Les Juifs qui ont construit une ville sur le rock and roll (et le klezmer)
Comment un groupe musical courageux a formé une communauté juive sous le régime soviétique

KAZAN, Russie (JTA) – Lorsque les six membres du groupe de klezmer Simcha ont amené leurs instruments dans un espace de répétition délabré, personne ne se doutait qu’ils étaient sur le point de détourner un bâtiment gouvernemental dans cette grande ville coquette située à quelque 700 kilomètres à l’est de Moscou.
Mais c’est exactement ce qui est arrivé en 1995, lorsque ce groupe populaire – fondé en 1989 par des musiciens juifs durant les années du crépuscule de l’Union soviétique – est entré dans la Maison de l’Enseignant, un bâtiment contrôlé par le gouvernement qui avait jadis été une synagogue. Depuis trois ans, les responsables municipaux s’étaient engagés à rendre le bâtiment à la communauté juive.
Mais les membres du groupe musical en avaient assez des promesses vides. Déterminés à ce que le maire tienne sa parole, les musiciens sont restés barricadés à l’intérieur pendant trois jours alors que la police se préparait à prendre le bâtiment d’assaut.
Le bras de fer a pris fin quand la ville a renoncé à la synagogue, en la cédant officiellement l’année suivante à la communauté juive forte de 8 000 membres.
Dans cette partie de la Russie, près de l’Oural qui sépare l’Europe de l’Asie, Simcha a été la cheville ouvrière de la croissance et de la force de la communauté juive et un symbole de la volonté des Juifs de préserver leur identité religieuse et culturelle en pleine persécution.
‘Je ne connais pas de groupes klezmer hormis le nôtre qui soit devenu une communauté juive’
« Beaucoup de communautés juives russes ont adopté des groupes klezmer, » a expliqué Eduard Tumansky à JTA, l’actuel leader du groupe, après un concert en septembre célébrant le centenaire de la synagogue. « Mais je ne connais pas de groupes klezmer hormis le nôtre qui soit devenu une communauté juive ».
Le violoniste Leonid Sonts, qui a fondé Simcha, « a utilisé des activités musicales comme véhicule pour la construction d’une communauté juive bien avant que le culte soit à nouveau autorisé à Kazan », a déclaré le rabbin Chabad de la ville, Yitzhak Gorelick.
Sonts, qui a ouvert en 1987 un centre culturel juif, Menorah « a utilisé le groupe pour transformer des événements musicaux en événements culturels-religieux », se souvient Tumansky. « Nous jouions pendant les fêtes. Avant que les Juifs [de Kazan] n’aient une synagogue, ils se réunissaient lors des concerts de Simcha. Simcha est devenu le moteur de la vie juive.
« Simcha était la principale plate-forme de lobbying et le visage de la communauté juive, » a-t-il dit. « Alors, avec l’effondrement de l’URSS, nous avions déjà de solides partenariats. Tout le monde à Kazan connaissait Simcha. »
Plus tard, la communauté a engagé un rabbin pour sa synagogue et a construit une école juive – institutions qui ont repris la tâche de servir d’axe pour la vie juive. Sonts est devenu le président de la communauté juive de Kazan – un rôle qu’il a conservé jusqu’à son décès en 2001.

En rendant la Maison de l’Enseignant, les autorités de Kazan ont fait plus que de donner une synagogue aux Juifs: Ils ont fait d’elle et de la communauté des attractions touristiques.
Depuis 2012, la ville organise autour de Rosh Hashana un festival annuel de musique juive. Et l’année dernière, la ville a organisé une série d’événements sur le thème juif devant la synagogue, dont le premier colloque d’études juives Limmud FSU de Kazan et un congrès des rabbins Chabad de l’ex-Union soviétique.
Les événements ont attiré un mélange invraisemblable de Juifs laïcs et religieux, qui ont inondé les larges rues piétonnes pavées de rouge, de la Vieille Ville de Kazan, avec ses mosquées et ses églises orthodoxes russes aux clochers dorés.
Les Juifs locaux disent qu’ils se sentent en sécurité au sein de la majorité musulmane sunnite dans l’Etat russe de Tatarstan, dont Kazan est la capitale.
‘Je sais qu’ils ont des problèmes avec les Musulmans en Europe occidentale, mais je ne crains pas ici que quelqu’un me dérange’
« Je porte régulièrement mes tefilin en attendant le métro le matin », dit Gershon Ilianski, 16 ans, élève au lycée juive local. « Je sais qu’ils ont des problèmes avec les Musulmans en Europe occidentale, mais je ne crains pas ici que quelqu’un me dérange. »
Il y a trente ans, cependant, lorsque la Russie était encore communiste, les Juifs, les Musulmans et les Chrétiens avaient besoin d’un alibi non-religieux pour le culte.
« Simcha se produisait lors de fêtes organisées à Pourim et à Hanoukka en camouflant le caractère religieux et communautaire de ces événements », se souvient Tumansky. « Pour la communauté, les concerts étaient [considérés] comme un événement juif. Pour les autorités, comme un événement musical. »
Malgré tout, ces rencontres musicales étaient interdites ailleurs en nion soviétique, où le gouvernement communiste cherchait à effacer les identités ethniques. Cette politique était appliquée moins strictement à Kazan, dont la population était profondément attachée à l’islam et à son patrimoine.
« Moscou a réalisé qu’ici il ne pouvait pas trop restreindre les habitants sur les questions de religion et de tradition, car il y aurait eu trop d’aliénation », a expliqué Chaim Chesler, fondateur de l’organisation Limmud FSU. « Le résultat est un exemple inspirant de coexistence. »

Cette atmosphère de tolérance à Kazan pendant l’ère soviétique a attiré des centaines de Juifs d’autres parties de l’URSS. À une époque où certaines universités plus proches de Moscou étaient interdites aux Juifs, ils étaient acceptés sans problème dans les établissements d’enseignement supérieur de Kazan, a déclaré Sonts, natif d’Ukraine dans une interview qu’il a donnée aux médias locaux avant sa mort.
Lorsque l’Union soviétique s’est effondrée en 1991, Kazan avait déjà une communauté juive active – quelque chose qui aurait pris des années à se développer dans d’autres villes russes.
Cette longueur d’avance a signifié que les dirigeants laïcs juifs ont été en mesure d’avoir une approche plus pratique pour le développement de leur communauté.
Par exemple, contrairement à la plupart des autres communautés juives russes, Kazan emploie à temps plein son rabbin Chabad, Gorelick. Ailleurs en Russie, les rabbins travaillent souvent indépendamment de la communauté, parfois en concurrence avec ses responsables laïcs pour les dons de philanthropes locaux.
En septembre dernier, la communauté a célébré sa force aux côtés du centenaire de sa synagogue en dédiant les rénovations suivantes de la synagogue. Tumansky, portant son chapeau noir qui le caractérise, s’est produit avec cinq autres musiciens de Simcha devant une foule de plusieurs milliers de personnes devant la synagogue.
« Il est vrai que nous sommes maintenant l’attraction de la communauté, que nous avions l’habitude de diriger, » dit-il de la bande. « Mais là encore, c’est exactement pour quoi nous nous sommes battus : avoir une communauté normale. »
Le concert était peu orthodoxe; tandis que Simcha jouait principalement du klezmer, il y avait des guitares électriques et des influences notables de country music. Après chaque solo, la foule, composée de Juifs et de non-Juifs, réagissait avec enthousiasme en agitant des ballons bleus et blancs portant une étoile de David.
« Dis-moi », a démandé Tumansky à un journaliste après le spectacle. « Avez-vous déjà vu une communauté juive construite sur le rock and roll ? »
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