la radio et à la télévision. Jusqu'en 2012, Avi était journaliste et commentateur des affaires arabes pour Haaretz. Il enseigne l'histoire palestinienne moderne à l'université de Tel Aviv et est le coauteur de la série Fauda. Né à Jérusalem , Avi est diplômé de l'université Ben Gourion et de l'université de Tel Aviv en étude du Moyen Orient. Parlant couramment l'arabe, il était le correspondant de la radio publique et a couvert le conflit israélo-palestinien, la guerre en Irak et l'actualité des pays arabes entre 2003 et 2006. Il a réalisé et monté des courts-métrages documentaires sur le Moyen Orient. En 2002, il remporte le prix du "meilleur journaliste" de la radio israélienne pour sa couverture de la deuxième Intifada. En 2004, il coécrit avec Amos Harel "La septième guerre. Comment nous avons gagné et perdu la guerre avec les Palestiniens". En 2005, le livre remporte un prix de l'Institut d'études stratégiques pour la meilleure recherche sur les questions de sécurité en Israël. En 2008, Issacharoff et Harel ont publié leur deuxième livre, "34 Jours - L'histoire de la Deuxième Guerre du Liban", qui a remporté le même prix

Tir de roquettes depuis la bande de Gaza (Crédit : Menahem Kahana/AFP)
Tir de roquettes depuis la bande de Gaza (Crédit : Menahem Kahana/AFP)

A 23h mardi, pendant la demi-finale de la coupe du monde entre le Brésil et l’Allemagne, les rues de Gaza étaient désertes – et non pas à cause du match.

Quelques jours plus tôt, au moment des quarts de finale, les cafés sur les plages étaient remplis d’hommes qui étaient venus regarder le match et fumer le narguilé.

Mais mardi et le jour suivant, quand la deuxième demi-finale a eu lieu, les habitants de Gaza sont restés à la maison par peur de frappes aériennes israéliennes.

Avec une augmentation du chômage qui est monté à 44 % et la pauvreté critique qui touche près des deux-tiers de la population du territoire côtier, le désespoir n’est pas facile à supporter dans la bande de Gaza.

Un expert qui réside à Gaza a plaisanté en me parlant au téléphone à partir de là-bas : « les gens sont encore plus profondément désespérés après le premier match car ici la majorité des personnes est pour le Brésil ».

Il a également déclaré que le Gazaoui moyen tient Israël pour responsable de la dernière escalade.

« Les gens ici pensent que [le Premier ministre Benjamin] Netanyahu utilise l’enlèvement [et le meurtre des trois adolescents israéliens le mois dernier, apparemment par le Hamas] pour mettre fin aux négociations avec [le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud] Abbas et nuire à la réconciliation et au Hamas. Jusqu’à présent, Netanyahu a atteint deux objectifs – attaquer la réconciliation et mettre la fin aux négociations avec l’Autorité palestinienne ».

Je lui ai demandé ce que le Hamas voulait obtenir. Après tout, il a commencé l’escalade de la violence.

« D’abord et avant tout, forger une nouvelle relation avec le Caire », a-t-il affirmé. « Ils ont nommé cette guerre, ‘la dixième [guerre] du Ramadan’. Savez-vous quelle autre guerre porte le même nom ? La guerre du Kippour. C’est un cadeau pour l’armée égyptienne, expliquaient-ils. Ils demandent même que les blessés soient évacués en Egypte pour être traiter. Au final, ils veulent que le passage de Rafah ouvre et construire une nouvelle relation avec le président, Abdel Fattah el-Sissi ».

« Jusqu’à présent, le Hamas a été isolé », poursuit-il. « Ils ne peuvent pas du tout quitter Gaza. Il n’y a plus de tunnels [pour faire entrer le matériel de contrebande dans la bande de Gaza. Ils ont été fermés par l’Egypte]. Les prix continuent d’augmenter et la réconciliation les a blessés. Là, c’est leur façon de changer la donne. Depuis que les frappes israéliennes ont commencé, ils ont gagné une grande popularité dans les rues palestiniennes : ils ont réussi à tirer sur Tel Aviv, comme seul Saddam Hussein l’avait fait avant eux. Ils ont tiré sur le réacteur de Dimona à Haïfa. Le petit Hamas a été en mesure de conduire cinq millions d’Israéliens dans les abris. Aux yeux des habitants moyens de Gaza, c’est une grande réussite. En attendant, ils continuent à faire ce qu’ils veulent. Même les responsables de l’Autorité palestinienne (dont les salaires sont payés par Abbas) ont peur d’approcher les banques après que des militants armés aient tiré sur les distributeurs automatiques et les banques où ils collectent leurs salaires ».

Selon ce spécialiste de Gaza, l’offensive agressive israélienne et les victimes innocentes n’ont servi qu’à renforcer le soutien populaire pour les dirigeants islamistes de la bande de Gaza.

« Ils veulent mettre en place un nouveau gouvernement, une fois que ça sera fini. Ils veulent être à nouveau dans le jeu, et ne pas être ceux qui se sont rendus à Abbas et Israël ».

Et pourtant, il n’est pas du tout certain que le Hamas ait beaucoup réfléchi avant de décider d’entrer en guerre. Oui, il est évident qu’ils se sont préparés à l’avance pour un tel scénario, en identifiant les cibles et en planifiant des opérations spéciales.

Mais même dans notre région, une telle décision est généralement précédée de nombreuses discussions à un haut niveau, d’une planification en amont et parfois même d’une stratégie de sortie. L’agresseur va généralement avoir des objectifs clairs avant de prendre la décision de s’engager dans la violence.

Mais la dernière confrontation entre le Hamas et Israël expose un phénomène qui n’est pas bien connu dans notre région : le cas d’une entité terroriste semi-militaire, le Hamas, allant à la guerre contre un ennemi plus fort que lui, Israël, non pas pour l’amener à adhérer à ses exigences, mais pour obliger une troisième et une quatrième entité à y accéder.

Le Hamas s’est engagé dans la guerre sans avoir vraiment réfléchi à sa stratégie de sortie. Il espère que l’Egypte va changer d’attitude à son égard et qu’il réussira à mettre fin aux efforts de réconciliation palestinienne une bonne fois pour toute.

Israël, il semblerait, a été entraîné contre sa volonté dans la lutte pour la survie du Hamas contre l’Egypte et l’Autorité palestinienne.

Pourquoi maintenant ?

L’escalade délibérée des tirs de roquettes vers Israël dans les jours précédents le début des combats semble être une improvisation née du fait que le Hamas ait pris conscience de la réalité changeante. Et si nous prenons un moment pour essayer d’analyser ce qui s’est passé ici au cours de ces dernières semaines, il devient évident que le Hamas agit de manière ad-hoc, sans aucune stratégie.

Dans un premier lieu, il y a eu l’enlèvement et le meurtre des trois adolescents israéliens par une cellule du Hamas à Hébron. Israël n’a pas la preuve que la direction de l’organisation dans la bande de Gaza ou à l’étranger est à l’origine de cet acte, mais il est clair que quelqu’un, qui n’est pas encore connue, a investi des ressources et des fonds importants dans l’enlèvement. Il devait apparemment avoir l’intention de prendre en otage des Israéliens et négocier avec Israël leur libération.

Les enlèvements ont conduit à une vaste opération de l’armée en Cisjordanie visant l’infrastructure militaire et civile du Hamas. Des centaines de membres du Hamas ont été arrêtés, les institutions financières ont été fermées et, pire que tout pour le Hamas, plus de 50 membres du Hamas, qui ont été libérés lors de l’échange de prisonniers pour libérer le soldat Gilad Shalit en 2011, ont été à nouveau arrêtés par les forces de sécurité israéliennes.

La grande réussite du Hamas, la libération de 1 027 prisonniers en échange d’un seul soldat israélien il y a tous justes trois ans, a été réduite à néant par la décision d’Israël de punir l’organisation pour le dernier enlèvement en date et le meurtre qui a suivi en arrêtant ses hommes.

Manifestants israéliens protestant contre la libération de prisonniers palestiniens en août 2013. Il est écrit sur la pancarte : Formulaire de sortie de prison (Crédit  : Flash 90)
Manifestants israéliens protestant contre la libération de prisonniers palestiniens en août 2013. Il est écrit sur la pancarte : Formulaire de sortie de prison (Crédit : Flash 90)

Mais il y a deux autres facteurs principaux qui ont conduit le Hamas à entrer en guerre contre Israël. Le message d’Abbas à l’organisation à la suite de l’enlèvement a été clair et direct : quand nous saurons qui est derrière la mort de ces adolescents, nous allons punir les auteurs. Et puis il y a l’impasse avec l’Egypte – les tunnels fermés et le gouvernement du Caire qui traite le Hamas comme une bande de terroristes qui a compromis la sécurité de l’Egypte et a forcé le blocus sur Gaza.

Et pourtant, jusqu’au meurtre de l’adolescent de 16 ans, Mohammad Abou Khdeir de Shuafat, le 2 juillet, il n’était pas évident que le Hamas voulait d’une escalade de la violence. L’opinion répandue dans l’establishment de la défense au cours de ces dernières années, jusqu’à lundi, était que la direction de l’organisation de Gaza cherchait à s’accrocher à tout prix au contrôle de la bande en utilisant tous les moyens nécessaires.

Il est possible que la réaction des Israéliens arabes au meurtre de Khdeir, couplé avec les violents affrontements à Jérusalem-Est, ont conduit la direction du Hamas dans la bande de Gaza et à l’étranger à réaliser qu’il y avait une opportunité à saisir. Ils avaient l’occasion de profiter de la dynamique créée par tous ces Palestiniens qui voulaient se venger pour surfer sur la vague de leur admiration.

Il se pourrait aussi que l’arrogance habituelle du Hamas et du Hezbollah envers Israël soit entrée en jeu – en d’autres termes, ils partent de l’hypothèse que les tirs de roquettes sur Israël ne déclencheraient pas une réaction trop agressive en raison de la crainte de Jérusalem de sombrer dans une guerre (cela fait écho à la théorie de la « toile d’araignée » étayée en 2000 par le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui a affirmé qu’Israël n’était pas en mesure de faire à une guerre malgré sa puissance militaire).

Apparemment, l’hypothèse du Hamas est qu’en luttant contre Israël, l’organisation serait en mesure de gagner le soutien de la rue palestinienne et réussir à changer l’attitude de l’Egypte envers elle – ce qui pourrait résulter à l’ouverture du passage de Rafah.

Il espère aussi qu’une fois que cette guerre sera finie, il pourra mettre en place un nouveau gouvernement en Cisjordanie qui comprendrait des membres des différents groupes et mouvements. Il pense pouvoir profiter pleinement de la coopération du Caire et prendre tout le gâteau et laisser Abbas échoué dans la Muqata à Ramallah car la rue palestinienne le considérerait comme un collaborateur avec Israël.

Les conditions du Hamas pour un cessez-le ont été transmises pour la première fois dimanche. Elles ont révélé que ce qu’il voulait était une escalade de la violence. Il y avait des conditions sur la liste qui n’avaient rien à voir avec Israël, comme la levée du blocus sur Gaza (c’est-à-dire l’ouverture du passage de Rafah).

Mais, à Kirya, à Tel Aviv, les hauts gradés de l’establishment de la défense israélienne n’ont pas encore compris que quelque chose avait changé, que la décision a été prise par le Hamas de lancer une guerre totale. En effet, ce n’est que lundi soir qu’Israël a réalisé que le Hamas n’était plus dans le même état d’esprit qui l’avait caractérisé ces dernières années et était en train de pousser vers une escalade.

Gershon Baskin, qui était le médiateur entre le Hamas et Israël qui a négocié l’accord Shalit, a apparemment essayé ces derniers jours de négocier un cessez-le feu temporaire. Baskin, qui ne peut pas être considéré comme un sympathisant israélien, a écrit au sujet de ses efforts sur sa page Facebook.

Dans l’une de nos conversations mercredi, il a souligné à de maintes reprises qu’ « il est clair pour moi qu’ils [le Hamas] ne veulent pas d’un cessez-le feu. Lorsque l’escalade a commencé, ils ont eu l’occasion de relayer leurs conditions à Israël par Abbas. Ils ont affirmé qu’ils n’avaient pas enlevé les trois [adolescents] et que ça n’avait rien à voir avec eux. Bon, admettons que ce soient le cas. Et ils ont affirmé qu’Israël a profité de la situation pour leur faire du mal. Vous pouvez accepter cette déclaration ou vous pouvez la rejeter ».

« Mais ils voulaient susciter une réponse. Ils savaient que l’offensive israélienne contre la bande de Gaza permettrait d’améliorer leur statut auprès du public. Ils savaient aussi que, compte tenu des divergences d’opinion au sein du Hamas, la seule chose qui pouvait les unir serait un conflit avec Israël. Et que plus les attaques d’Israël contre eux seraient brutales, plus ils deviendraient forts. »

« Avant le début de l’escalade », poursuit Baskin, « J’ai essayé de les convaincre que Netanyahu était sérieux cette fois et qu’il pourrait lancer une opération terrestre. C’est pourquoi j’ai suggéré qu’ils acceptent d’arrêter les tirs de roquettes pendant 24 heures, uniquement, sans rien obtenir en retour. Pendant ce temps, ils devaient relayer leurs conditions à Israël par Abbas. Il n’y aurait eu aucun mal à faire ça. Mon message a même été transmis à Khaled Mashaal [le chef politique du Hamas], mais il n’y a eu aucune réponse. Au lieu de cela, ils ont intensifié les tirs de roquettes. Maintenant, ils déclarent qu’ils demandent la libération des centaines de prisonniers qui ont été arrêtés pendant l’opération de l’armée qui a suivi l’enlèvement des adolescents, en particulier ceux qui ont été à nouveau arrêtés alors qu’ils avaient été libérés dans l’échange
Shalit ».

Baskin affirme que dans les ailes politiques et militaires du Hamas, il y a des personnes qui sont mécontents de la réconciliation avec Abbas et ne veulent pas qu’elle ait lieu. Il est possible, explique-t-il, que l’escalade est leur façon de s’affranchir du pacte de réconciliation.

Haïfa, ville de l’avenir

Pendant ce temps, mercredi soir, lors d’un discours au Qatar, Mashaal a déclaré la guerre. Son discours contenait une quantité considérable d’orgueil et d’arrogance ainsi que la promesse vide que « si l’occupation ne s’arrête pas, Haïfa sera bombardée ».

Qu’est-ce Meshaal essayait de dire exactement ? C’est difficile à dire. Il a surtout enchainé les slogans, sans donner plus de précisions sur les conditions du Hamas pour accepter un cessez-le feu.

Dans une large mesure, son discours m’a rappelé l’orgueil démesuré de Nasrallah au début de la seconde guerre du Liban en 2006, lorsque, encore grisé par l’enlèvement réussi des soldats de l’armée israélienne Eldad Regev et Ehud Goldwasser, il se vantait encore et encore des capacités exceptionnelles de son organisation, atteignant ainsi la célébrité au Liban et dans d’autres pays arabes. Ce n’est qu’une fois la guerre finie qu’il a admis avoir fait une erreur et sa position dans l’opinion publique arabe a commencé à s’étioler lentement.

Il reste à voir comment les affrontements actuels à Gaza vont se dérouler. Mashaal va probablement rester dans la capitale du Qatar, à Doha, en toute sécurité. Les dirigeants du Hamas vont se cacher dans les tunnels en dessous de Gaza et vont s’en sortir indemne. Les roquettes vont continuer à s’abattre partout en Israël, dans le sud, dans le Gush Dan et au nord du Dan.

Mais le plus lourd tribut sera payé par le public de Gaza, le public qui embrasse le Hamas en ce moment. En écho aux suites de la guerre de 2006, ils sont peu susceptibles de continuer à embrasser le Hamas après le cessez-le-feu, quand ils découvriront que presque rien n’a changé, et certainement pas pour le mieux. Gaza, il semblerait, sera toujours la bande de Gaza après cette guerre aussi.

Le mausolée du Bab à Haifa (Crédit : Zvi Roger/Municipalité de Haïfa/CC BY 3.0)
Le mausolée du Bab à Haifa (Crédit : Zvi Roger/Municipalité de Haïfa/CC BY 3.0)

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