Peu nombreux, des philanthropes israéliens s’unissent pour financer la réduction des émissions de carbone
Sans service de relations publiques ni site Internet, le Fonds d'action pour le climat israélien - PAI -, lutte avec ses généreu donateurs contre les émissions de carbone
En mars, l’Organisation météorologique mondiale a publié son rapport sur l’état du climat mondial et confirmé que 2024 avait été l’année la plus chaude des 175 dernières années sujettes à observation et sans doute la première année civile avec des températures supérieures de plus de 1,5 °C aux niveaux pré-industriels – ce qui est la limite fixée par l’Accord de Paris sur le climat de 2015.
Selon le service météorologique israélien, en Israël, les températures moyennes ont, entre 2014 et 2024, été de 1,8 °C plus élevées que dans la période de 1950 à 1979. Ces huit dernières années (2016-2024), les températures maximales moyennes de juillet ont été de 2,8 °C plus élevées qu’entre 1950 et 1979, a récemment révélé un rapport du Taub Center for Social Policy.
Avec ces périodes de sècheresse plus longues, la fréquence, la gravité et la durée des feux de forêt augmentent, comme en témoignent les gros incendies qui se sont déclarés dans les collines de Jérusalem le mois dernier.
Les scientifiques pointent du doigt les émissions d’origine humaine de carbone et de gaz connexes comme le méthane. L’an dernier, la quantité de carbone dans l’atmosphère issue du seul secteur de l’énergie a été deux fois supérieure aux niveaux pré-industriels, a déclaré l’Agence internationale de l’énergie.
Ces douze derniers mois, un petit collectif de philanthropes israéliens du climat œuvre en coulisses pour accorder des subventions aux initiatives destinées à réduire les émissions de gaz à effet de serre dans le pays.
Le Fonds d’action israélien pour le climat, plus connu sous son acronyme hébreu PAI, compte actuellement sept membres, avec deux nouveaux membres à la clef. Ces membres ont en commun de consacrer chaque année 80 000 dollars au moins pour des projets liés au climat.
« Dans le secteur de la philanthropie israélienne, plus de 90 % des fonds viennent de l’étranger », explique le seul et unique employé rémunéré de PAI, à savoir sa directrice générale, Noa Yayon. « PAI est le premier partenariat climatique israélien avec des acteurs israéliens et des fonds versés par des donateurs israéliens. Ce sont tous des touche-à-tout et des gens pragmatiques. »
« Notre objectif est de tirer parti de nos connaissances, de notre expérience et de nos relations pour aider Israël à atteindre ses objectifs climatiques et à les rendre même plus ambitieux », ajoute-t-elle. « Notre avantage, c’est que nous pouvons prendre des risques que d’autres secteurs ne peuvent pas prendre, et que nous sommes prêts à les prendre pour changer la donne. »
L’idée de PAI remonte à il y a de cela trois ans lorsque la sculptrice et ex-psychologue clinicienne Doris Arkin a commencé à s’intéresser de près au changement climatique, sujet jusqu’alors peu investigué par la fondation qu’elle dirige avec son mari Mori.

« Cela m’a choquée et inquiétée à l’idée de ce que nous allions laisser à nos enfants et petits-enfants », se souvient-elle.
« Alors je me suis renseignée et ai pris contact avec des organisations pour comprendre de quelle manière il serait possible de faire quelque chose de stratégique, sans se contenter de donner un peu de ci de là. Au bout d’un an, j’ai compris que je n’arriverais pas à faire quelque chose de significatif seule. »
Elle a commencé par convaincre deux de ses amis, Ram Amar, PDG de Rewind, et Michael Mor, homme d’affaires
retraité qui travaillait auparavant en Afrique.
« Il était important que nous soyons Israéliens, que nous prenions au moins la responsabilité de ce qui se passe ici », souligne Arkin. « Même si nous sommes un petit pays, notre impact est loin d’être négligeable. Nous avons également un grand potentiel innovateur. Les Israéliens ont beaucoup à dire sur le climat : c’est ainsi que tout a commencé. Je ne suis pas une experte, mais j’ai compris qu’il fallait sensibiliser au plus vite. Notre vie en Israël en dépend. Faisons au moins en sorte d’arrêter les dégâts et, espérons-le, de trouver des solutions pour faire face à l’avenir. »
D’autres personnes les ont rejoints, qui ont elles aussi vécu une longue période d’apprentissage scientifique auprès des meilleurs experts. Il y a de cela un an, le groupe a embauché Yayon, ex-conseillère principal de Tamar Zandberg, alors ministre de la Protection de l’environnement.
Selon Arkin, la présidente du groupe, « Nous mettons de l’argent dans des projets que le gouvernement pourra faire fructifier à l’échelle du pays tout entier. »
PAI lance des projets autour desquels il rassemble les autorités publiques, les ONG, le monde universitaire et le secteur privé pour les mener à bien. Les membres se mettent d’accord sur une stratégie et y contribuent.
Le groupe a choisi de privilégier cinq secteurs pour la réduction des émissions de carbone, ou décarbonation, à savoir l’électricité, la construction, l’industrie, les transports et l’agriculture, et notamment la question de l’utilisation des terres.

« Quand on envisage la réduction des émissions, il faut prendre en compte toute l’activité humaine », explique Yayon. « Il ne s’agit pas seulement de protection de la nature ou des rivières, mais aussi de la façon dont l’humanité gère ses ressources, se déplace d’un endroit à un autre, utilise l’électricité… Le monde qui est le nôtre n’est pas fait de méchantes entreprises, de gentilles ONG et de gouvernements gris et compliqués. Il y a beaucoup de bonnes personnes influentes partout, dans tous les secteurs. A condition de savoir comment les rassembler, il est possible d’avoir une énorme influence sur les choses. »
« Nous travaillons avec le secteur privé parce que c’est le moteur de l’économie », poursuit-elle. « Nous savons que l’économie est à l’origine des émissions et que c’est à nous de proposer des alternatives. »
Résilience énergétique le long des frontières
Yayon rappelle que les frontières nord et sud d’Israël, en proie à la guerre, sont tout à la fois très sensibles sur le plan sécuritaire et vulnérables sur le plan climatique. La zone frontalière de Gaza et certaines parties du nord connaissent une baisse des précipitations et des sécheresses – des facteurs qui, affirme-t-elle, devront être pris en compte dans la reconstruction, une fois la guerre terminée.

Dans le nord d’Israël, là où la cartographie de PAI et les échanges avec les parties prenantes ont révélé un manque de sensibilisation au climat, l’organisation s’est associée à d’autres philanthropes pour financer deux groupes de travail d’experts sur l’environnement et les énergies renouvelables qui font désormais partie des services publics de planification.
Dans le sud d’Israël, PAI a accordé des subventions au projet NZO, du Centre Heschel pour le Développement Durable, pour créer un guichet unique « Energie renouvelable » pour toute la partie occidentale du Neguev, ainsi qu’à Ignite the Spark [NDLT : Faire jaillir l’étincelle], ONG vouée à l’innovation énergétique qui a piloté des projets d’énergie solaire pour la zone frontalière de Gaza, dont six devraient toucher des fonds publics.
Le pouvoir de l’agrivoltaïsme
En sa qualité de leader de l’agritech, Israël est considéré comme la possible tête de proue du secteur de l’agrivoltaïsme, technologie qui génère de l’énergie tout en favorisant les cultures. Le ministère de l’Agriculture teste d’ailleurs cette technologie à Gilboa, dans le nord d’Israël, ainsi qu’à Revadim, dans le sud du pays.
PAI met actuellement la dernière main à un programme de financement de la recherche sur les meilleures pratiques et va financer des groupes de travail chargés d’étudier la question du point de vue agronomique, économique, politique et technologique. PAI espère utiliser les opportunités offertes par l’agrivoltaïsme pour amener Israël à une forme d’agriculture plus durable.

« Nous ne savons toujours pas exactement comment fonctionne l’agrivoltaïsme, c’est pourquoi nous devons faire des projets pilotes et de la recherche pour comprendre les différences entre les cultures et les différentes zones climatiques », ajoute Yayon. « On parle volontiers d’Israël comme d’un laboratoire vivant : c’est on ne peut plus vrai ici. »
Construction et industrie
Avec l’objectif à long terme de créer une feuille de route pour décarboner toute l’industrie de la construction, PAI a commencé par une étude de cas sur les émissions carbone tout au long de la vie d’un bâtiment standard dans le centre de Modiin, et ce grâce à l’aide du Conseil israélien du bâtiment durable. Ce dernier a en effet analysé l’empreinte carbone du bâtiment, des matériaux utilisés pour sa construction et de l’élimination des déchets après sa démolition avant d’étudier de quelle manière le même bâtiment pourrait être construit, au même endroit, en 2045, avec des émissions nettement réduites.
Au sein du secteur industriel, PAI finance les travaux sur la tarification carbone et la création d’un marché volontaire du carbone en Israël. Les travaux concernant le secteur des transports n’en sont qu’à leurs débuts.
Un meilleur mouvement, un meilleur message
PAI travaille également avec des ONG environnementales sur une réflexion stratégique susceptible d’aider le mouvement à se montrer plus efficace. Il s’agit d’examiner de quelle manière les organisations pourraient mieux travailler ensemble, améliorer leurs objectifs et leur message, et de mieux expliquer à la population en quoi les changements climatiques affectent gravement les questions au coeur de la qualité de la vie que sont la sécurité, les affaires étrangères, la santé ou encore l’économie.

PAI souhaite entamer des discussions avec les médias israéliens, ajoute Yayon, car la couverture climatique y est, selon elle, inexistante, tout au mieux marginale, reléguée au rang de sujet pour les défenseurs des arbres. « Avec l’opinion publique, il faut bien expliquer et être pertinent », ajoute-t-elle.
En lien avec la diaspora juive, l’organisation a rejoint le tout nouveau Jewish Climate Trust, ce qui permet de faire connaitre la scène climatique israélienne.
« Le changement climatique explique une grande partie de la tourmente mondiale », poursuit Yayon. « C’est très pertinent au regard de ce que les gens vivent partout, que ce soit sur le plan économique ou même sécuritaire. » Elle prend pour exemple la concurrence entre les États-Unis et ses rivaux – comme par exemple la Chine – pour mettre la main sur les richesses du sous-sol de pays comme le Groenland, essentielles aux technologies qui vont permettre de décarboner le monde.

« Nous sommes des philanthropes, pas des décideurs, mais nous faisons partie de l’écosystème », poursuit-elle. « Nous n’avons pas de site Internet et la question n’est pas d’être particulièrement visibles. Au sein du PAI, tout le monde a réussi par ailleurs : nous avons choisi de nous associer car on est plus intelligent à plusieurs. »
Gideon Stein, ex-vice-président de la R&D et chercheur scientifique en chef chez Mobileye, a adhéré à PAI avec son épouse Marla, elle-même coprésidente du Forum des bailleurs de fonds verts du Jewish Funders’ Network.
Stein se réjouit de « l’alliance de forces » de ce partenariat, et notamment de la figure de Yayon, avec son expérience publique, de la fondatrice de PAI, Arkin, et de l’expérience de la philanthropie de Brenda Bodenheimer Zlatins, de la Fondation Blaustein. Il souligne les connaissances de Mor en comptabilité et en affaires, et la maîtrise de l’investissement d’impact de Noa Yovel Maoz, ainsi que le savoir-faire technique et l’affinité avec les chiffres qu’il partage avec Rami Amar et Yoki Gil.
Gil, dont l’usine de sandales Shoresh a été la première en Israël à revendiquer zéro émission carbone sur le plan de l’électricité et des transports, a invité d’autres philanthropes à le rejoindre.
Il parle de PAI comme d’une « startup philanthropique unique – une start-up, parce que nous construisons une communauté de philanthropes qui se document sur le climat dans un état d’esprit entrepreneurial et avec une orientation commerciale qui fait la part belle à l’innovation, à la recherche de résultats, à la mesure et à une approche centrée sur les objectifs pour promouvoir la réduction des émissions en Israël – et unique, parce que la collaboration entre des philanthropes ayant les mêmes idées est quelque chose de rare. »
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