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Interview

Les mauvais jeux de l’administration Obama sur l’accord iranien

L’équipe américaine a ignoré tous les conseils, déclare Emily Landau, créant une situation où l’on ne pouvait pas critiquer l’accord avant qu’il ne soit obtenu et on ne peut pas le faire maintenant non plus

Eric Cortellessa couvre la politique américaine pour le Times of Israël

Le président américain Barack Obama, avec le vice-président Joe Biden (à gauche), prononce une allocution dans la East Room de la Maison Blanche, le 14 juillet 2015 à Washington. (Crédit : Andrew Harnik / AFP)
Le président américain Barack Obama, avec le vice-président Joe Biden (à gauche), prononce une allocution dans la East Room de la Maison Blanche, le 14 juillet 2015 à Washington. (Crédit : Andrew Harnik / AFP)

La conservation et l’intensification du régime de sanctions américaines imposé à l’Iran, – même en l’absence d’un régime strict de sanctions internationales -, pourrait conduire à un meilleur accord que celui obtenu le mois dernier à Vienne, a déclaré une experte israélienne.

Emily Landau, chef du programme de contrôle des armes et de la sécurité régionale à l’Institut pour les Etudes de Sécurité Nationale à l’Université de Tel Aviv, est l’une des observatrices du programme nucléaire iranien.

Dans un entretien avec le Times of Israel, elle a déclaré que l’accord obtenu entre les puissances P5+1 et l’Iran le 14 juillet était le résultat de « négociations ayant échoué ».

Un accord adéquat, a-t-elle déclaré, inclurait un démantèlement de la plupart de l’infrastructure nucléaire de l’Iran, l’imposition d’inspections « n’importe où, n’importe quand » en réponse à des activités suspectes, demander au régime de répondre à 12 questions critiques posées par l’Agence International à l’Energie Atomique (AIEA) concernant le travail militaire passé pour satisfaire l’agence, et lier la levée des sanctions au respect par l’Iran de ces conditions.

Elle a pourtant souligné que ses préoccupations au sujet de l’accord sont également liées « au langage ambigu » utilisé dans l’accord qui pourrait « permettre à l’Iran de manipuler l’accord de la même manière qu’ils l’ont fait avec les accords passés ».

Pendant une heure dans son bureau à Tel Aviv, Landau a abordé les défauts de l’accord, le débat au sein des législateurs américains, et quelles seront les options à disposition si l’accord est rejeté.

Times of Israel : Imaginons que les opposants au Congrès soient capables de rassembler une majorité de deux tiers nécessaire pour outrepasser le veto présidentiel et ainsi rejeter l’accord. Que se passerait-il ensuite ?

La vérité est que nous ne savons pas ce qui pourrait se passer après. Nous savons que l’administration a déclaré que cela constituerait un grand désastre, que cela irait à l’encontre des alliés américains.

Ils soulignent que l’accord a été adopté par le Conseil de Sécurité des Nations unies et que rejeter ce qui a été accepté par le reste de la communauté internationale aurait d’importantes et de terribles conséquences, y compris la guerre. Mais c’est la situation que l’administration a essayé de créer.

Le Secrétaire d'Etat américain John Kerry (g), le ministre britannique des Affaires étrangères Philip Hammond (2ème g), le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov (4g), le ministre allemand des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier (7e g), le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius (8g) et le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi (9g) attendre avec les autres avant le début d'une réunion avec le P5 + 1, l'Union européenne et des responsables iraniens à Lausanne, Suisse, le 30 mars 2015 (Crédit : AFP / POOL / BRENDAN SMIALOWSKI)
Le Secrétaire d’Etat américain John Kerry (g), le ministre britannique des Affaires étrangères Philip Hammond (2ème g), le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov (4g), le ministre allemand des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier (7e g), le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius (8g) et le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi (9g) attendre avec les autres avant le début d’une réunion avec le P5 + 1, l’Union européenne et des responsables iraniens à Lausanne, Suisse, le 30 mars 2015 (Crédit : AFP / POOL / BRENDAN SMIALOWSKI)

Il y a quelques semaines, le président Obama a averti que si l’accord n’est pas accepté, des roquettes tomberont sur Tel Aviv.

Exact, et les gens ont aussi la mémoire courte. L’administration Obama disait au Congrès, « Ne tirez pas tout de suite ». Ils ont effectivement utilisé cette expression, « ne tirez pas tout de suite », au Congrès.

L’argument était de dire, « Attendez de voir ce que l’on fait, attendez de voir quels sont les détails de l’accord sur la table. On ne peut pas critiquer quelque chose avant d’avoir vu ce qui est dans l’accord ».

C’était le message venant de l’administration pendant toutes les négociations. Ensuite, une fois que l’accord est finalisé, on ne peut plus le critiquer, parce que nous perderions tout et les conséquences seraient catastrophiques. C’est digne du roman Catch 22 [de Joseph Heller].

Alors que pensez-vous donc du débat actuel qui a lieu au Congrès ?

Le premier élément à prendre en compte est que seuls les Etats-Unis ont une branche législative sérieuse qui examine vraiment l’accord, et je pense qu’ils effectuent un examen très sérieux de l’accord. Dans le reste du P5+1, tout est déjà fini. Dans les capitales européennes, personne ne discute l’accord, personne ne mène ce type d’examen. C’est incroyable, (à prendre) dans un sens très négatif.

Alors c’est incroyablement important de noter que le Congrès américain est le seul corps responsable dans le monde qui conduit ce type de révision en profondeur.

Je sais que tout le monde veut répondre à la question de savoir ce qu’il se passera ensuite si le Congrès peut arrêter l’accord. Or, est-ce déjà un accord décidé et tout cela n’est qu’un exercice sans intérêt ? Je crois que c’est une approche très cynique, et je pense vraiment que les membres du Congrès prennent leur travail au sérieux pour examiner minutieusement l’accord et comprendre ce qu’il implique vraiment, y compris les paragraphes, toutes les failles et les conséquences dans tous les domaines.

Mais on ne peut pas savoir ce qui va en sortir. Nous ne savions pas lors des négociations ce qui se produirait si l’accord était conclu. Je n’aurais pas pu vous dire que le président Obama allait le faire passer en vitesse la même semaine au Conseil de Sécurité. Personne n’avait prévu cela.

Pensez-vous que l’examen du Congrès pourrait avoir un impact sur comment d’autres pays perçoivent l’accord ? Ou sont-ils déjà convaincus par l’accord ?

Si le Congrès rejette l’accord, il est possible que d’autres États regardent les Etats-Unis et disent, « Attendez un instant, c’est un examen très sérieux et ils l’ont rejeté. Il doit bien y avoir une raison ».

Mais il est aussi possible qu’ils puissent dire, « Eh bien, c’est un Congrès républicain et ils sont contre le président dans tous les cas, alors ils l’ont juste rejeté automatiquement ». Il pourrait y avoir beaucoup de voix qui seraient si politiques et si cyniques que cela pourrait bien être le message.

Le président américain Barack Obama prononce un discours lors de la célébration du Mois du patrimoine juif américain à la synagogue Adas Israel , le 22 mai 2015, à Washington (Crédit photo: Chip Somodevilla / Getty Images / AFP)
Le président américain Barack Obama prononce un discours lors de la célébration du Mois du patrimoine juif américain à la synagogue Adas Israel , le 22 mai 2015, à Washington (Crédit photo: Chip Somodevilla / Getty Images / AFP)

Mais il y a des préoccupations importantes au sujet des conséquences sur le rejet de l’accord ? Que dire de la levée des sanctions internationales ?

Eh bien, vous voyez, il est très probable que beaucoup de partenaires internationaux américains lèvent certaines sanctions contre l’Iran, mais ce n’est pas aussi important qu’on puisse le laisser penser.

Maintenant, c’est pratique pour les soutiens de l’accord de dire que, si les sanctions américaines sont les seules en place, cela n’aura aucun effet sans la coalition. On a besoin de partenaires. Mais en fin de compte, les sanctions financières américaines sont les plus importantes.

Je ne dis pas que le reste de la structure des sanctions ne compte pas. Bien sûr que c’est important, et cela serait mieux si le reste des sanctions restait en place, s’il y avait une prolongation des négociations.

Les sanctions financières, les dures sanctions de 2012, celles qui ont effectivement ramené l’Iran à la table des négociations, avec l’Union européenne et l’embargo sur le pétrole, qui a été une autre sanction difficile… mais les sanctions américains étaient celles qui ont vraiment fait la différence.

C’est ce qui a causé toutes les difficultés. Alors ce n’est pas vrai de dire que si les sanctions des Etats-Unis continuent, sont renforcées et mettent la pression sur l’Iran, cela sera sans importance et inefficace.

Une autre option serait qu’avec cette révision du Congrès, avec tous ces défauts, des défauts sérieux et dangereux qui existent vraiment dans cet accord, s’ils étaient dévoilés, il y aurait une pression interne pour combler ces lacunes et améliorer l’accord.

Peut-être, comme l’a dit David Albright dans son allocution au Congrès, ils seront motivés pour voter de nouvelles lois ou mécanismes pour traiter les problèmes rencontrés avec les vérifications, principalement, et les sanctions qui, très clairement, ne seront pas remises en place. Il faut les remettre en place, et cela demandera des décisions et de la volonté politique et d’autres éléments. Ce ne sera pas simplement un processus automatique.

Nous en savons assez sur la politique internationale pour ne pas être trompés pour croire que, comme par miracle, il y aura tout d’un coup la volonté et les sanctions seront remises en place. C’est aussi quelque chose qui peut être corrigé si les gens acceptent ces idées.

Le principal défaut qui me dérange est lié à la période d’attente de 24 jours pour les inspections.

Le paragraphe 78 du Plan d’Action Commun, le titre officiel de l’accord, stipule les 24 jours. Pourtant, avant le paragraphe 78, il y a deux paragraphes, 75 et 76, qui précisent que l’AIEA demandera l’accès au lieu en question et devra d’abord fournir une base pour ses préoccupations et demander une clarification de l’Iran.

Il n’y a pas de limite de temps pour l’étape préliminaire avant même que vous atteignez le délai de 24 jours, ce qui permet clairement à l’Iran de jouer avec le temps, comme il l’a fait historiquement. Du moment qu’il n’y a pas de limite de temps sur le délai, et avec ce que nous connaissons de l’Iran et ses tactiques de retardement utilisées ces 12 dernières années, vous mettez deux et deux ensemble, et c’est la recette pour un très mauvais résultat.

Et il y a d’autres problèmes avec le langage ambigu comme en ce qui concerne les DMP [Dimensions Militaires Possibles] et la vérification. Voilà les deux questions les plus importantes.

Vous me dites que si la levée des sanctions est conditionnée à l’obtention de réponses par l’AIEA aux 12 questions importantes de novembre 2013 [sur les explosifs de l’Iran et le travail de calcul de transport neutron]. Si vous obtenez une réponse claire qui n’est pas ambiguë, alors je dirais, « ok ».

Yukiya Amano - janvier 2013 à Davos (Crédit : President Spokesman/GPO/Flash90)
Yukiya Amano – janvier 2013 à Davos (Crédit : President Spokesman/GPO/Flash90)

Mais vous ne pourrez pas parce que le langage est trop ambigu et c’est ce que j’appelle une faille. Ce sont des provisions non spécifiques dans l’accord qui ne vous donne pas les assurances que cela sera traité.

Même concernant le stock d’uranium enrichi, nous ne savons pas précisément ce qui aura lieu avec le stock à disposition de l’Iran, une partie sera vendue, une autre sera cachée.

Il y a d’autres éléments problématiques qui ne sont pas des failles. Il y a des déclarations claires. L’Iran sera capable de travailler sur des centrifugeuses, conduire des recherches et du développement pour avancer les centrifugeuses, toute la gamme de centrifugeuses avancées, dont la communauté internationale a clairement déclaré qu’il s’agissait d’éléments dangereux. Maintenant, regardez l’accord : ils peuvent travailler sur tout cela. Ce n’est pas une faille, c’est simplement un très mauvais élément de l’accord.

Une autre faille est que l’Iran peut rompre [l’accord] s’il le souhaite. Il y a une clause de sortie pour quitter le Plan d’Action Commun. Aux Etats-Unis, il y a des sanctions fédérales et des sanctions d’État. Si l’Iran viole l’accord, le gouvernement fédéral peut mettre en place ses nouvelles positions sur les sanctions, mais que se passe-t-il si les États ne l’acceptent pas ?

Obama a passé un accord qui laisse l’Iran dans une situation aussi simple ? Cela semble assez incroyable.

Ecoutez, il n’y a pas de doute que l’administration s’est montrée claire sur le fait qu’il y aura des conséquences graves si l’Iran échoue à respecter l’accord. Et si l’Iran devait le quitter, je suis certaine que les Etats-Unis seraient devant un dilemme très difficile, et qu’ils examineraient ces options très sérieusement. Ces failles sont le résultat d’un mauvais calcul et de la manière dont ces négociations se sont déroulées. Nous avons vu comment les choses ont fini.

L’administration a dit très clairement affirmé qu’elle voulait un accord. Elle a fait savoir à l’Iran que l’option militaire n’était plus sur la table et que la seule façon d’avancer était de signer un accord. Donc, l’Iran savait que c’était la seule façon dont cela pouvait être géré. Tout ce qu’ils avaient à faire était de ne pas bouger, et l’autre côté continuerait à faire des concessions.

Rappelez-vous où nous en étions le 24 novembre 2014. Il y avait une offre sur la table. Les Iraniens étaient très irrationnels quand ils ont refusé cette offre. Parce que le P5 + 1 leur avait déjà assuré que l’option militaire n’était plus sur la table. Ils ont déjà commencé à faire des concessions. Voilà comment nous en sommes arrivés à toutes ces lacunes.

Quelles seront les plus grandes implications pour la région si l’Iran développait une arme nucléaire ?

Eh bien, cela dépend de votre politique globale. Si vous êtes orienté vers la défensive dans le domaine nucléaire, alors cela peut être très utile à des fins défensives. Il peut y avoir un effet dissuasif. Cela peut vous aider.

Si vous êtes orienté vers l’offensive, comme l’est l’Iran, cela peut être également très utile pour vous.
Disons que l’Iran comprend sa capacité nucléaire. La prise de conscience par d’autres États – que l’Iran est un Etat nucléaire – changera leur comportement à son égard. Les autres États devront réfléchir à leur réaction devant toute mesure prise par l’Iran, en prenant en compte le danger des représailles iraniennes. C’est là toute la structure de la force de la dissuasion nucléaire.

Ce sont des jeux d’esprit. Vous faites savoir à l’autre côté que vous mènerez des actions vraiment effroyables. Inutile même de le dire. Le simple fait qu’ils sachent que vous avez des capacités nucléaires suffit pour que cela figure en toile de fond. Et cela aura un impact sur le comportement.

Cela peut créer un bouclier contre la mise en application de sombres desseins d’Etats dans la région. Maintenant, lorsque l’Iran fera quelque chose, qui pourra le contrer ? Qui les affrontera ?

Hassan Rouhani (Crédit : AFP/ATTA KENARE)
Hassan Rouhani (Crédit : AFP/ATTA KENARE)

Alors voulez-vous que le Congrès contrecarre cet accord ?

Je ne sais pas si c’est ce que je veux. Je suis très frustrée parce que ce que je voulais devait arriver avant la conclusion de l’accord.

Comme quoi ?

Comme obtenir un meilleur accord, comme mieux négocier en utilisant vos avantages. Ne pas permettre à l’Iran de décider. Comme repérer le bluff de l’Iran, comme gérer l’accord avec toute sa difficulté, ne pas faire concession sur concession à l’Iran, ce qui a mené à un mauvais accord.

Donc, je suis frustrée parce que toutes mes idées et conseils avaient une valeur pendant les négociations. La frustration provient du fait que l’administration ne voulait pas écouter les critiques. Tous les critiques ont été marginalisés. Ils ont été qualifiés de « faucons » et de « fauteurs de guerre ».

Parfois, ils ont été traités simplement d’ignorants, qui ne comprennent pas. Ils ont créé cette situation où vous ne pouvez pas dire quoi que ce soit avant, et vous ne pouviez dire quoi que ce soit après.

Finissons où nous avons commencé. Si le Congrès rejette l’accord, avez-vous une idée de la meilleure façon de faire revenir les puissances à la table de négociations ?

Je ne sais pas, parce qu’il n’y a pas beaucoup de volonté politique au sein du P5 + 1 pour revenir à la table des négociations. On a un sentiment d’aboutissement.

Le mieux serait de revenir à des négociations avec la menace de renforcer les sanctions et en étant fermes. Vous savez, cela n’arrivera pas avec cette administration et le P5 + 1. Ils avaient 20 mois pour le faire et ils ne l’ont pas fait.

S’il y avait une volonté politique, je pense que cela pourrait arriver. Cela ne serait pas l’ [équation] binaire que l’administration a tenté de formuler : « accepter cette offre ou se préparer à la guerre ». Mais il faut vouloir atteindre l’accord nécessaire – et pas seulement conclure un accord pour simplement parvenir à un accord.

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