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Analyse

L’impasse politique sans fin risque de nuire aux liens avec le monde arabe

Certains pays seraient agacés des tentatives de Netanyahu de mettre à son profit personnel les Accords d'Abraham ; la Jordanie tente de se défendre comme elle peut

Lazar Berman

Lazar Berman est le correspondant diplomatique du Times of Israël

Des gens passent devant une affiche électorale du Likud qui montre les portraits du Premier ministre Benjamin Netanyahu (à gauche) et du leader du parti d'opposition Yesh Atid Yair Lapid, à Tel Aviv, le 12 mars 2021, quelques jours avant les élections du 23 mars. (JACK GUEZ / AFP)
Des gens passent devant une affiche électorale du Likud qui montre les portraits du Premier ministre Benjamin Netanyahu (à gauche) et du leader du parti d'opposition Yesh Atid Yair Lapid, à Tel Aviv, le 12 mars 2021, quelques jours avant les élections du 23 mars. (JACK GUEZ / AFP)

Avec quatre élections qui n’ont pas permis de briser deux ans de crise à la Knesset, la « seule démocratie du Moyen-Orient » donne au reste de la région un spectacle détaillé de certains des aspects les plus épineux de la mode électoral qui place le pouvoir politique entre les mains du peuple.

Dans le passé, cela aurait pu être considéré comme une aberration, mais moins d’un an après une ouverture diplomatique sans précédent qui a vu Israël s’orienter vers une normalisation avec quatre États arabes, le défilé apparemment sans fin d’élections et d’instabilité qui l’accompagne peut mettre une forte pression sur des accords encore récents.

En plus de mettre de nouveaux partenaires et d’autres alliés potentiels dans une position d’attentisme jusqu’à ce que Jérusalem règle ses problèmes, les États arabes s’irritent également d’être utilisés comme cible facile pour gagner des points politiques par les politiciens israéliens, et en particulier le Premier ministre Benjamin Netanyahu.

« En général, ce n’est pas bien vu au-delà de nos frontières pour la même raison que ce n’est pas bien vu ici », affirme Efraim Inbar, président de l’Institut d’études stratégiques de Jérusalem. « Il n’y a pas de stabilité et les gens de l’autre côté de la frontière ne comprennent pas toujours notre système … Ils n’aiment pas l’instabilité ».

Oded Eran, chercheur principal à l’Institut d’études sur la sécurité nationale de Tel Aviv, a récemment déclaré au New York Times que le manque de stabilité politique avait mis « en suspens » les relations d’Israël avec les Émirats arabes unis, une pierre angulaire des accords d’Abraham.

« Ils n’annulent pas l’accord, mais ils ne veulent rien de plus pour le moment », a déclaré Eran. « Ils veulent voir quel sera le programme du nouveau gouvernement ».

Les accords d’Abraham ont vu le jour lorsque Netanyahu et le président américain Donald Trump étaient au pouvoir. Trump a depuis quitté ses fonctions et l’avenir politique de Netanyahu est incertain.

« Ils ne savent pas qui le remplacera, si quelqu’un le remplacera », a déclaré Inbar. « Je présume que l’avenir de la relation suscite des craintes ».

Dans le même temps, la majeure partie du processus qui a conduit aux accords avec les Émirats arabes unis, Bahreïn, le Maroc et le Soudan s’est déroulée pendant le processus électoral qui a débuté en décembre 2018 (bien que les accords eux-mêmes aient été conclus au moment du cours laps de temps où Israël s’était doté d’un gouvernement d’unité). Les nouveaux partenaires d’Israël étaient bien conscients que le pays était dans une période d’incertitude politique au moment où ils ont accepté d’établir des relations.

« Ils vivent avec ce niveau d’incertitude quant à la direction prise par Israël depuis les premiers temps du processus », a déclaré Joshua Krasna, expert sur le Moyen-Orient au Centre Moshe Dayan de l’Université de Tel Aviv.
« Tous les points ouverts pendant la nouvelle vague de normalisation l’ont été dans le cadre de ces deux ans et demi d’élections au cours desquels tout observateur politique – et croyez-moi, nos partenaires ne sont pas des observateurs imprudents – comprend que les choses peuvent changer ».

Les organes de presse du Golfe ont écrit au sujet des élections, mais n’ont pas indiqué qu’il y avait des tensions majeures dans les relations, a déclaré Ibrahim Al-Assil, chercheur principal au Middle East Institute.

« Ils sont intéressés par le sujet et ont suivi les élections israéliennes », a-t-il dit. « La plupart d’entre eux ne parlent pas des accords d’Abraham ».

Le premier ambassadeur des Émirats arabes unis, Mohammad Mahmoud Al Khajah, avec le président Reuven Rivlin, à Jérusalem, le 1er mars 2021. (Mark Neyman/GPO)
Pions politiques

L’une des conséquences d’une période électorale qui dure des années est que la frontière entre les politiques menées et le jeu politique s’estompe. Netanyahu est connu pour avoir exploité tout avantage électoral potentiel et, sans surprise, les voisins d’Israël ne sont pas particulièrement ravis de jouer le rôle de soutien dans le jeu de Netanyahu.

« Personne ne se précipite pour aider la campagne électorale de
Netanyahu », a déclaré Krasna.

Les représentants israéliens et marocains signent un accord bilatéral au Palais royal de Rabat, Maroc, le 22 décembre 2020. (Judah Ari Gross / Times of Israel)

Le chef du Likud a depuis longtemps tenté de transformer sa position sur la scène mondiale en points politiques, mettant en valeur son acuité diplomatique en organisant des réunions de haut niveau ou des voyages captivants à l’approche d’élections.

En 2019, Netanyahu aurait tenté d’organiser des voyages au Maroc à deux reprises, dans ce qui fut alors largement perçu comme des tentatives de se renforcer politiquement. En février 2019, des informations ont révélé que Netanyahu cherchait à organiser une visite d’État au Maroc juste avant que les Israéliens ne se rendent aux urnes lors des élections du 9 avril.

En décembre 2019 de cette même année, Netanyahu a tenté de rejoindre le secrétaire d’État américain Mike Pompeo lors de sa visite au Maroc, mais le roi du Maroc Mohammed VI y a opposé son veto. Netanyahu espérait accomplir une « véritable réussite diplomatique » pour renforcer ses chances politiques avant la date limite du 11 décembre de la Knesset pour nommer un parlementaire pour former un gouvernement, selon la douzième chaîne.

« C’était un stratagème électoral trop évident pour eux », a déclaré Krasna. « En fin de compte, les Marocains sont parvenus à un accord avec nous parce que cela ne leur posait pas de problème substantiel dès le départ, et parce qu’ils ont obtenu quelque chose ayant une valeur de la part des
Américains ».

À Amman, le roi Abdallah aurait rejeté les demandes répétées de Netanyahu de le rencontrer, bien qu’il se soit entretenu discrètement avec le ministre de la Défense Benny Gantz récemment.

« Il était très clair pour les Jordaniens que toute rencontre avec Netanyahu au cours des deux dernières années serait immédiatement utilisée à des fins électorales », a déclaré Krasna.

Le roi de Jordanie Abdallah II prononce le discours d’inauguration de la 19è session extraordinaire du parlement, à Amman, Jordanie, le 10 décembre 2020. (Yousef Allan / The Royal Hashemite Court via AP)

Les EAU ont également fait de rares allusions publiques dans le but d’empêcher les tentatives de Netanyahu de les transformer en pions politiques dans le jeu politique interne.

De nombreux projets de visite de Netanyahu aux Émirats arabes unis au cours des derniers mois ont été annulés pour diverses raisons. Selon certaines informations, les EAU étaient réticents à l’idée de l’accueillir en raison des craintes que cela ne soit perçu comme une ingérence électorale.

Netanyahu aurait envoyé le chef du Mossad Yossi Cohen pour les convaincre de changer d’avis, mais un voyage le 11 mars a été annulé lorsque la Jordanie a apparemment refusé d’autoriser l’avion du Premier ministre à traverser son espace aérien.

Netanyahu aurait profité de cette visite pour annoncer un fonds d’investissement de 10 milliards de dollars par les EAU visant des secteurs stratégiques en Israël. Beaucoup pensent que la décision de Netanyahu de malgré tout annoncer le plan depuis Jérusalem après un appel téléphonique avec le prince Mohammed ben Zayed a provoqué la colère des responsables à Abou Dhabi.

« Cela les a pas mal énervés », a déclaré au Times of Israel un expert du Golfe basé à Dubaï et qui a demandé à rester anonyme.

Assil a convenu que c’était une « grosse erreur ».

Mohamed bin Zayed Al Nahyan, le prince d’Abu Dhabi (à droite), reçoit le roi Abdallah de Jordanie à l’aéroport présidentiel d’Abu Dhabi, Émirats arabes unis, le 13 mars 2016. (Crown Prince Court Abu Dhabi via AP)

Un commentaire formulé par un haut responsable émirati a été la première indication publique que les Emiratis étaient mécontents.

« Du point de vue des Émirats arabes unis, l’objectif des accords abrahamiques est de fournir une base stratégique solide pour favoriser la paix et la prospérité avec l’État d’Israël et dans l’ensemble de la région », a tweeté Anwar Gargash, conseiller du président des Émirats arabes unis, le cheikh Khalifa bin Zayed.

« Les EAU ne prendront part à aucune campagne électorale interne en Israël, ni maintenant, ni jamais », a-t-il dit, sans donner plus de détails.

Les commentaires de Gargash, qui était jusqu’à récemment le visage de la diplomatie émiratie en tant que ministre d’État aux Affaires étrangères, étaient inhabituellement directs pour un responsable émirati.

De gauche à droite: le Conseiller à la sécurité nationale des États-Unis Robert O’Brien, le conseiller en chef de l’Administration Trump Jared Kushner, le ministre des Affaires étrangères des Émirats arabes unis Anwar Gargash et le Conseiller à la sécurité nationale d’Israël Meir Ben Shabbat en réunion à Abu Dhabi le 31 août 2020. (Israeli Prime Minister’s Office)

Les EAU auraient également suspendu leur projet de sommet au cours duquel ils devaient accueillir Netanyahu, de hauts responsables américains et les chefs d’États arabes qui ont normalisé leurs relations avec Israël. Selon un article du quotidien Yedioth Ahronoth, le sommet devait avoir lieu à Abou Dhabi en avril mais a désormais été suspendu après que le prince héritier Sheikh Mohammed ben Zayed a été irrité par ce qu’il a perçu être comme une tentative de la part de Netanyahu d’utiliser le pays du Golfe pour des raisons électoralistes.

Durant l’incident diplomatique, un autre responsable émirati a paru critiquer Netanyahu au sujet de la tentative du Premier ministre d’utiliser Abou Dhabi comme une étape sur le chemin de la campagne électorale, affirmant que l’accord de normalisation n’avait pas été conclu au profit des dirigeants politiques.

« Les EAU ont signé les accords pour l’espoir et les opportunités qu’ils offrent à notre peuple, et non à des dirigeants individuels », a déclaré le responsable émirati à CNN.

« Ils ont cette relation mitigée avec Netanyahu », a déclaré l’expert basé à Dubaï. « Ils sont satisfaits de sa position vis-à-vis de l’Iran. Ils sont heureux d’être sur la même longueur d’onde que lui à ce sujet et d’avoir procédé à la normalisation ».

« Mais d’un autre côté, ils ne lui font pas non plus trop confiance. Surtout récemment … cette confiance a vraiment substantiellement diminué ».

Le bureau de Netanyahu a refusé de commenter cet article.

Les experts ont déclaré que les gestes mis en œuvre par les EAU étaient conçus non seulement pour envoyer un message à Netanyahu, mais à tous les autres dirigeants israéliens qui pourraient avoir des visées similaires.

« Ils voulaient clairement tracer une limite – pas seulement pour Netanyahu – mais je pense qu’à l’avenir ils ne veulent pas faire partie d’une quelconque compétition interne au sein de la sphère politique israélienne », a souligné Assil. « Ils ne voulaient faire partie d’aucune campagne électorale ».

Krasna a noté que le jeu électoral perpétuel pourrait également rendre d’autres partenaires potentiels réticents à avancer dans le sens de relations diplomatiques.

« Je pense qu’ils comprennent et parfois ne sont peut-être pas très heureux qu’une grande partie de leur utilité soit de servir d’accessoire électoral », a-t-il déclaré. « Personnellement, je pense que cela pourrait expliquer en partie pourquoi les Saoudiens sont un peu plus méfiants ».

L’Arabie saoudite n’a pas encore établi de relations diplomatiques avec Israël, bien que les liens entre les pays soient un secret de polichinelle.

Un autre résultat indirect problématique des élections est un changement dans le discours officiel en Israël. « À cause des élections, les gens parlent de choses dont ils ne parlaient pas nécessairement auparavant », a déclaré Krasna. « Les attaques contre l’Iran et le Hezbollah en Syrie par exemple, nous n’en parlions pas avant, maintenant nous en parlons tout le temps ».

Les liens avec la Jordanie en particulier se sont tendus à cause des promesses électorales de Netanyahu penchant vers la droite. Le roi Abdallah s’est publiquement opposé à la tentative de Netanyahu d’annexer des parties de la Cisjordanie l’année dernière – tentative largement considérée comme un stratagème électoral – que le Premier ministre a abandonné dans le cadre de l’accord de normalisation des relations avec les Émirats arabes unis.

« Cela les met dans une position dans laquelle ils ne veulent pas se
trouver », a déclaré Krasna. « Ils ont beaucoup de liens avec les Palestiniens. Et Israël, pour des raisons électorales, a transformé des éléments qui étaient d’habitude gérés discrètement en ce qui est peut-être la pierre angulaire de la dernière campagne électorale de Netanyahu ».

Des années de frustration jordanienne à l’égard de Netanyahu ont atteint un point culminant plus tôt ce mois-ci, alors que les responsables d’Amman ont paru l’accuser de mettre la région en danger pour des raisons politiques et ont intimé qu’Israël avait violé les accords avec eux.

Le ministre des Affaires étrangères de Jordanie Ayman Safadi donne une conférence de presse avec son homologue allemand, après une rencontre au ministère des Affaires étrangères de Berlinle 10 mars 2021. (Photo: Kay Nietfeld / POOL / AFP)

Netanyahu a peut-être également utilisé la Jordanie comme un défouloir pour renforcer le soutien de la droite. Des collaborateurs du Premier ministre ont attaqué la Jordanie dans le journal Haaretz le mois dernier, la qualifiant de pays en déclin qui est de plus en plus dépendant d’Israël. Les commentaires ont été repris par les journaux jordaniens dès le lendemain. Netanyahu aurait également retardé l’approbation d’une demande d’eau de la Jordanie la semaine dernière.

« La droite pense que les Jordaniens ont poussé le bouchon trop loin et doivent être remis à leur place », a déclaré Krasna, « et à cause des élections, je pense que cela fait partie de ce qui motive Netanyahu ».

Fraternité kahaniste

Les partis qui pourraient faire partie d’une coalition gouvernementale auraient également la possibilité de compliquer les relations d’Israël avec ses voisins.

Mansour Abbas, chef du parti islamiste Raam, prie à Maghar, dans le nord du pays, le 26 mars 2021. (Crédit : Ahmad Gharabli/AFP)

Le parti islamiste Raam, qui a remporté quatre sièges aux élections de mars, est courtisé à la fois par le camp de Netanyahu et par les partis cherchant à l’évincer. Voir figurer Raam dans un gouvernement alors que c’est un parti qui trouve ses racines chez les Frères musulmans pourrait poser problème à la fois aux Égyptiens et aux pays du Golfe.

« Quoi, nous combattons les Frères musulmans à Gaza aux côtés de tout le monde, et en même temps, nous mettons des gens qui leur ressemblent mais sans fusils dans la coalition ? », a déclaré Inbar. « Ils ne verront pas cela d’un bon œil ».

« Les EAU seraient certainement inquiets de cela », a déclaré l’expert en sécurité du Golfe.

Les mesures prises par Netanyahu pour renforcer le parti extrémiste juif conservateur Otzma Yehudit pourraient également embourber les relations d’Israël avec la région. Le parti d’extrême-droite, qui entrera à la Knesset en tant que faction du Parti sioniste religieux et ferait probablement partie de toute coalition sous l’égide de Netanyahu, soutient l’encouragement à l’émigration des non-juifs d’Israël et l’expulsion des Palestiniens et des Arabes israéliens qui refusent de déclarer leur loyauté à Israël et d’accepter un statut secondaire dans un État juif élargi, dont ils souhaitent étendre la souveraineté sur la Cisjordanie.

Le leader du Parti sioniste religieux Bezalel Smotrich (à gauche) et le candidat Itamar Ben Gvir à la soirée électoral au siège du parti à Modiin le 23 mars 2021. (Sraya Diamant/Flash90)

La semaine dernière, les médias israéliens ont rapporté que les pays arabes de la région du golfe Persique ont déclaré aux responsables israéliens que la normalisation serait probablement affectée par l’élection de candidats d’extrême droite à la Knesset. Ces derniers jours, les responsables du Golfe ont déclaré qu’ils s’attendaient à ce que Netanyahu condamne les déclarations racistes des parlementaires, selon le rapport.

« Pour les dirigeants des Émirats arabes unis, c’est une inquiétude », a déclaré Assil. « Même s’ils ont un nombre limité de sièges, ils sont racistes, anti-arabes, et ils pourraient certainement compliquer les choses pour les États arabes ».

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