Pour encourager la vaccination, les villes servent de la nourriture gratuite
Du tcholent aux tartes russes en passant par le houmous et la pizza, les municipalités israéliennes attirent leurs résidents avec des plats familiers
Haviv Rettig Gur est l'analyste du Times of Israël

La ville de Bnei Brak, la plus grande métropole haredi d’Israël, a commencé la semaine dernière à offrir du ragoût de viande, de pommes de terre, d’haricots et d’orge, à tout résident qui participe à la campagne de vaccination locale contre le coronavirus.
L’annonce a rapidement fait l’objet de blagues. « Il existe déjà un groupe anti-tcholent qui s’organise, les “kugelers” », a plaisanté un observateur. « Ils devraient être prudents. Le tcholent peut avoir de dangereux effets secondaires », a plaisanté un autre.
Mais les plaisanteries n’ont pas découragé ce programme, qui connaît depuis son lancement un succès incontestable. Au moins 2 000 résidents qui n’avaient pas été vaccinés – dont beaucoup n’avaient même pas envisagé de prendre rendez-vous pour le faire – se sont présentés au centre de vaccination jeudi dernier pour recevoir les sacs de tcholent de la part de la ville, accompagnés de petits pains et de soda.
La campagne nationale de vaccination d’Israël est célèbre pour son succès. Mais après avoir pris son envol avec la vaccination des plus impatients, l’élan s’est calmé ces deux dernières semaines, et les autorités cherchent à présent à convaincre ceux qui ne sont pas encore vaccinés : les sceptiques, les apathiques, ou ceux qui sont carrément opposés au vaccin.
Pour attirer les résistants, certaines municipalités se tournent désormais vers des dons de nourriture pour que les gens viennent se faire vacciner. Et pas n’importe quelle nourriture, mais des plats familiers et réconfortants.
À Bnei Brak, la première ville à avoir tenté la stratégie des cadeaux, une personne a plaisanté en disant qu’il ne s’agissait pas d’une campagne de vaccination avec du tcholent en cadeau, mais d’une campagne de tcholent avec un vaccin en cadeau, une blague qui comporte une part de vérité.
En temps normal, le jeudi soir à Bnei Brak et à Jérusalem, de nombreux jeunes étudiants en yeshiva ne vont pas dans les bars ou au cinéma, mais se retrouvent plutôt dans l’un des quelques restaurants qui restent ouverts tard et servent des portions bien chaudes de tcholent, un repas traditionnellement cuisiné à la maison et mangé le samedi.

Toute un courant social s’est mis en place autour de la tradition du tcholent du jeudi soir. En offrant du tcholent jeudi soir au centre de vaccination, la ville tentait d’exploiter ce courant et d’amener les jeunes à venir chercher cette nourriture et une piqûre.

À Petah Tikva, où le scepticisme quant au vaccin touche surtout les populations d’immigrants vieillissants, notamment les russophones, la municipalité a commencé lundi à distribuer des blinis roulés en cigares au fromage et des pirojkis, des tartes farcies et frites vendues par des marchands ambulants à travers toute la Russie et l’Ukraine, et que Wikipédia qualifie de « stéréotype de la culture russe ». Soit la nourriture maison la plus familière et la plus agréable.
La ville a également embauché un musicien pour jouer des airs folkloriques pour accompagner la nourriture et attirer les passants.
Tel Aviv a offert du houmous et du knafé gratuits à Jaffa, qui compte une importante population arabe, et un expresso gratuit dans les zones du nord de la ville, où les gens s’agglutinent dans les cafés comme des abeilles sur le miel.
De nombreuses villes qui ne ciblent pas nécessairement des groupes spécifiques offrent des pizzas gratuites, ce qui est facile, bon marché et presque universellement apprécié. Qui refuserait une pizza gratuite contre un vaccin ?

Ces promotions sont le b.a.-ba du marketing. Tout le monde aime les trucs gratuits. Mais la décision de certaines villes d’offrir, pas juste de la nourriture gratuite, mais de la nourriture gratuite réconfortante, touche quelque chose de plus profond : le sentiment de familiarité et de communauté qui a été décimé par le virus, et que le vaccin promet de restaurer.
Chaque public se voit offrir son propre « tcholent », sa promesse de jours plus heureux.
Pas seulement de la viande et des pommes de terre
À Bnei Brak en particulier, il semble y avoir un effort conscient pour combattre l’aliénation perçue de la vaccination en la ramenant à la maison, au sens propre et figuré.
Cela inclut les campagnes de vaccination organisées dans les yeshivot, dont la Yeshiva Mir, la plus grande du pays, et dans certains des quartiers haredim les plus insulaires, ainsi qu’au siège du grand mouvement Vijnitz, soutenu par de puissants rabbins.
מאות מתחסנים מחסידות ויז’ניץ הגיעו הערב למתחם מיוחד בבני ברק בו התחסנו כהוראת האד׳, זאת בפעילות של ארגון החסד רפואה וחיים וביה״ח שיבא תל השומר. מחר יתחסנו מאות נוספים pic.twitter.com/cgs1eYlPWt
— ישראל כהן (@Israelcohen911) February 14, 2021
Le tcholent, la nourriture faite-maison par excellence, joue également un rôle dans ce domaine. Même si la plupart des Juifs orthodoxes ne sont jamais allés dans un de ces obscures bistrots de tcholent le jeudi soir, il y a de fortes chances qu’ils en aient mangé chez quelqu’un.
Si la soupe au poulet et les knishes sont stéréotypées juifs, alors le tcholent est Juif par excellence – un aliment réconfortant qui est si familier et initié que les Juifs n’ont pas à se soucier d’une appropriation culturelle quelconque. C’est le genre de nourriture tellement chargée de tradition que la pensée même de la retirer de son contexte – comme, par exemple, dans un centre de distribution de tcholent et de vaccin – suscite le ridicule (comme en témoignent les blagues ci-dessus).

Et à l’exception de ces lieux de rencontre du jeudi soir, le tcholent n’est mangé qu’une fois par semaine, le samedi midi, lorsque ce plat, préparé la vieille avant Shabbat et laissé à cuire lentement, est partagé en famille, avec des invités, ou à la synagogue après l’office – partout où il y a des groupes.
Le tcholent ne se prépare jamais pour une seule personne. Invoquer le tcholent, c’est invoquer la familiarité, une réalité pré-COVID.
Dans tout le pays, la communauté ultra-orthodoxe a été la plus durement touchée par le virus. Les dirigeants haredim ont dramatiquement échoué à mener et protéger leurs communautés lorsqu’il s’agissait d’appliquer des mesures de distanciation sociale. Ils en sont venus à croire que les vaccins représentent la seule chance de salut pour sauver cette communauté de la terrible situation dans laquelle la pandémie l’a plongée.
Mais cette communauté déjà rétive aux mesures de distanciation sociale s’est également montrée plus réticente que la moyenne à la campagne de vaccination. Les taux de vaccination parmi le public haredi sont inférieurs à ceux de la population israélienne en général. La méfiance, la désinformation, le sentiment d’être étranger au vaccin et l’apathie générale ont conspiré ensemble pour tenir les résidents à distance des centres de vaccination.

Les dirigeants haredim répondent par un message, transmis à travers le tcholent, et en invitant les équipes de vaccination dans leurs yeshivot et leurs quartiers.
Le message pourrait être rédigé ainsi : le vaccin n’est pas un appareil scientifique étrange et lointain qui nous est imposé par des étrangers. C’est, selon les mots d’Aryeh Erlich de l’hebdomadaire Haredi Mishpacha, « un cadeau du Ciel à travers des messagers de chair et de sang pour éradiquer un fléau qui menace l’humanité ».
Se faire vacciner, en d’autres termes, est un acte de dévotion à toutes ces choses précieuses que le virus a tenté de nous enlever.
Une année d’isolement – ou de socialisation pleine de culpabilité et violemment critiquée – se termine par une promesse. Le tcholent n’est pas juste de la nourriture, c’est la nourriture du Shabbat, la nourriture réconfortante, la nourriture sociale. C’est la restauration de tout ce qui a été perdu.