Pourquoi ces démocrates aspirant à la présidence ont voté non à une loi anti-BDS
Ces élus ont préféré voter contre un texte que les pro-Israéliens - et une majorité de leurs collègues - auraient d'ordinaire considéré comme une simple formalité
WASHINGTON (JTA) — L’AIPAC a paru soulagée de l’appui substantiel apporté par les démocrates du Sénat américain, cette semaine, à une loi pro-israélienne controversée qui avait été initiée par les républicains.
La loi de Renforcement de la sécurité américaine au Moyen-Orient ou S.1, qui, selon l’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee), contient des « dispositions pro-israéliennes cruciales », a été adoptée à 77 voix contre 23, obtenant l’aval de tous les républicains à l’exception d’un seul, Rand Paul du Kentucky. Elle inscrit dans la loi le versement de 38 milliards de dollars en aide à la défense à Israël et garantit une couverture légale aux états américains qui pénalisent le mouvement de boycott d’Israël.
« Ces dispositions, qui figurent parmi les toutes premières législations bipartisanes majeures approuvées par le Sénat cette année, promettent une aide sécuritaire à Israël et établissent clairement que les gouvernements locaux ont le droit de contrer le boycott d’Israël », a expliqué l’AIPAC.
Mais les choses ne s’arrêtent pas là : les chiffres bipartisans ont été bons. Ainsi, sur 47 sénateurs démocrates, 25 ont voté « pour » les mesures et 22 « contre ».
Certaines exceptions restent néanmoins notables : sur les sept démocrates du Sénat qui se sont déclarés candidats à la présidence ou qui semblent s’y préparer, six ont voté « non ». Seule Amy Klobuchar du Minnesota a voté « oui ».
JTA a demandé aux sept élus d’expliquer leur prise de position. Cinq d’entre eux ont répondu. L’équipe de Klobuchar a indiqué que cette dernière était retenue par d’innombrables audiences et le bureau de la sénatrice démocrate de New York Kirsten Gillibrand, elle, n’a jamais répondu.
Les cinq personnalités ayant voté « non » ont appuyé leur opposition au texte de « la loi anti-BDS » sur leurs craintes concernant la liberté d’expression du fait de sa partie « anti-boycott », qui accorde des protections fédérales aux états qui pénalisent les boycotteurs.
Certains ont souligné qu’ils soutenaient d’autres dispositions de la loi – notamment l’aide à la défense pour Israël, ainsi que les sanctions qui visent le régime syrien d’Assad et le renforcement de l’alliance avec la Jordanie.
Cory Booker du New Jersey : « J’ai de forts et nombreux antécédents d’opposition aux efforts de boycott d’Israël, comme en témoigne mon coparrainage de S. 720, la loi anti-boycott d’Israël. Néanmoins, cette législation spécifique contient des dispositions qui soulèvent de graves inquiétudes au sujet du Premier amendement, c’est pour cette raison que j’ai voté contre. J’ai rédigé un amendement pour aider à atténuer ces préoccupations que nous sommes nombreux à partager, mais il n’y a pas eu de processus permettant l’amélioration de ce texte par des amendements ».
« Il y a des possibilités de combattre les actions BDS sans pour autant compromettre la liberté d’expression, et ce projet de loi tel qu’il est présenté aujourd’hui rate son objectif ».
Sherrod Brown de l’Ohio : « Je soutiens avec force une coopération sécuritaire supplémentaire avec Israël et la Jordanie, et l’idée que le régime d’Assad doive rendre des comptes. Toutefois, des affaires judiciaires récentes au Kansas et en Arizona soulèvent des préoccupations en ce qui concerne le respect du Premier amendement par des lois de l’Etat. Je pense donc que nous devons suspendre l’application de la loi fédérale tant que la question est toujours examinée devant les tribunaux ».
Kamala Harris de Californie : « La sénatrice Harris soutient avec force l’aide sécuritaire permettant de renforcer les capacités d’auto-défense d’Israël. Elle s’est rendue en Israël où elle a pu mesurer directement l’importance de la coopération entre les Etats-Unis et l’État hébreu. Elle s’est opposée à la loi S.1, inquiéte qu’elle ne vienne limiter les droits garantis aux Américains par le Premier amendement ».
Bernie Sanders du Vermont : « Tandis que je ne soutiens pas le mouvement BDS, nous devons défendre les droits constitutionnels de tous les Américains à s’engager dans des activités politiques. Il est clair à mes yeux que ce texte contreviendrait aux droits garantis aux Américains par le Premier amendement ».
Elizabeth Warren du Massachusetts : « Je m’oppose au boycott. Mais j’estime que criminaliser ce qui relève de la libre expression viole notre constitution et je m’oppose donc à cette loi ».
Alors pourquoi ces aspirants à la présidence américaine ont été plus enclins à voter contre cette loi, ce type de texte que des élus étiquetés pro-israéliens – et une majorité de leurs collègues du parti – auraient d’ordinaire considéré comme une simple formalité ? Les républicains veulent souligner leur mollesse sur la question du mouvement BDS (Boycott, Divestment and Sanctions) anti-israélien, même si les personnalités politiques concernées y sont opposées en totalité – comme l’ont dit directement certains d’entre eux. La gauche anti-israélienne s’est pour sa part réjouie, affirmant que ces votes montraient que ses positionnements avaient le vent en poupe.
Autres théories possibles :
Collectes de fonds pour les campagnes relatives aux élections locales contre collectes de fonds pour des fonctions nationales – Les campagnes présidentielles, et particulièrement au sein des démocrates, s’appuient de plus en plus sur des petits dons individuels (Rappelez-vous de Sanders qui s’enorgueillissait de ses donations moyennes de 27 dollars lors de la campagne de 2016). Une personne souhaitant appuyer sur le bouton « donner » a des chances d’être un sympathisant – qui se montrera toutefois moins sympathique envers un candidat ayant signé une loi initiée par la partie adverse. De manière notable, les groupes démocrates de terrain – et notamment MoveOn, très influent – sont opposés aux législations anti-BDS.
Les campagnes du Sénat sont plus susceptibles d’attirer des donateurs pragmatiques et des comités d’action politique favorisant des législateurs qui franchissent les lignes partisanes, afin de transformer les projets de loi privilégiés en législation.
L’ACLU (American Civil Liberties Union) est une voix influente parmi les démocrates, et l’organisation a fait de l’éradication des lois anti-BDS une priorité, ce qui a aidé à ancrer le message parmi les militants et des donateurs qui observent la campagne présidentielle. Gillibrand en particulier a fait l’année dernière un virage à 180° après les présentations d’une autre loi anti-BDS par l’ACLU. Le groupe reste officiellement non-partisan, toutefois, et il n’établira pas de comités d’action politique affiliés et ne soutiendra pas de candidats – ce qui diminue son influence dans la course au sénat.
La vision : Les candidats à la présidentielle subissent plus de pression pour présenter une vision d’ensemble cohérente, et leurs opposants chercheront les contradictions.
Les candidats démocrates évoqueront très largement la question de la liberté d’expression face à un président qui a attaqué les médias sans relâche, et l’apparition dans ce tableau d’un soutien apporté à la pénalisation de boycotts est peu désirable.
Il est vrai que la cohérence compte également dans la course au Sénat, mais de façon moins importante. Deux démocrates ont voté « oui » : Joe Manchin de Virginie-Occidentale et Gary Peters du Michigan. Les deux se trouvent dans des états où les campagnes étaient principalement axées autour de la création d’emplois. Une incohérence sur la liberté d’expression n’aura donc pas autant de résonance.