L’incroyable et courageuse chutzpa d’un torero juif et gay des années 1930
Quand il ne déployait pas sa muleta, le matador américain Sidney Franklin, "torero de la Torah", fréquentait Ernest Hemingway, qui l'a immortalisé dans "Mort dans l'après-midi"

NEW YORK (JTA) — Dans le monde de la tauromachie des années 1920 et 1930, Sidney Franklin n’était pas seulement défini par sa citoyenneté américaine, son élégance ou sa personnalité dure, mais également par sa judéité. Premier Américain à avoir obtenu le statut de matador en Espagne, il avait été surnommé « El Torero de la Torah ».
Mais Franklin entretenait une relation compliquée avec son judaïsme. Né Sidney Frumkin au sein d’une famille juive orthodoxe dans le quartier Park Slope de Brooklyn, les querelles étaient incessantes entre le futur torero et son père traditionaliste.
Son homosexualité (même s’il ne l’affichait pas ouvertement) l’amènera ensuite à s’écarter encore davantage de sa religion.
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Lundi, le Centre d’histoire juive de New York accueille une conférence sur Franklin. Prévue pour le mois de juin – mois des Fiertés – elle explorera ses identités gay et juive.
« Il était rempli de contradictions », explique Rachel Miller, directrice des services d’archives et de la bibliothèque au centre, basé à Manhattan.
« C’est amusant de voir qui il était aujourd’hui, alors que nous avons une perspective complètement différente que ce n’était le cas il y a cent ans sur les identités de genre et transgenre – sur l’identité juive aussi, comme sur les impacts des traumatismes », ajoute-t-elle.
Miller étudie la vie de Franklin depuis 2012. Elle a découvert son histoire en lisant les archives qui le concernaient au centre et a été intriguée par son milieu familial d’origine. Ses parents avaient fui l’antisémitisme en Russie et ils s’étaient établis à New York, où ses frères et sœurs étaient restés.

« Mais que se passe-t-il donc avec celui-là, qui part à Mexico, en Espagne et partout ailleurs en tant que torero ? », s’interroge Miller.
Très tôt, Franklin s’oppose à son père, un agent de police de forte carrure qui punit physiquement ses enfants.
« Sidney s’est rebellé contre tout ce que son père défendait en particulier. Et ils ont eu une relation difficile », explique Miller. « En utilisant les termes d’aujourd’hui, ce père pourrait être qualifié de violent ».
A l’âge de 19 ans, Franklin quitte Brooklyn pour le Mexique. C’est là qu’il va découvrir son amour pour la tauromachie, faisant son apprentissage auprès du célèbre torero Rodolfo Gaona, nullement impressionné par les dangers présentés par ce sport sanglant.
« Si vous avez des tripes », avait dit Franklin un jour, « vous pouvez faire n’importe quoi ».

Parti en Espagne pour assouvir sa passion, il est devenu célèbre en partie pour ses talents de torero et pour les cercles qu’il a fréquentés.
En 1929, Franklin rencontre Ernest Hemingway. L’auteur devient l’un de ses amis proches.
Il immortalisera Franklin dans son livre Mort dans l’après-midi qui explore la tradition de la tauromachie.
“Franklin est un brave, avec un courage froid, serein, intelligent. Loin d’être ingrat et ignorant, il est l’un des manipulateurs de muleta les plus talentueux, les plus gracieux et les plus lents », écrit Hemingway.
« Son répertoire est immense mais il ne tente pas, en utilisant un répertoire varié, d’échapper à la performance de la veronica, à la base du travail de sa muleta et ses veronicas sont classiques, très émotionnelles, joliment réglées et exécutés. Il n’y a pas un seul Espagnol l’ayant vu se battre qui niera son art et son excellence avec sa muleta ».
En 1932, Franklin a interprété son propre rôle dans « The Kid from Spain », tourné à Hollywood, aux côtés d’Eddie Cantor.
Même si le torero était juif, il participait à certains rituels catholiques avant ses combats et laissait les religieuses prier pour lui, raconte sa nièce, Doris Ann Markowitz, à JTA.
« Quand quelqu’un lui demandait pourquoi il laissait des religieuses prier pour lui s’il était Juif, il répondait que c’était parce que les taureaux étaient catholiques », se souvient-elle. « C’était une plaisanterie. Il ne prenait pas la religion elle-même très au sérieux ».
Mais comme le prouve le surnom qui lui avait été donné, son identité juive aura joué un grand rôle dans son existence – du moins dans la manière dont les autres le considéraient.
Un autre aspect moins connu de son identité a été sa sexualité. Franklin était homosexuel mais il n’a jamais abordé ouvertement ce sujet – même si Miller dit que son homosexualité était « un secret de Polichinelle » dans le milieu de la tauromachie.
Markowitz précise que la famille savait que Franklin était gay, mais qu’elle n’en a jamais parlé. Quand il rendait visite à ses proches, explique-t-elle, Franklin venait avec un valet nommé Julio, qui était également son partenaire amoureux.

« Juilo – nous l’appelions Julie – vivait avec nous, dans notre maison, dans notre sous-sol, avec mon oncle et c’était très facile de voir la relation particulière qu’ils entretenaient tous les deux », dit Markowitz.
Et pourtant, Franklin aura tenté de cacher sa sexualité, racontant notamment une relation amoureuse avec une femme et autres escapades hétérosexuelles dans son autobiographie peu fiable écrite en 1952, Bullfighter from Brooklyn.
Miller indique qu’appartenir au milieu macho de la tauromachie aura permis à Franklin d’échapper à des spéculations sur sa sexualité. Mais ce monde lui a également permis de l’exprimer d’autres manières.
« [Franklin] a fait exploser cette image macho de lui-même et j’ai eu le sentiment que c’était un acte de révélation de son homosexualité mais en même temps un acte de performance », raconte Miller.
Les récits des toutes premières photos prises alors qu’il posait pour la première fois dans son costume de torero – « l’habit de lumière », pratique et flamboyant, qui comprend un pantalon court et près du corps, une veste matelassée avec un brocart – montrent combien il aimait le côté glamour de ce sport.
« Il se regardait dans le miroir. Les heures passaient et il ne se lassait pas de se voir dans ce costume d’or et d’argent chatoyant », dit Miller.
Quand sa carrière dans la tauromachie s’est arrêtée, Franklin a géré un café à Séville. En 1957, il a été emprisonné pour avoir illégalement conservé une voiture dans le pays, purgeant neuf semaines d’incarcération sur une peine totale de 25 mois. Après sa libération, il est retourné en Amérique du nord et a partagé sa vie entre le Texas et le Mexique. Il s’est éteint en 1976, passant les dernières années de sa vie dans une maison de retraite.
Se remémorant la vie de son oncle, Markowitz se souvient d’une personnalité « impressionnante ».
« Quand il pénétrait dans une pièce, il l’éclairait », dit-elle, « et quand il entrait dans cette pièce, il n’y avait aucun doute là-dessus, il était au centre de l’attention de tous ».
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