Les islamistes marginalisés dans le nouveau gouvernement marocain
Après avoir remporté les législatives en octobre 2016, le candidat des islamistes du PJD avait obtenu le poste de Premier ministre avant d'être limogé
Un nouveau gouvernement dirigé par Saad-Eddine El Othmani a été nommé mercredi 5 avril au Maroc, avec une montée en puissance de libéraux ayant la confiance du Palais et la marginalisation des islamistes arrivés en tête des dernières législatives.
Ces dernières années, la pression des islamistes en politique s’était accrue au Maroc, parallèlement à des manifestations d’antisémitisme et d’antisionisme (comme lors de la manifestation d’octobre 2015 où des ‘juifs’ en chapeau haut-de-forme étaient menés au bout de fusils) qui étaient apparues plus fréquemment au Maroc, ainsi que des propositions de lois visant à bannir tout lien du royaume avec Israël.
Les 39 ministres du cabinet ont été désignés par le roi Mohammed VI, a rapporté l’agence de presse marocaine officielle MAP.
Une seule femme est nommée ministre dans ce nouveau gouvernement: Bassima Hakkaoui, qui s’est vue confier le portefeuille de la Famille, de la Solidarité, et de l’Egalité. Huit femmes sont par ailleurs secrétaires d’Etat.
La formation du gouvernement met fin à de très laborieuses négociations entre partis depuis les élections législatives du 7 octobre 2016, remportées par le parti islamiste Justice et développement (PJD) qui avait obtenu 125 sièges sur 395. Il n’hérite dans cette nouvelle formation d’aucun ministère stratégique.
L’ancien Premier ministre Abdelilah Benkirane, également secrétaire général du PJD, avait été reconduit à son poste mais n’étant pas parvenu à former une majorité, le roi l’avait remplacé à la mi-mars par le numéro deux du parti, Saad Eddine El Othmani, 61 ans.
La nouvelle majorité comprend le PJD, son allié du Parti du progrès et du socialisme (PPS, communiste), le Rassemblement national des indépendants (RNI, libéraux), le Mouvement populaire (MP), l’Union constitutionnelle (UC) et l’Union socialiste des forces populaires (USFP).
Au regard de son score électoral, le PJD a décroché relativement peu de ministères d’importance.
Il a obtenu les portefeuilles du Transport (Abdelkader Amara), de l’Energie et des Mines (Aziz Rebbah), de l’Emploi (Mohammed Yatim) ou encore de la Famille (Bassima Hakkaoui), selon la liste publiée par la MAP.
Il n’obtient cependant pas l’important ministère de la Justice, qu’il voulait garder, ni plusieurs portefeuilles stratégiques qu’il convoitait.
Les ministères de souveraineté que sont les Affaires étrangères, l’Intérieur, la Défense et les Affaires islamiques, sur lesquels les partis n’ont traditionnellement pas leur mot à dire, seront dirigés respectivement par Nasser Bourita, Abdelouafi Laftit et Abdellatif Loudiyi (reconduit) et Ahmed Toufiq.
L’ancien ministre de l’Intérieur, Mohamed Hassad, devient ministre de l’Education.
Le Rassemblement national des indépendants (RNI), un parti libéral arrivé pourtant quatrième au scrutin d’octobre avec 37 sièges, s’est vu, lui, attribuer des postes convoités, notamment les ministères du pôle économique (Economie, Industrie, Agriculture) qu’il continuera de diriger.
Son patron, Aziz Akhannouch, l’une des plus grosses fortunes du continent décrit comme un homme de confiance du Palais, a comme attendu été reconduit à son poste de ministre de l’Agriculture et de la Pêche maritime.
‘Contrer le PJD’
C’est en raison des profondes divergences avec lui que Benkirane avait buté sur la constitution d’une majorité, Akhannouch multipliant notamment les conditions pour sa participation au gouvernement.
Psychiatre de formation, El Othmani a cédé aux exigences d’Akhannouch, principalement la présence de l’USFP au sein de la nouvelle coalition, une question considérée jusqu’alors comme une ligne rouge par Benkirane et d’autres cadres du PJD.
Proche du roi, Akhannouch est considéré par une partie de la presse comme une courroie de transmission du Palais.
« El Othmani a accepté sans ciller des conditions que Benkirane avait refusées, avec le soutien de son parti. Ces conditions ont été imposées par Akhannouch, et donc par le Palais », résumait ainsi l’hebdomadaire TelQuel.
Le politologue Mohamed Madani voit dans l’éviction de Benkirane le résultat de « cinq mois de mise en place d’un nouveau contre-poids, en donnant une marge de manœuvre importante à Akhannouch, qui s’est entouré d’un cartel de partis pour contrer le PJD ».
« La monarchie essaye de reprendre la main et revoir la carte du champ institutionnel de sorte à ce que le PJD ne reste plus la force dominante », décrypte-t-il pour l’AFP.
Les concessions faites par El Othmani suscitent des remous au sein du PJD, déjà affaibli par la mise à l’écart de son chef et artisan de ses succès électoraux, après une victoire historique en 2011.
« La forteresse PJD commence à s’ébranler », au moment où « plusieurs figures influentes au sein du PJD désapprouvent la coalition gouvernementale formée », écrit la presse marocaine.
Traditionnellement au Maroc, les lignes idéologiques comptent peu ou pas, alors que le roi, arbitre au dessus des parti et maître du jeu politique, garde la haute main sur les affaires étrangères, la défense ou encore les secteurs clé de l’économie.