L’image « All eyes on Rafah » devenue virale, les pro-israéliens contre-attaquent
Partagée 50 millions de fois sur Instagram la semaine passée, cette image générée par l'IA suscite le débat sur le rôle de l'IA dans le débat en ligne sur la guerre Israël/Hamas
JTA — Impossible de passer à côté de cette image, celle d’une étendue désertique saturée de tentes, avec des montagnes enneigées en arrière-plan et le titre « All eyes on Rafah » qui se détache sur le sommet. Elle a été partagée près de 50 millions de fois sur Instagram en l’espace d’une semaine.
Cette image suscite le débat sur le rôle des images générées par l’IA dans le débat en ligne qui fait rage à propos de la guerre entre Israël et le Hamas. Elle a par ailleurs libéré la parole de nombreuses voix pro-israéliennes bien décidées à lutter pied à pied contre l’activisme pro-palestinien sur les réseaux sociaux.
Sur une image publiée, en guise de réaction, par le compte officiel sur X d’Israël, on voit un bébé ensanglanté assis devant ce qui semble être un membre du Hamas, armé, avec le texte « Où étaient vos yeux le 7 octobre ? » Une autre image donne à voir une grande manifestation avec un drapeau israélien et le slogan populaire « Libérez-les maintenant ». Une troisième dit : « Si vos yeux sont rivés sur Rafah, alors aidez-nous à retrouver nos otages. »
Le 7 octobre, des milliers de terroristes dirigés par le Hamas ont envahi le sud d’Israël et assassiné près de 1 200 personnes, principalement des civils, et fait 252 otages aujourd’hui séquestrés dans la bande de Gaza. Plus de 120 otages sont toujours en captivité à Gaza, pas tous vivants.
Aucune des images pro-israéliennes n’a été partagée aussi largement que la première, publiée par trois fois plus de monde qu’il n’y a de Juifs au total et vue par encore plus de personnes. Des célébrités pro-palestiniennes influentes, comme Dua Lipa, Mark Ruffalo, Gigi Hadid ou Bella Hadid, l’ont partagée.
L’expression « All eyes on Rafah [NDLT : Tous les yeux sont rivés sur Rafah] » aurait été prononcée lors d’une interview par Richard Peeperkorn, représentant de l’Organisation mondiale de la santé en Cisjordanie et à Gaza, qui l’aurait utilisée pour dissuader Israël d’y mener une offensive.
Elle s’est imposée comme un véritable cri de ralliement pour les militants pro-palestiniens lorsque des dizaines de personnes, dont des enfants, sont mortes quand Israël visait deux hauts responsables du Hamas dans une frappe à Rafah ce week-end – une frappe qui a bouleversé d’ardents défenseurs d’Israël car des éclats de projectiles ont déclenché un incendie meurtrier.
L’image publiée sur Instagram est l’œuvre d’un créateur de contenu malaisien jusque-là peu connu. Il ne s’agit pas d’une vue réaliste de Rafah, ville du sud de Gaza située près de la frontière avec l’Égypte, dans laquelle plus d’un million de Palestiniens ont trouvé refuge depuis le début des combats dans le nord du territoire, ces six derniers mois. L’image générée par l’IA représente Rafah comme une ville de tentes.
La diffusion de cette image a été facilitée par certaines fonctionnalités d’Instagram. L’autocollant « Add Yours » de la plateforme permet en effet à ses utilisateurs de partager une image en un seul clic.
A l’instar de la plupart des plateformes de réseaux sociaux grand public (autres que X), Instagram interdit la diffusion de contenus violents, ce qui explique que les images réelles des dégâts endurés par Gaza soient moins susceptibles de devenir virales.
« Pour expliquer simplement comment cet utilisateur malaisien lambda a créé la sensation, on dira qu’il a réussi l’impossible », a écrit Ryan Broderick dans Garbage Day, sa newsletter sur Internet. « Il a généré une image pro-palestinienne suffisamment vague et abstraite pour contourner à la fois les censeurs et les filtres de l’un des plus grands réseaux sociaux encore utilisé par de vraies personnes. »
Cette image s’est attirée la réprobation de certaines voix pro-palestiniennes, qui lui reprochent de donner une vision aseptisée de la réalité de Rafah et d’être un outil de « slacktivisme » – un plaidoyer en ligne un peu abstrait sans réel impact dans le monde réel. Certains l’ont comparé aux carrés noirs que de nombreux utilisateurs d’Instagram avaient publiés lors des manifestations aux États-Unis suite à la mort de George Floyd aux mains de la police, en 2020, jugés par beaucoup comme totalement inefficaces.
We will NEVER stop talking about October 7th.
We will NEVER stop fighting for the hostages. pic.twitter.com/XoFqAf1IjM
— Israel ישראל (@Israel) May 29, 2024
Pour certains, le fait de publier une image de Rafah générée par l’IA est
« imprudent et irréfléchi », comme l’a écrit l’écrivaine et militante new-yorkaise Alana Zeitchik sur Instagram. Zeitchik, qui est à moitié israélienne, a eu six de ses proches pris en otages le 7 octobre ; cinq d’entre eux ont été libérés à la faveur d’une trêve, mais David Cunio, lui, est toujours otage.
« Dans la mesure où je me suis beaucoup engagée pour mes proches, je ne peux pas me permettre de faire n’importe quoi », écrit Zeitchik. « Tout ce que je fais, je le fais avec le plus grand soin et en pensant aux conséquences que cela pourrait avoir sur eux. Impossible de savoir vraiment ce que c’est tant qu’on ne l’a pas vécu. »
Elle poursuit : « Les otages ne sont pas une mode des réseaux sociaux. Les habitants de Gaza ne sont pas une mode des réseaux sociaux. Choisissez des voix et des défenseurs directement concernés par la situation et aidez-les à faire en sorte que leurs revendications permettent de parvenir à un accord, à un cessez-le-feu et à la fin de cette guerre.
Luai Ahmed, journaliste suédo-yéménite qui se qualifie lui-même de sioniste, a publié une photo de l’image de Rafah à côté de l’une des versions pro-israéliennes. « Je l’ai fait parce que je refuse que l’on me fasse gober quelque chose qui n’est pas la réalité », a-t-il écrit.
Des militants pro-israéliens se sont montrés encore plus durs. Eve Barlow, écrivaine qui compte près de 76 000 abonnés sur X, a dénoncé ceux qui ont partagé l’image de Rafah, disant que la mort de civils innocents à Gaza était quelque part la faute de « crétins des réseaux occidentaux qui se croient utiles ».
« Vous entretenez cette guerre avec vos messages de cessez-le-feu propagandistes stupides », a écrit Barlow. « C’est vous. Vous, qui aidez le Hamas à gagner cette guerre. Vous faites exactement ce que souhaite le Hamas. »
Le créateur de l’image, connu sur Instagram sous le nom de « shahv4012 », a fait amende honorable dans une Story Instagram, un peu plus tard.
« Certains ne sont pas contents de l’image et du modèle, je m’excuse auprès de vous tous si j’ai fait une erreur », a-t-il écrit, en ajoutant : « Quoi que vous fassiez, ne vous désintéressez pas de Rafah, diffusez-la de manière à ce que cet élan émeuve et fasse peur. »