Malgré le record d’antisémitisme à Berlin depuis la Shoah, des expatriés israéliens disent pourquoi ils restent
Selon la police, il est préférable pour les Juifs de ne pas aller à certains endroits en raison de l'hostilité possible d'immigrants musulmans. Mais cela vaut toujours le coup, disent les Israéliens

BERLIN, Allemagne – A la toute fin de l’an dernier, à Berlin, des manifestants anti-Israël ont donné un dernier coup de pouce aux chiffres annuels de l’antisémitisme en Allemagne, alors même que 2024 avait déjà pulvérisé le record du nombre d’actes antisémites de 2023.
Lors d’une manifestation anti-Israël, par exemple, des images, sur les réseaux sociaux, ont montré des immigrants musulmans en train d’appeler à tuer des Juifs et une Israélienne s’est plainte d’avoir été attaquée en plein cœur de la capitale allemande, la veille du Nouvel An, alors qu’elle portait un badge de la coexistence, avec les drapeaux palestinien et israélien.
Les six premiers mois de 2024 ont enregistré plus d’actes antisémites dans la capitale allemande que pendant toute l’année 2023. Ce ne sont pas moins de 25 agressions physiques contre des Juifs qui ont été enregistrées au premier semestre 2024 à Berlin et les mémoriaux de la Shoah ont été dégradés à 21 reprises. Selon le RIAS, organisme fédéral allemand de surveillance de l’antisémitisme, plus de sept actes antisémites sur dix sont liés à Israël.
La cheffe de la police de Berlin, Barbara Slowik, s’est fait remarquer, en novembre dernier, en conseillant aux Juifs et aux homosexuels de faire preuve de prudence lors de leurs déplacements dans les quartiers majoritairement arabes.
« Malheureusement, certains quartiers majoritairement peuplés d’Arabes ont des sympathies pour les organisations terroristes. Un antisémitisme ouvert s’y exprime à l’encontre des personnes de confession ou d’origine juives », a déclaré Slowik.
Pour autant, les expatriés israéliens de Berlin demeurent positifs quant à la vie dans la capitale allemande. Il est difficile d’avoir des chiffres précis, mais les Israéliens installés à Berlin pourraient s’élever à 10 000, peut-être même le double.

Jonathan s’est installé à Berlin il y a près de 10 ans : il était alors dans sa quarantaine. Il a une entreprise d’importation de produits haut de gamme pour bébés et son mari Chanan travaille, lui, pour une multinationale financière. Ils élèvent ensemble des jumeaux âgés de 18 mois, un garçon et une fille. L’an dernier, ils se sont fait construire une maison à la campagne, à 20 minutes du centre-ville de Berlin.
Interrogé sur le regain d’antisémitisme à Berlin, Jonathan confie en être informé par les réseaux sociaux.
« Personnellement, je n’en ai jamais fait l’expérience. Le gouvernement, la police et les lois protègent contre les discours de haine. Ici, les manifestations et défilés anti-Israël sont davantage contrôlés, limités ; ils ont des limites », explique-t-il.
« En Amérique, des gens écrivent sur X sur la question. Mais il est vrai que je ne vais plus dans des endroits comme Neukölln ou Kreuzberg », poursuit Jonathan en parlant des quartiers peuplés d’un grand nombre d’immigrants du Moyen-Orient.
Avant le 7 octobre, Jonathan et Chanan avaient régulièrement à Sonnenallee, la rue principale de Neukölln, pour acheter du bon houmous.

« Il ne se passerait sans doute rien si nous y allions aujourd’hui. Rien, dans notre apparence, ne dit que nous sommes juifs. Mais le fait de savoir que quelqu’un pourrait vouloir me faire du mal me met mal à l’aise », poursuit Jonathan sur un ton sarcastique.
« Le quartier dans lequel nous vivons est plus allemand. Dans notre quartier, les étrangers, c’est nous. Nous avons été très bien accueillis par nos voisins allemands. Personne n’a jamais rien dit sur le fait que nous soyons israéliens ou juifs. Ici, les gens se saluent dans la rue. Un peu comme si nous vivions dans une petite ville. »
Il dit avoir des amis qui l’appellent d’Israël pour lui dire : « J’ai entendu dire que c’était dangereux de vivre à Berlin », ce à quoi il répond : « Sérieux ? Mais vous vous prenez des roquettes. »
« Nous vivons dans un quartier majoritairement blanc, nous avons des voisins allemands, de l’autre côté de la rue, qui viennent nous voir quand nous allumons les bougies de Hanoucca. C’est très amical, comme il se doit », ajoute-t-il.

Le point de vue « alternatif » de Kreuzberg
Les choses sont un peu différentes pour Vicky, née à Moscou et arrivée à Berlin en passant par Bat Yam. Elle est artiste dans un salon de tatouage de Kreutzberg, un de ceux que Slowick déconseille aux Juifs. Dans ce quartier, on est frappé par le grand nombre de graffitis qui ornent les murs d’immeubles souvent délabrés. « Libérez la Palestine » semble être le thème de prédilection, ce dont témoignent les nombreux drapeaux palestiniens, tout comme « Stop à l’occupation » ou « Mettez fin au génocide ».
Vicky, 28 ans, évolue dans un milieu bien différent de celui de Jonathan. Ses amis et collègues allemands, plus jeunes et alternatifs, sont aussi plus ouvertement anti-Israël. Au-delà des opportunités professionnelles, si Vicky et son mari se sont installés à Berlin, c’est pour autre chose que la politique ou la sécurité.
« J’adore Israël, mais il y fait incroyablement chaud, pour moi qui viens de Moscou. Le pays ne devrait pas être au Moyen-Orient, mais ailleurs, avec un climat un peu plus froid », dit-elle en souriant.
Vicky s’est installée en Allemagne après le massacre du 7 octobre, au cours duquel 1 200 personnes, pour la plupart des civils, ont été massacrées dans le sud d’Israël, et 251 ont été enlevées dans la bande de Gaza.

« Je savais à quoi m’attendre. J’espérais avoir l’énergie et la patience de faire face au sentiment anti-israélien », poursuit-elle.
Binationale, la tatoueuse dit à certains qu’elle est israélienne et à d’autres qu’elle est russe.
« La plupart du temps, je sais quelle nationalité il est préférable d’utiliser. Si je suis à Neukölln, je ne dis jamais que je viens d’Israël. Mais pour la plupart de mes clients, ce n’est pas un problème. Au moment où nous cherchions un appartement, j’ai reçu un message d’un propriétaire me disant : ‘Retournez en Russie, je ne veux pas d’assassins juifs.’ Il mélangeait tout », explique-t-elle en ajoutant qu’il s’agit d’un incident isolé.
« Un de mes amis en Israël voulait partir… je lui ai conseillé de venir en Allemagne », ajoute Vicky. « Si on est sensible, tous ces graffitis et ces slogans font de la peine, mais il est au final peu probable de tomber sur quelqu’un qui vous témoigne de la haine. »
Pour l’heure, Vicky et son mari n’ont aucune intention de quitter Berlin.
Dans la Sonnenallee, on parle arabe
Le quartier de Neukölln, mentionné à la fois par Jonathan et Vicky, se trouve au sud de Kreuzberg.
Dans la Sonnenallee, la lingua franca est l’arabe et on voit très peu d’Allemands natifs. Les hommes sont nombreux à porter des keffiehs et les femmes, le foulard.

Cette grande rue commerçante est bordée de magasins qui portent pour nom Al Quds – Jérusalem en arabe – et de salons de coiffure moyen-orientaux. Une grande partie des 30 000 à 40 000 Palestiniens de Berlin vit à Neukölln. Leur drapeau est partout, dans les vitrines des magasins et dans les magasins de souvenirs, qui font allusion aux Palestiniens et au Liban. Les graffitis sont unanimement anti-Israël.
Daniel, qui est âgé de 38 ans et vient de Tel Aviv, mentionne lui aussi Neukölln, tout en précisant que le quartier qui est le sien – Wedding – est beaucoup plus calme, même s’il compte une importante population turque. Daniel, qui travaille dans l’hôtellerie, s’est installé à Berlin en 2021.
« C’est une version plus calme et moins stressante de Tel Aviv », dit-il. « Les gens viennent de partout pour y trouver un havre de paix et être eux-mêmes. C’est pareil à Berlin. »
Daniel concède que dans les semaines et mois qui ont suivi le 7 octobre, il évitait de consulter ses messages en public de peur que les gens ne voient qu’ils étaient en hébreu, car il ne voulait pas attirer l’attention.

A son travail, les réactions après les atrocités du Hamas ont été à l’opposé de ce que l’on aurait pu craindre.
« A mon travail, je porte un badge avec des drapeaux indiquant les langues que je parle. Après le 7 octobre, j’ai demandé à ne plus le porter, mais pas par peur, bien au contraire. Quand les clients – étrangers mais surtout allemands – voyaient le drapeau israélien, ils faisaient preuve d’une solidarité et d’une empathie trop chargées sur le plan émotionnel. J’en avais du mal à travailler. C’est très surprenant, vraiment étonnant », poursuit-il.

Daniel ajoute que certains de ses amis israéliens ont annoncé leur intention de quitter l’Allemagne en cas de victoire du parti d’extrême droite AfD aux élections du 23 février prochain, et ce, en dépit des positions pro-Israël de ce parti anti-immigrés. Lui-même garde à l’esprit la possibilité d’un retour en Israël, mais pas pour des raisons politiques, simplement parce que sa famille et ses amis vivent dans l’État juif.
« Je ne me vois pas vivre dans une autre ville d’Europe. Si je bouge, ce sera pour revenir en Israël », dit-il en ajoutant : « Je vis dans un endroit où la majorité me protège encore. Par ailleurs, je n’ai pas les moyens de revenir vivre à Tel Aviv, c’est trop cher. La migration est toujours une décision économique. »
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