« NAKAM », un film sur un violoniste juif qui a combattu avec les partisans
Le projet de thèse dans une école de cinéma s'inspire de l’histoire de Motele Schlein, tué dans une embuscade nazie, mais dont le violon a survécu et est toujours utilisé
- Anton Krymskiy dans le rôle de Mitke dans "Nakam" (Crédit : Filmakademie Baden-Württemberg / Leonard Caspari)
- Le violon de Mitke
- Rostyslav Bome (à droite) dans le rôle du chef des partisans Artem avec Anton Krymskiy dans le rôle de Mitke dans " Nakam " (Crédit : Filmakademie Baden-Württemberg / Leonard Caspari)
- Peter Miklusz dans le rôle de l'officier nazi Seeger dans "Nakam" (Crédit : Filmakademie Baden-Württemberg / Leonard Caspari)
- Yevgeni Sitokhin dans le rôle du pianiste Yegor dans 'Nakam' (Crédit : Filmakademie Baden-Württemberg / Leonard Caspari)
Au mois de juin 1941, des nazis se sont abattus sur le petit village biélorusse de Karmanovka à la recherche des deux familles juives qui y vivaient. Ils y ont arrêté la famille Schlein pour les déporter à Auschwitz avant d’assassiner les membres de la famille Gernstein sur place.
Le seul survivant était Motele Schlein (également orthographié Motale Shlain), qui avait 11 ans et se cachait dans un grenier. Jeune musicien talentueux, il a réussi à s’enfuir dans la forêt avec son violon où il a rejoint une bande de partisans juifs dirigée par Moshe (« Oncle Misha ») Gildenman de Korets, d’Ukraine. Gildenman avait réussi à s’échapper du ghetto de Korets avec son fils Simcha (qui a le même âge que Schlein) et une poignée d’autres habitants.
L’histoire de Schlein a été la source d’inspiration de « NAKAM« , un court-métrage d’une demi-heure, sélectionné pour les Oscars 2023. Le fil a été réalisé par Andreas Kessler, fraîchement diplômé d’une école de cinéma allemande. « NAKAM » a été présenté en première mondiale au 46e Festival international du film de Cleveland où il a remporté le prix du meilleur court métrage d’action.
« Nakam » veut dire vengeance en hébreu, et le film est effectivement centré sur Schlein qui cherche à se venger du meurtre de ses parents et de sa jeune sœur.
À ne pas confondre avec le groupe de 50 jeunes survivants de la Shoah qui s’appelait Nakam aussi. Dirigés par le poète et résistant Abba Kovner, ceux-ci avaient planifié en guise de vengeance l’empoisonnement de six millions d’Allemands, mais ils n’y sont pas parvenus.
« NAKAM » est le projet de thèse de Kessler pour son Master à la Filmakademie Baden-Württemberg. Dans une interview réalisée depuis son domicile de Stuttgart, Kessler, 32 ans, a confié au Times of Israel que l’idée du film lui est venue il y a environ huit ans, après avoir lu un article dans la presse sur la restauration du violon de Schlein par le programme Violons de l’Espoir.
Dirigé par les luthiers israéliens Amnon et Avshalom Weinstein, ce programme restaure et expose des violons, des altos et des violoncelles datant d’avant la Seconde Guerre mondiale, dont la plupart ont appartenu à des Juifs qui ont péri ou ont survécu à la Shoah. Ces instruments sont joués dans le monde entier lors de concerts et d’événements commémoratifs de la Shoah. (Un livre de James A. Grymes sur l’histoire et la restauration de certains de ces violons a été publié en 2014).
« Je me souviens avoir lu que la pièce pour instruments à cordes ‘Violons de l’Espoir’ du [musicien israélien basé à Berlin] Ohad Ben-Ari avait été commandée et jouée par le Philharmonique de Berlin [en 2015] », a précisé Kessler.
Le violon de Schlein a survécu à la guerre et est exposé dans l’exposition permanente du musée de Yad Vashem à Jérusalem. Schlein est mort de manière tragique à l’âge de 14 ans alors que le groupe de partisans qu’il avait rejoint a essuyé le feu nourri des forces nazies.
Au cours de ses recherches sur la courte mais héroïque vie de Schlein, Kessler est tombé sur le récit de l’explosion d’un restaurant à Ovruch, en Ukraine, dans lequel se trouvaient quelque 200 officiers nazis. Schlein, envoyé par Moshe Gildenman en mission de reconnaissance, jouait du violon sur la place du village tout en gardant les yeux et les oreilles ouvertes, lorsqu’un officier nazi l’a invité à jouer dans un restaurant local.
« Arrivé au restaurant, Motele a dû passer un entretien ; le restaurant avait déjà un musicien, un pianiste plus âgé. Celui-ci a sorti un morceau de musique particulièrement difficile, le Menuet de Paderewski, du populaire compositeur polonais des années 1930 Ignac Jan Paderewski, et a demandé à Motele de le jouer », raconte Yvette Alt Miller dans un article sur Schlein (en anglais).

« Motele a superbement interprété le morceau et, on lui a proposé, sur-le-champ, un emploi régulier de musicien dans le restaurant. C’était un merveilleux coup de chance pour les partisans juifs, qui avaient maintenant un jeune espion en mesure d’écouter les nazis discuter lorsqu’ils étaient au repos. Mais c’était incroyablement dangereux pour Motele. Si son identité juive était découverte, il était certain d’être torturé et tué, et toute la communauté de partisans qui se cachait dans les bois voisins risquait d’être traquée et liquidée », continue-t-elle.
Schlein a réussi petit à petit à introduire clandestinement des explosifs dans le restaurant et à les cacher dans les fondations du bâtiment. Le moment venu, il a allumé une mèche et a fait sauter l’endroit bondé. Schlein s’est échappé sans être blessé et a rejoint le groupe de partisans.
Ce récit constitue la trame de base du film multilingue de 30 minutes de Kessler, avec des dialogues en russe, en allemand, en ukrainien et en yiddish. « NAKAM », réalisé avec un budget de 60 000 euros, a été tourné en 10 jours dans une zone rurale aux alentours de Berlin (les projets initiaux de tournage en Ukraine ont été contrecarrés par la pandémie). La distribution d’acteurs allemands et ukrainiens comprend l’impressionnant adolescent Anton Krymskiy dans le rôle du personnage inspiré de Schlein, « Mitke », qui a dû apprendre à jouer du violon pour ce rôle.

En abordant l’histoire, Kessler y a vu l’occasion d’ajouter un dilemme moral à des fins dramatiques.
« C’est une histoire de vengeance, mais quand j’ai commencé à la creuser, j’ai réalisé que je pouvais aussi en faire l’histoire de Mitke qui sacrifiera la vie de son ami innocent, le pianiste Yegor, pour tuer des nazis. Il pouvait y avoir plus de complexité et de multiples perspectives », a déclaré Kessler.
Dans le film, Mitke fait tout ce qu’il peut pour sauver Yegor, inventant même une excuse pour qu’il quitte le restaurant au moment où l’explosion devrait se produire. Malheureusement, les choses ne se passent pas comme Mitke l’avait prévu, et le pianiste est pulvérisé en même temps que le groupe d’officiers nazis, le propriétaire du restaurant et sa fille.
« Le film exprime ce en quoi je crois, à savoir qu’il n’y a pas de gagnants à la guerre. La violence ne fait qu’engendrer davantage de violence et de brutalité. C’est l’histoire universelle du conflit », a déclaré Kessler.
Si le film est fascinant, tout comme l’histoire de Schlein qui fait exploser le restaurant rempli de nazis, il n’existe aucune preuve historique que ces événements ont réellement eu lieu.

« Un Motele Shlein a bien existé, il jouait du violon, il espionnait pour les partisans, et il a été tué. C’est tout ce que nous savons avec certitude », a déclaré Michael Tal, directeur du département des artefacts de la division des musées à Yad Vashem.
Selon Tal, il n’existe aucune preuve documentaire pour étayer le récit du restaurant. Il n’en est question que dans des souvenirs écrits en yiddish par le chef des partisans Moshe Gildenman, que son petit-fils Sefi Hanegbi (le fils de Simcha Gildenman) a remis à Yad Vashem avec le violon de Schlein.
« Si les partisans juifs avaient fait exploser un grand groupe de nazis, comme le raconte cette histoire, il y aurait eu de sévères représailles de la part des nazis, or il n’existe aucune documentation à ce sujet. Et du côté soviétique, l’attaque des partisans aurait été un motif de fierté – mais il n’existe pas non plus de documents russes à ce sujet », a déclaré Tal.
Que Schlein ait ou non fait exploser un restaurant rempli de nazis, son héritage d’enfant engagé dans la résistance reste puissant et se perpétue à travers le son et à la vue de son violon.
Les Gilderman ont gardé le violon de Schlein jusqu’à la fin de la guerre, même pendant qu’ils se battaient aux côtés de volontaires ukrainiens, puis plus tard dans l’armée soviétique. Ils l’ont amené dans leur nouvelle maison en Israël au début des années 1950, et des dizaines d’années plus tard, Hanegbi, le petit-fils de Moshe Gildenman, l’a montré à Amnon Weinstein des Violons de l’Espoir, qui l’a trouvé en bon état.

Il y a 25 ans, Hanegbi a fait don du violon à Yad Vashem en mémoire de tous les enfants talentueux assassinés pendant la Shoah, et à la condition qu’il continue à être utilisé.
Selon Tal, le violon quitte les vitrines du musée au moins deux fois par an pour être joué en public. La prochaine fois qu’il sera joué, ce sera en Slovénie, à l’occasion de la Journée internationale de commémoration de la Shoah, le 27 janvier 2023.
Un livre spécial, offert à Yad Vashem par Hanegbi, accompagne le violon dans tous ses déplacements et contient les messages de tous ceux qui ont joué l’instrument, de l’adolescent lors d’un événement pour Yom Hashoah en Israël et jusqu’aux musiciens célèbres tels que Hagai Shaham, Shlomo Mintz et David Strongin.
« L’histoire de Motele Schlein touche encore les gens. Ils demandent encore à jouer ou à entendre son violon », a déclaré Tal.
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