Mort d’Alexander Kalantyrsky, leader des « liquidateurs » de Tchernobyl
Cet ingénieur s'était porté volontaire pour la construction du sarcophage recouvrant le réacteur numéro 4 de triste mémoire et avait immigré en Israël six ans plus tard
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

Alexander Kalantyrsky, l’un des « liquidateurs » qui était intervenu dans le sillage de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, en 1986, qui s’était installé en Israël six ans plus tard et qui avait établi une association représentant les 3 500 liquidateurs approximativement qui avaient eux aussi immigré dans le pays, s’est éteint mercredi à l’âge de 80 ans, a annoncé sa famille.
« Mon père était un homme d’action – des actions qui ont bénéficié au monde », a déclaré au site d’information Davar sa fille, Orly. « Il a été exemplaire en démontrant que tout est possible – que la force de la volonté, un travail acharné et le professionnalisme vous permettent d’apporter une contribution réelle à la vie et de laisser votre empreinte ».
« À Tchernobyl, il s’était battu contre une radioactivité meurtrière pour empêcher qu’elle ne se propage et qu’elle entraîne des ravages. Et ici, en Israël, il s’était battu en faveur des droits des liquidateurs » qui avaient immigré au sein de l’État juif, a commenté pour sa part Ksenia Svetlova, ancienne députée de l’Union sioniste qui avait collaboré avec Kalantyrsky pour garantir l’adoption d’une loi en 2001 qui reconnaissait le travail des liquidateurs et qui leur accordait un statut unique. Cette législation n’a finalement jamais été mise en œuvre.
« C’était un homme humble, noble, concentré sur ses objectifs », avait confié Svetlova, qui avait écrit un texte consacré à Kalantyrsky dans le Times of Israel, en 2019. « J’espère que le gouvernement répondra aux modestes demandes des liquidateurs qui se trouvent dans le pays et qui ne revendiquent uniquement ce que la loi leur a promis. Kalantyrsky est une personnalité éminente parmi les immigrants de l’ex-Union soviétique. Ce serait une bonne chose que l’État reconnaisse et rende hommage à tout ce qu’il nous a apporté. »
Kalantyrsky, qui était marié et père de deux filles, avait été au centre d’un long article publié en 2019 par le Times of Israel. L’article s’était intéressé à la catastrophe de Tchernobyl, à son sillage et à ses répercussions ainsi qu’à la situation des liquidateurs qui s’étaient installés au sein de l’État juif – auxquels sont refusés depuis longtemps une aide médicale et d’autres soutiens essentiels de la part de l’État qui leur ont pourtant été promis.
Ingénieur de construction au sein de l’institut Kurchatov de Moscou, dont le directeur avait revendiqué la conception des réacteurs nucléaires RBMK, intrinsèquement instables, en Union soviétique, Kalantyrsky s’était porté volontaire pour apporter son aide face à la catastrophe.

Le travail d’ingénieur en chef lui avait été confié dans l’unité qui avait été chargée de construire la base d’un sarcophage en béton qui devait recouvrir le réacteur qui avait explosé, dans le but de contenir enfin la radioactivité qui s’échappait du site et de contrôler le mélange volatile qui se trouvait encore à l’intérieur.
Cette prise en charge de la catastrophe de Tchernobyl – avec notamment les missions de décontamination de la zone, autour de l’usine elle-même – avait été décrite par l’auteur Adam Higginbotham dans son récit de la tragédie, Midnight at Chernobyl, comme étant une mission « à une échelle sans précédent dans l’Histoire humaine » et qu’aucun esprit humain n’aurait jamais imaginé devoir un jour assumer. L’opération spécifique à laquelle Kalantyrsky avait pris part – emmurer ce qui restait du réacteur 4 – avait impliqué « de travailler dans l’un des environnements les plus hostiles jamais connus par l’Homme », poursuivait l’auteur. « Cette mission promettait des niveaux de radioactivité allant au-delà de l’imagination, un site de construction beaucoup trop dangereux à contrôler et une échéance impossible à respecter. »
« Le travail, dans l’ensemble, visait à minimiser les dégâts », avait dit Kalentyrsky dans son interview accordée au Times of Israel en 2019, un entretien rendu possible grâce à l’aide de Svetlova, née à Moscou, qui avait également fait office de traductrice.
« Il y avait un périmètre d’exclusion arbitraire de 30 kilomètres. Mais je dormais à 88 kilomètres du cœur du réacteur. Il y avait des secteurs où je ne pouvais rester que trois minutes au maximum. On travaillait par périodes de douze heures, sept jours sur sept, sans congé », avait-il confié, se souvenant de ces événements impensables avec un calme surprenant.

« Nous avons construit la base du sarcophage – 12 mètres de haut et 40 mètres de large et de long », avait-il expliqué en montrant des esquisses et des diagrammes de l’ouvrage, certains indiquant les niveaux de radioactivité qui avaient été détectés et enregistrés dans les différentes parties du réacteur. « Il nous avait été demandé de ne pas en parler. »
Alors qu’il lui était demandé si les liquidateurs avaient eu conscience du danger qu’ils encouraient et de l’enjeu de la tâche, Kalantyrsky avait eu un semblant de sourire contraint. « La moitié de l’Europe aurait pu être décimée, si ce n’est toute l’Europe. C’était une course contre la montre. Nous le savions au plus profond de nous-mêmes : nous n’avions pas le temps. »

Kalentyrsky avait été hospitalisé à deux reprises peu après la mission – mais il nous avait confié, pendant notre entretien, qu’il avait fait partie des « chanceux ». Il souffrait d’arythmie depuis 1986 – « mais je n’ai pas de cancer ». Sur les 3 500 liquidateurs environ qui se sont installés au sein de l’État juif, la majorité a péri, largement suite à des maladies qui auraient été liées à Tchernobyl.
Kalentyrsky avait clairement établi être venu en Israël parce qu’il était sioniste et non parce qu’il voulait fuir l’Union soviétique pour laquelle il avait risqué sa vie. Un grand nombre de membres de sa famille étaient, eux aussi, partis en Israël à ce moment-là et sa fille aînée avait dit à ses parents qu’elle voulait avoir la certitude qu’elle épouserait un Juif. L’ingénieur de carrière s’était souvenu que son épouse lui avait alors déclaré : « On ne peut pas la laisser partir toute seule. »

Après son départ, il avait publié une annonce dans un journal russe, en 1992, dans laquelle il avait fait savoir qu’il avait pris la décision de fonder une association pour les immigrants comme lui, pour ces « liquidateurs » qui avaient pris part à l’opération de « neutralisation » de Tchernobyl dans le sillage de la catastrophe. 147 personnes très précisément s’étaient signalées et l’association avait commencé ainsi.
Des soins médicaux et d’autres aides avaient été garantis aux liquidateurs dans les républiques variées de l’ex-Union soviétique, dont la chute avait été au moins partiellement catalysée par Tchernobyl. Et l’association naissante de Kalantyrsky réclamait un traitement similaire pour les liquidateurs qui vivaient dorénavant sur le sol israélien. « Tous les pays de l’ex-Union soviétique avaient des lois : aide au logement, retraite avancée de dix ans, etc… Nous avons utilisé ces lois comme bases pour la mise en place d’une législation ici », avait-il indiqué.

Feu le député Yuri Stern était parvenu à faire adopter une telle loi en 2001 – un grand nombre de liquidateurs avaient rejoint l’association de Kalantyrsky dans l’intervalle – mais ses dispositions ne devaient jamais être mises en œuvre.
Les liquidateurs, en Israël, bénéficient d’une subvention annuelle modeste et d’une petite aide au logement. Mais le texte qui avait été adopté prévoyait aussi la mise en place d’une structure médicale publique particulière, qui aurait été chargée de surveiller l’état de santé des liquidateurs et de les soigner – ainsi que, et c’est crucial, leurs enfants, des études ayant montré que les pathologies et autres affections entraînées par l’exposition aux radiations à Tchernobyl s’étaient transmises à une seconde génération. Mais ce n’est jamais arrivé.

« Nous avons aussi espéré qu’il y aurait une commission qui serait chargée d’étudier nos droits en termes de handicap. Elle se serait aussi occupée de nos enfants. Rien n’est arrivé », avait-il déploré.
Les liquidateurs israéliens ne peuvent pas souscrire non plus à une assurance-vie, avait-il regretté. « Nous présentons un risque élevé et personne ne voudra nous assurer. Le gouvernement garantit que les employés de Dimona, par exemple, pourront être assurés. Mais pas nous. Il nous est donc impossible d’acheter un appartement, sinon par l’intermédiaire d’un proche. »

« Selon moi, nous devrions pouvoir bénéficier d’une pension équivalente à celle qui est versée aux vétérans de l’armée Rouge qui ont combattu les nazis », avait suggéré Kalantyrsky, élevant un peu la voix – pour la seule fois au cours de notre entretien.
« Ils ont combattu les nazis et ils ont sauvé le monde du nazisme. Nous avons sauvé le monde d’une catastrophe nucléaire », avait-il ajouté.

Kalantyrsky nous avait confié qu’il avait conclu que Tchernobyl avait été une catastrophe « causée par le facteur humain » et que nous, être humains, aurions inévitablement besoin de garde-fous pour nous protéger nous-mêmes. « La France obtient 70 % de son énergie des réacteurs nucléaires », avait-il fait remarquer. « Chaque cœur de réacteur dispose de trois systèmes autonomes de protection. Si l’un d’entre eux est défaillant, s’il cède, alors un deuxième entre en jeu. C’est un système de défense convenable. Mais même là, la protection n’est pas assurée à 100 %. »
Pour exploiter un réacteur nucléaire – même s’il n’a pas été conçu avec les mêmes défaillances que le réacteur 4 de Tchernobyl, qui avait rendu la catastrophe presque inévitable – « il faut une équipe expérimentée. Et il faut une équipe de supervision toute aussi expérimentée. Et une autre équipe de supervision qui contrôle les superviseurs », avait-il expliqué.
« Avec tout ça, alors rien de dramatique ne doit théoriquement arriver. Mais ce n’était absolument pas le cas à Tchernobyl », avait-il poursuivi.

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David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel