« Mon but était de rester en vie »: Babtchenko se justifie face aux critiques
Moscou avait dénoncé une "provocation antirusse" ; le Comité pour la protection des journalistes a dénoncé des mesures à même de miner "la confiance du public" dans les médias.
« Mon but était de rester en vie »: le journaliste russe Arkadi Babtchenko est monté au créneau jeudi pour justifier l’incroyable mise-en-scène de son faux assassinat, qui a suscité une levée de boucliers.
Après le soulagement, la réapparition lors d’une conférence de presse-spectacle mercredi de ce reporter chevronné, donné la veille abattu de trois balles dans le dos à l’entrée de chez lui à Kiev où il s’est exilé, a suscité de nombreuses interrogations.
Le procédé a été justifié comme nécessaire pour déjouer une tentative d’assassinat bien réelle organisée, selon Kiev, par les services secrets russes, visant Arkadi Babtchenko mais aussi une trentaine d’autres personnes, en remontant de l’exécutant aux commanditaires.
« Mon but était de rester en vie et d’assurer la sécurité de ma famille. C’est la première chose à laquelle je pensais. Les standards journalistiques, c’est la dernière chose à laquelle je pensais à ce moment », a expliqué le journaliste et écrivain de 41 ans devant la presse.
Premier haut responsable européen à réagir, le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, attendu jeudi soir à Kiev, a affirmé que ce coup de théâtre « posait beaucoup de questions », appelant à « faire la lumière » sur « un événement qui est pour beaucoup de gens incompréhensible dans le cadre de l’Etat de droit ».
L’ONG Reporters sans frontières (RSF) a condamné une simulation « navrante » et « une nouvelle étape dans la guerre de l’information » entre Kiev et Moscou. « Rien ne justifie de mettre en scène la mort d’un journaliste », a critiqué son secrétaire général, Christophe Deloire.
Une autre organisation, la Fédération internationale des journalistes (IFJ), a qualifié l’affaire d' »intolérable et inacceptable », tandis que le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) a dénoncé des mesures « extrêmes » à même de « miner la confiance du public » dans les médias.
Cette affaire « va amoindrir encore davantage les niveaux déjà microscopiquement bas de confiance qu’ont les Ukrainiens dans leur gouvernement et leurs médias », estime pour sa part l’historienne Anne Applebaum dans le Washington Post, jugeant que les autorités ukrainiennes ont « brisé un tabou ».
« Au moment où l’Ukraine veut se positionner comme un membre responsable de la communauté européenne et supplie ses donateurs internationaux de l’aider à contrer les fausses informations, pourquoi contribue-t-elle à en créer? », s’interroge pour sa part l’expert Michael Bociurkiw sur CNN.
« Histoire étrange »
Dès mercredi soir, Moscou avait dénoncé une « provocation antirusse ».
« Cette histoire est, et c’est le moins qu’on puisse dire, étrange. Je ne suis pas sûr qu’ici la fin justifie les moyens », a renchéri jeudi le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov.
Arkadi Babtchenko, qui a préparé pendant des semaines la mise en scène avec les services ukrainiens, a assuré jeudi « croire » en la version des services secrets ukrainiens.
Un conseiller du ministre de l’Intérieur, le député Anton Guerachtchenko, a expliqué que cette mise en scène était nécessaire pour « remonter et documenter toute la chaîne, du tueur à gages aux organisateurs et aux commanditaires », en les persuadant que « la commande a bien été exécutée ».
Le chef des Services de sécurité ukrainiens (SBU), Vassyl Grytsak, a affirmé qu’un Ukrainien recruté par les « services de sécurité russes » et présenté comme l' »organisateur » avait été arrêté. Les autorités n’ont toutefois fourni aucune information sur son identité.
Arkadi Babtchenko a quitté la Russie en février 2017, dénonçant un « harcèlement ». Il a d’abord vécu en République tchèque et en Israël, avant de s’installer à Kiev où il anime une émission de télévision.
L’annonce de sa fausse mort intervenait moins de deux ans après l’assassinat du journaliste russo-bélarusse Pavel Cheremet, dont la voiture avait explosé en plein centre de Kiev.
M. Babtchenko se disait menacé après avoir dénoncé le rôle de la Russie dans le conflit dans l’est de l’Ukraine, qui a fait plus de 10.000 morts depuis quatre ans.
Il a assuré jeudi « haïr personnellement » Vladimir Poutine: « Cette personne est responsable de plusieurs guerres et de milliers de morts. J’ai enterré mes proches, mes collègues, mes amis et je suis fatigué de le faire ».