L’homme qui décidera du sort des élections israéliennes
Si les résultats sont serrés, ce sera le président Rivlin qui choisira le vainqueur – et cela inquiète tout le monde
Haviv Rettig Gur est l'analyste du Times of Israël
Un peu plus d’une semaine avant le jour des élections, les sondages montrent que la course sera serrée entre le Likud et l’Union sioniste, les deux partis étant au coude à coude selon les récents sondages.
C’est, en tout cas, la manière dont l’Union sioniste parle de la course. C’est d’une suffisance que l’on peut qualifier de pratique. Le centre-gauche travailliste dirigé par le chef du parti Isaac Herzog n’a pas eu de résultats aussi élevés depuis longtemps. Et rien que l’apparence que le parti puisse offrir une alternative viable au Likud est en lui-même un avantage électoral pour attirer les électeurs désireux d’envoyer valser le Likud.
Il y a juste un bémol. Les gouvernements israéliens ne sont pas composés d’un seul parti, mais de coalitions qui contiennent rarement moins de quatre parties.
Ainsi, les gagnants des élections ne sont pas nécessairement les plus grands partis, mais les plus grands blocs.
Lorsque le parti centriste Kadima de Tzipi Livni, avait remporté 28 sièges aux élections de 2009, c’était Benjamin Netanyahu du Likud, avec ses 27 sièges, qui est devenu Premier ministre parce qu’il pouvait compter sur le soutien de Yisrael Beitenu et d’autres partis d’extrême-droite.
C’est pourquoi le Likud insiste sur le fait qu’il est en train de gagner les élections haut la main.
A gauche, le bloc Union sioniste-Meretz est à environ 28 sièges, selon les sondages. A droite, le bloc Likud-HaBayit HaYehudi est à 35 sièges, et ce chiffre pourrait s’élever à 45 sièges avec les autres partis explicitement de droite tel que Yachad et Yisrael Beitenu. Ce plus grand bassin d’alliés idéologiques signifie que le chemin du Likud pour parvenir à une coalition gouvernementale stable est plus court.
Mais là encore, le discours politique est incomplet. Il existe d’autres blocs idéologiques en dehors de la gauche et de la droite, et ils représentent 40 % de la prochaine Knesset, selon les sondages.
La Liste arabe unie dispose de 12 sièges, les centristes Yesh Atid et Koulanou pourraient obtenir 20 à eux deux, les ultra-orthodoxes de Shas et de l’UTJ 15.
En fin de compte, aucun gouvernement ne pourrait être formé sans au moins une partie de ces partis pour former une coalition avec une majorité de 120 sièges à la Knesset.
C’est cette division de l’électorat en 11 partis viables qui peuvent rendre cette course serrée, malgré l’indéniable avantage électoral de la droite sur la gauche.
Le citoyen Rivlin
Plus l’Union sioniste aura de bons résultats aux élections, plus la course sera décidée par un seul homme : le président Reuven Rivlin.
Il y a trois étapes dans une élection israélienne : l’élection pour le Parlement, la sélection présidentielle du Premier ministre, et les négociations pour former une coalition gouvernementale avec une majorité parlementaire.
Le peuple d’Israël n’a son mot à dire que dans la première partie du processus. La troisième partie est susceptible d’être assez facile, peu importe qui est sélectionné pour le poste de Premier ministre. Les partis tels que Shas, UTJ, Koulanou et Yesh Atid sont suffisamment désireux d’être au gouvernement, pour se soucier réellement de savoir qui se trouve à sa tête.
Et c’est la deuxième étape, la sélection présidentielle d’un Premier ministre, qui est la grande inconnue de la course.
Le président a quelques restrictions légales dans le processus de sélection. Chaque partie dans la nouvelle Knesset peut donner au président sa recommandation. Si aucun candidat n’obtient une majorité parlementaire dans la phase des recommandations, le président choisit traditionnellement le chef du plus grand parti dans le plus grand bloc.
Mais selon la loi, le Premier ministre désigné peut être n’importe quel des 120 députés nouvellement élus. Il ou elle n’a pas à être à la tête du plus grand parti, ou même la tête d’un parti du tout.
Si le président est persuadé qu’une majorité parlementaire pourrait se rallier derrière un petit député d’un parti mineur, il n’existe aucune restriction juridique l’empêchant de donner à ce législateur faiblement classé une chance de former une coalition.
Quand il a pris la décision d’aller aux élections en décembre, Netanyahu ne craignait pas la première étape. Il croyait qu’il était peu probable que le bloc parlementaire de la droite échouerait, ou que son parti le Likud ne serait pas le plus grand parti de ce bloc.
Mais Netanyahu est profondément préoccupé par la deuxième étape – un président qui pourrait se montrer plus créatif que ses prédécesseurs dans la nomination d’un Premier ministre.
Netanyahu s’est coupé des deux parties ultra-orthodoxes et des centristes, qui pourraient refuser de soutenir sa candidature au poste de Premier ministre. Si ces partis ne se rallient pas derrière lui, le choix pourrait revenir au président.
Pendant une grande partie de l’année dernière, ces deux scénarios ont inquiété Netanyahu.
Le premier : si son propre parti, le Likud, voyait sa chance de diriger le prochain gouvernement menacée par l’aversion des autres partenaires potentiels de la coalition pour leur propre chef de parti, il n’y aurait rien qui empêcherait le Likud de recommander un autre candidat de leurs propres rangs, un candidat comme le ministre de l’Intérieur Gideon Saar, le politicien le plus populaire au sein du parti.
Mais Saar a mis fin à sa carrière politique en automne dernier, et donc ce scénario n’est plus une possibilité. Il n’y a, de fait, pas de challengers actuellement au Likud avec suffisamment d’influence pour tenter un tel coup d’Etat.
Le deuxième scénario, cependant, reste intact, et hante la campagne de Netanyahu.
C’est celui-ci : sans candidat sortant vainqueur d’emblée des 61 recommandations, le président peut décider de forcer la formation d’un gouvernement d’unité nationale.
Le président peut-il le faire ? Oui, et avec une facilité déconcertante.
Cela fait partie des droits constitutionnels du président Rivlin de poser un ultimatum à la fois à Herzog et à Netanyahu : accepter de former un gouvernement d’unité nationale, en partageant l’occupation du poste de Premier ministre par rotation, ou voir son adversaire le poste de Premier ministre.
Le simple fait que la prochaine Knesset ne sera pas redevable à la gauche ou à la droite rend cette possibilité réaliste, puisque Herzog sera probablement en mesure de rassembler une coalition avec presque autant de facilité que Netanyahu.
Mais est-ce que Rivlin forcerait ses partenaires à entrer dans une coalition à contrecœur ?
Netanyahu pense que oui. Et c’est cette crainte qui l’a poussé à s’opposer à la candidature de Rivlin à la présidence l’an dernier.
Les experts ont mis cette opposition sur le compte des vestiges d’une animosité personnelle qui persisterait entre les deux hommes sur des désaccords liés à la libération de prisonniers palestiniens, entre autres. Il est vrai que Netanyahu et Rivlin ne s’aiment pas, mais Netanyahu aime Tzipi Livni encore moins, un fait qui ne l’a pas empêché d’en faire sa première partenaire de la coalition dans le dernier gouvernement.
Netanyahu s’est battu contre la candidature de Rivlin parce qu’il est persuadé que Rivlin peut l’obliger à passer des alliances politiques qui lui seraient désagréables – et il n’a pas été aidé quand Gideon Saar soutenait la candidature de Rivlin.
Meretz pense aussi que c’est un scénario probable. « Ils sont déjà en négociation », prévient un panneau de de campagne de Meretz sur lequel on peut voir les visages d’Herzog, Netanyahu et de Livni. Seul un vote pour Meretz, met en garde la campagne du parti dans presque chaque annonce, est un vote pour un gouvernement clairement à gauche.
HaBayit HaYehudi est également convaincu que cette éventualité se réalisera. « Un fort HaBayit HaYehudi est la seule assurance d’avoir un gouvernement de droite fort », clame le parti.
Herzog et Netanyahu ont répondu à ces défis en annonçant qu’ils refuseraient de participer à un gouvernement où l’autre en ferait partie – comme si ce choix leur appartenait.
Il est impossible de prédire ce que fera Rivlin après le scrutin.
Mais les prévisions générales, indiquant qu’il favorisera un gouvernement d’unité, façonnent les derniers jours de la course.