Pour nombre d’Israéliens, célébrer la liberté s’avère impossible cette année
Pour la première grande fête depuis le massacre du 7 octobre, un siège vide sera laissé à la table du seder en l'honneur des nombreux otages encore détenus à Gaza
JTA — Cette année, Noam Safir et sa famille vont commander des plats chez le traiteur pour le Seder de Pessah parce que, contrairement à l’ordinaire, sa mère Moshit n’a pas le courage de cuisiner un repas de fête.
Moshit est la fille de l’otage israélien le plus âgé du Hamas, Shlomo Mansour, 86 ans.
Mansour est l’une des 253 personnes enlevées dans la bande de Gaza le 7 octobre dernier lorsque des milliers de terroristes dirigés par le Hamas ont envahi le sud d’Israël et massacré 1 200 personnes, en grande majorité des civils, avec une extrême brutalité. Il reste à ce jour 129 otages, qui ne seraient manifestement pas tous vivants.
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« Ce ne sera pas vraiment une célébration, on va juste marquer le coup », confiait Safir, 20 ans, aux journalistes lors d’un appel vidéo la semaine passée.
C’est un sentiment des plus répandus, cette année, parmi les familles des otages et les millions de Juifs en Israël ou dans le monde qui plaident depuis des mois pour leur libération. La fête de Pessah commence ce lundi, avec la traditionnelle lecture de la Haggadah, l’histoire de la sortie d’esclavage des Israélites et de leur exode d’Égypte.
« Je ne veux même pas en entendre parler », déclarait vendredi au Times of Israel Rachel Goldberg, dont le fils Hersh Goldberg-Polin, 23 ans, est toujours otage à Gaza. « Il y a quelque chose de pervers dans le fait de célébrer une fête de la liberté alors que notre fils unique n’est pas libre et se trouve dans la pire forme de captivité que nous puissions imaginer. Ce serait totalement inapproprié. »
Pour Mai Albini-Peri, 29 ans et originaire de Jérusalem, dont le grand-père Chaim Peri a lui aussi été kidnappé et emmené à Gaza au moment du massacre du 7 octobre, se livrer aux rituels de Pessah semble impossible. « Comment célébrer une telle fête alors que [ces] personnes sont encore et toujours privées de leur liberté, attendant d’être libérés ? », a-t-il demandé.
Le 7 octobre, Peri a mis son épouse en lieu sûr dans leur pièce sécurisée et est sorti pour combattre les terroristes. « Mon grand-père s’est sacrifié pour sauver sa femme », explique Albini-Peri. Il rappelle que son grand-père, qui a fêté son 80e anniversaire la semaine dernière, en captivité, a été un militant de la paix, conduisant les enfants malades de Gaza vers des hôpitaux israéliens. « Il a consacré sa vie à la libération des opprimés, où qu’ils se trouvent ».
Safir précise que, dans sa famille, on laissera un siège vide à la table du seder pour Mansour. De par le monde – et notamment à Londres et Los Angeles -, les Juifs ont été invités à faire de même en l’honneur des otages.
Une nouvelle liturgie pour une nouvelle ère
Certains utiliseront la Haggadah vendue par le Forum des otages et des familles de disparus et produite par l’imprimerie du kibboutz Beeri, dont 90 résidents ont été assassinés et 20 pris en otage le 7 octobre dernier. Dans cette Haggadah, on lira un essai de Goldberg-Polin et de son mari, Jon, qui ajoute une cinquième question aux quatre questions traditionnelles de la fête : « Pourquoi nos proches ne sont-ils pas à table avec nous ? »
En Israël, le chef de l’organisation rabbinique Tzohar, le rabbin David Stav, estime « impossible de célébrer cette fête sans appeler les cieux pour que les captifs soient sortis de l’obscurité dans laquelle ils sont détenus et reviennent dans la lumière de la liberté ».
Il ajoute : « Cette chaise vide devrait servir de support d’enseignement, pour que nos enfants puissent poser une ‘cinquième question’ et comprendre en quoi cette année est différente, et ce qu’ils pourraient faire pour aider à ramener les otages à la maison. » Tzohar recommande par ailleurs de dédier la cinquième coupe de vin symbolique du Seder, traditionnellement connue sous le nom de Coupe d’Élie, aux otages et de dire une prière de plus, composée par le groupe, par rapport à la guerre.
Des exemples quotidiens de liberté – et de captivité
Tous les proches d’otages ne feront pas la place à un nouveau rituel cette année.
« Nous n’avons pas besoin de symboles physiques parce que c’est quelque chose que nous vivons au quotidien », explique Talya Dancyg, 18 ans, dont le grand-père Alex Dancyg a été kidnappé au kibboutz Nir Oz. C’est l’aîné Dancyg qui dirige le seder depuis des années. « D’habitude, c’est mon grand-père qui fait l’animation, qui raconte des blagues et des histoires. Cette année, ce sera différent. »
« On l’appelle [la nuit du Seder] mais il n’y aura pas de Seder », ajoute-t-elle, faisant référence au mot hébreu qui se traduit pas « ordre ». Sa famille prendra le temps de dire sa reconnaissance d’avoir survécu au 7 octobre. « Ma famille a survécu au ravage de Nir Oz », précise-t-elle. « Nous pouvons remercier Dieu d’avoir épargné nos vies. »
Dancyg, qui a vécu un temps avec son grand-père, se confie sur leur grande proximité. « Je parle de tout avec lui. Quand je lui parle d’amour, il me répond comme un garçon de 16 ans. »
Il n’y a pas que les proches d’otages pour lesquels Pessah sera différent cette année. Pour les Israéliens, cette fête, qui est la toute première grande fête juive depuis le 7 octobre – jour de la fête de Sim’hat Torah -, est synonyme de malaise, particulièrement suite à la récente flambée de tensions avec l’Iran qui s’est traduite par le tir de 500 drones et missiles sur Israël.
Par le passé, la première nuit de Pessah, durant laquelle le pays s’immobilise pour permettre aux familles de se réunir, a déjà été le théâtre d’attaques terroristes, comme en 2002, lorsque l’hôtel de Netanya dans lequel avait lieu un seder a été bombardé, tuant 30 personnes. Il s’agit de l’attaque la plus meurtrière de la deuxième Intifada. Les autorités israéliennes sont désormais d’avis que l’attaque du 7 octobre avait en fait été planifiée par le Hamas pour se dérouler à Pessah, l’an dernier, puis reportée suite au renforcement des mesures de sécurité.
L’attentat à la bombe de l’hôtel de Netanya a pris pour cible des familles réunies pour l’occasion, comme le veut la tradition israélienne. Mais pour bon nombre des 118 000 Israéliens évacués de chez eux à cause de la guerre, cette année, un tel seder ne pourra avoir lieu, les familles étant dispersées un peu partout dans le pays, dans des hôtels notamment.
Dans l’une des plus grandes chaînes hôtelières situées le long de la promenade de Tel Aviv, les personnes évacuées sont très mécontentes de savoir que leur seder ne se tiendra pas dans la même pièce que celle des touristes étrangers. On leur a par ailleurs fait savoir qu’elles ne pourraient pas utiliser la piscine de l’hôtel durant les fêtes. « C’est comme si nous étions des parias », confie à la Jewish Telegraphic Agency Shula, en gardant l’anonymat.
Célébrer ensemble
En Israël, des organisations font tout leur possible pour que Pessah se passe au mieux pour les personnes évacuées. C’est le cas de Colel Habad, qui réunira plus de 25 000 personnes autour de ses seders communautaires dans tout le pays. C’est aussi le cas de l’Association internationale des chrétiens et des juifs, qui a distribué près de 19 000 cartes de débit d’un montant total de plus de 18 millions de shekels pour aider les familles évacuées à acheter des produits alimentaires pour les fêtes.
« Dans le monde entier, chaque année au moment de Pessah on dit ‘Que ceux qui ont faim viennent manger’ », rappelle la présidente de la FICJ, Yael Eckstein, à la JTA. « Avec toutes ces personnes évacuées loin de chez elles auxquelles s’ajoutent toutes celles qui ont perdu un être cher ou sont dans l’attente de la libération d’un proche, cette fête de Pessah sera en tout point inédite pour Israël. Notre but est de nourrir et aider ceux qui en ont le plus besoin, là où ils en ont besoin. »
Le groupe d’aide médicale Yad Sarah vient en aide aux personnes évacuées, de même qu’aux blessés et personnes âgées en organisant des seders non traditionnels, en leur faisant livrer des fournitures pour une hospitalisation à domicile ou en mettant à leur disposition un moyen de transport pour les conduire vers leur seder dès la veille de Pessah.
D’autres initiatives entendent s’assurer que les Israéliens puissent respecter et célébrer la fête, où qu’ils soient. Le très grand nombre de soldats en service actif fait que les bases de l’armée accueilleront plus de seders qu’à l’accoutumée. (La Cour Suprême israélienne a refusé d’autoriser les soldats, dans les bases militaires, à manger du hametz, ces aliments préparés à base de levain interdits à Pessah).
La semaine passée, un ministre israélien a prononcé un vibrant plaidoyer à l’adresse des Nations Unies, leur demandant de veiller à ce que les otages israéliens de Gaza puissent disposer des aliments rituels – jus de raisin et matsa – nécessaires pour l’accomplissement des commandements élémentaires de Pessah.
Sur la place des otages de Tel Aviv, des milliers de personnes se sont réunies cette semaine pour un « rassemblement en faveur de l’unité et de la liberté » avant Pessah.
Eli Bibas, père de Yarden Bibas et grand-père des plus jeunes otages du Hamas, Ariel, 4 ans, et Kfir, 1 an, dit que, de son point de vue, « Pessah n’est pas une fête » cette année.
La veille, de nouvelles vidéos donnaient à voir Yarden, ensanglanté, emmené par ses ravisseurs dans les rues de Gaza, le 7 octobre, entouré d’une foule en colère. Selon Eli Bibas, ces images sont d’autant plus « insupportables » qu’ils n’ont plus guère d’espoir de la conclusion d’un accord en faveur de la libération des otages.
A la JTA, il confie avoir fait un calcul douloureux au sujet de la nuit du Seder, un calcul que les Juifs ont souvent fait au cours de l’histoire, dans les périodes les plus difficiles.
« Malgré tout cela, nous avons d’autres petits-enfants et, pour eux, nous nous assiérons à table et célébrerons – même si ce n’est pas le terme adéquat – nous passerons les fêtes ensemble, en famille, même si notre famille est brisée ».
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