L’extrême droite anti-islam et pro-Israël dirige les Pays-Bas. Bientôt le Parlement européen ?
Les prochaines élections législatives européennes devraient profiter aux partis que redoutent de nombreux Juifs, mais qui pourraient s'avérer leurs plus ardents défenseurs
À un moment particulièrement sombre pour les Juifs d’Europe, l’un de leurs plus ardents partisans vient d’accéder au pouvoir aux Pays-Bas, la cinquième économie de l’Union européenne et un de ses membres fondateurs les plus influents.
Fervent défenseur d’Israël qui a été bénévole, dans sa jeunesse, dans une communauté agricole israélienne, le politicien néerlandais Geert Wilders a formé la semaine dernière une nouvelle coalition à ce point pro-Israël et pro-juive que ses statuts envisagent le transfert de l’ambassade néerlandaise en Israël à Jérusalem et entendent rendre obligatoire l’enseignement de la Shoah pour tous les nouveaux citoyens naturalisés.
La nouvelle coalition dirigée par Wilders et son Parti pour la liberté marque une rupture sans précédent avec la politique moyen-orientale de tous ses prédécesseurs, non seulement aux Pays-Bas mais dans toute l’Europe occidentale.
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Il y a cependant un bémol : Wilders est un provocateur d’extrême droite, un anti-islam véhément favorable à des lois qui interdiraient la production de viande halal et casher. Condamné pour incitation à la discrimination ethnique envers les Marocains, il a qualifié l’islam de religion
« répréhensible, haineuse et violente ».
Alors que l’Europe approche à grands pas d’élections européennes potentiellement historiques en juin, la montée de Wilders et la réaction mitigée de la communauté juive résument à eux seuls le dilemme auquel sont confrontés nombre de Juifs européens et d’ailleurs : accepter cette extrême droite montante malgré son bagage historique et ses tendances ostracisantes, ou la rejeter en faveur d’un courant dominant marqué par une politique plus modérée mais un bilan discutable en terme de soutien à Israël, aux Juifs – et même à l’Europe.
La formation, le 16 mai dernier, d’une coalition dirigée par le Parti pour la liberté, qui a remporté la majorité des voix lors des élections générales néerlandaises de 2023, devrait contribuer à sa bonne performance lors du scrutin pour le Parlement européen du 6 au 9 juin prochains. A cette occasion, les électeurs de tous les États membres de l’UE choisissent leurs représentants nationaux au siège du pouvoir législatif de l’Union.
La victoire de Wilders, qui a accepté de ne pas être Premier ministre pour faciliter la conclusion d’un accord de coalition, est un succès rare susceptible de donner à l’extrême droite une plus grande visibilité et de galvaniser ses mouvements frères en Europe à l’approche du vote qui se tiendra le mois prochain.
Les sondages réalisés avant la formation de la coalition néerlandaise prédisaient que le Parti pour la liberté, détenteur de 37 sièges sur les 150 que compte la chambre basse du parlement néerlandais, disposerait de 10 sièges au Parlement européen, faisant de lui le plus important parti néerlandais au Parlement européen (les Pays-Bas ont 29 sièges sur les 720 que compte le Parlement européen).
Ces projections s’inscrivent dans une tendance européenne plus large, dans laquelle les partis d’extrême droite devraient gagner pas moins de 20 % de sièges par rapport aux précédentes élections européennes de 2019, pour atteindre un total de 163 sièges, soit 22 % de la chambre.
Plus qu’un simple indicateur de la popularité des principales forces et idéologies de l’Union européenne, la composition du Parlement européen est de nature à affecter le vote du budget et les nominations politiques. Le Parlement européen a des pouvoirs de contrôle sur les organes exécutifs de l’UE et peut confirmer ou opposer son veto à la nomination de fonctionnaires aux postes les plus élevés.
Un arrière-goût des années 1930 ?
Nombreux sont les Juifs européens qui gardent un souvenir pour le moins amer de la Shoah et craignent la résurgence de l’extrême droite, qui exploite le ressentiment populaire à l’égard de l’immigration de masse en Europe, du progressisme, de la mondialisation et des politiques restrictives visant à répondre aux préoccupations climatiques.
« Les gens me demandent si cela me fait penser aux années 1930 », a écrit la semaine dernière Lody van de Kamp, rabbin orthodoxe pacifiste des Pays-Bas, dans un éditorial (en néerlandais) du site d’information Kanttekening. « La réponse est oui. » Le Parti pour la liberté a « les idées les plus abjectes que notre société ait vues depuis la libération en 1945 », a-t-il ajouté.
Les craintes de Van de Kamp ne sont pas isolées face à la montée progressive de la popularité de l’extrême droite au sein de l’Union européenne, semble-t-il en réaction à une vague d’immigration de millions de personnes en provenance du Moyen-Orient et d’Afrique, qui a commencé en 2014.
Déjà en 2016, Gerard Spong, célèbre avocat néerlandais d’ascendance juive, soulignait la condamnation de Wilders pour avoir promis, lors d’un rassemblement du parti, de s’assurer qu’il y ait « moins » de Marocains aux Pays-Bas. « Remplacez ‘Marocains’ par ‘Juifs’ ou ‘gays’ et voilà », avait déclaré Spong (en néerlandais) lors d’un talk-show.
Pourtant, Wilders est un admirateur de ce qu’il appelle souvent la culture judéo-chrétienne. Il a passé deux ans en Israël dans les années 1980, et sa femme, Krisztina Marfai, serait d’origine juive.
Wilders et le Parti pour la liberté, qui compte un sénateur juif dans ses rangs, ont de nombreux soutiens juifs grâce à cela. Lors d’un désormais célèbre discours prononcé en 2013 en Allemagne, Wilders avait appelé qualifié l’État juif « notre lumière au milieu des ténèbres », ajoutant que ce pays « menait notre combat ».
Wilders reproche ouvertement aux musulmans d’être responsables de l’augmentation des incidents antisémites, et ce, bien avant leur montée en flèche suite à la brutale attaque du Hamas, le 7 octobre en Israël, et à la campagne militaire israélienne qui s’en est suivie à Gaza.
« C’est presque nauséabond », a-t-il déclaré lors d’un débat parlementaire en 2020. « Personne ne parle de la première cause de l’antisémitisme : l’islam, bien sûr, et l’islamisation. »
Sa nouvelle coalition a adopté la politique d’immigration la plus stricte jamais adoptée aux Pays-Bas, et elle affirme que le royaume négociera avec l’UE pour réduire le volume des arrivées de demandeurs d’asile.
Le chef du CIDI, l’organisme de veille de la communauté juive sur l’antisémitisme aux Pays-Bas, a récemment déclaré que si des personnes musulmanes sont effectivement à l’origine d’incidents antisémites, il ne dispose pour autant pas de chiffres précis sur la part de ce groupe dans le total des incidents.
Soutien juif à l’extrême droite
À une époque où de nombreux Juifs considèrent que les gouvernements néerlandais successifs se sont montrés inefficaces en matière de lutte contre l’antisémitisme et n’ont pas suffisamment soutenu Israël, Wilders gagne des soutiens juifs.
Les Juifs néerlandais « peuvent s’attendre à ce que le nouveau gouvernement prenne davantage de mesures contre la haine anti-israélienne », a écrit Rob Fransman, rescapé de la Shoah, chroniqueur et écrivain.
« L’aigreur des médias de gauche envers le tout nouveau gouvernement est très satisfaisante », a ajouté Fransman dans un récent article (en néerlandais) pour Israelnieuws.nl. En novembre, il écrivait sur X (toujours en néerlandais) que s’il n’avait pas voté pour Wilders, la réaction de la gauche au 7 octobre « [lui] faisait regretter de ne pas l’avoir fait ».
Dans toute l’UE, les partis d’extrême droite se réjouissent du succès de Wilders.
« Cela montre que de plus en plus de pays de l’Union européenne contestent la façon dont cela fonctionne… et j’espère que nous pourrons reprendre les commandes d’une migration considérée par de nombreux Européens comme à la fois massive et anarchique », déclarait Marine Le Pen, leader du Rassemblement national français, au micro de la radio France-Inter, en décembre dernier.
Un porte-parole du parti roumain AUR a déclaré au Times of Israel : « Nous saluons le succès de M. Wilders [et] espérons que cette alliance se reflétera au Parlement européen. »
En France, le Rassemblement national devrait se hisser en tête du classement des députés français au Parlement européen, avec une hausse de 61 % selon les sondages, et passer de 18 à 29 sièges. De même, l’AUR devrait être le seul parti roumain à réaliser des gains sérieux, en doublant presque son nombre de sièges par rapport aux élections de 2019, avec 19 % des voix, soit 12 sièges.
En Allemagne, le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne -AfD – qui compte actuellement neuf sièges au Parlement européen, est au coude à coude dans les sondages avec les sociaux-démocrates du chancelier Olaf Scholz, les deux partis devant remporter 16 sièges.
L’AfD, le Rassemblement national et l’AUR ont tous exprimé leur soutien à Israël et se sont engagés à lutter contre l’antisémitisme. Mais tout comme d’autres partis partageant les mêmes idées, ils ont également démontré une plus grande propension que le parti de Wilders à la négation ou à la banalisation de la Shoah voire aux envolées antisémites dans leurs rangs.
De retour aux Pays-Bas, Ronny Naftaniel, un ex-dirigeant des Juifs néerlandais, conseille d’examiner l’extrême-droite européenne pays par pays.
« Ce serait une erreur de les mettre tous dans le même sac », estime Naftaniel, ex-membre du Parti travailliste néerlandais souvent critique de Wilders.
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Malgré ses problèmes, la coalition de Wilders « peut apporter sa contribution à la lutte contre l’antisémitisme, davantage de fermeté envers l’Iran et dans le soutien à Israël », ajoute Naftaniel, vice-président du groupe éducatif CEJI, à Bruxelles. « Cela ne veut pas dire que tous les partis d’extrême droite sont légitimes. Il faut examiner la situation par pays, parti par parti. »
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