Première : une équipe de sécurité juive américaine ouvre un camp d’entraînement pour les gardiens de synagogue bénévoles
Alors que les Juifs se dotent d'un système de défense contre les menaces antisémites, le tout nouveau Community Security Service forme à la surveillance, au renseignement, à la réponse aux menaces et au Krav Maga

Une femme vêtue d’une veste noire, d’un pantalon noir et de lunettes de soleil noires sort d’une banque et marche au petit matin dans la rue principale d’une petite ville, au nord de New York. Un passant vêtu d’une chemise en flanelle nouée autour de la taille la prend discrètement en photo tandis qu’un homme commence à la suivre de l’autre côté de la rue, en notant ses moindres faits et gestes ainsi que l’heure et l’emplacement précis de ses arrêts.
Une heure plus tard, tous les trois ont une réunion de compte-rendu dans une salle de conférence voisine. La femme en noir est en fait formatrice pour le Community Security Service, une organisation à but non lucratif chargée de former des bénévoles à la surveillance des synagogues partout aux États-Unis, et les deux hommes qui la surveillaient participaient justement à une de ces formations.
L’exercice s’inscrivait dans le cadre d’une formation de trois jours destinée à 10 bénévoles du CSS, dispensée dans les toute nouvelles installations de l’organisation dans le comté de Westchester.
Ces lieux, les premiers aux États-Unis entièrement tournés vers la formation de gardes de synagogue, témoignent de l’implication croissante du groupe dans la protection des institutions juives, au moment-même où les Juifs américains coordonnent les mesures de sécurité qu’ils prennent face au regain mondial d’antisémitisme.
Le CSS a accordé au Times of Israel un accès exclusif à son centre de formation à condition de ne pas divulguer son emplacement, pas plus que l’identité des bénévoles ou certains détails des protocoles du groupe, pour des raisons de sécurité.
CSS a vu le jour sous forme d’organisation à but non lucratif, créée par plusieurs fidèles d’une synagogue de New York, en 2007. Le groupe s’est inspiré des programmes de sécurité bénévoles des communautés juives d’Europe, développés bien avant pour les mêmes motifs qu’aux Etats-Unis.
Richard Priem, le président du groupe, a commencé à l’adolescence comme agent de sécurité bénévole à Amsterdam, au début des années 2000.
En tout début de formation, le groupe a regardé un court documentaire sur la fusillade mortelle qui a endeuillé une école juive à Toulouse, en France.
Le 19 mars 2012, Mohammed Merah avait tué par balles l’enseignant juif Jonathan Sandler et deux de ses enfants, Gabriel, 3 ans, et Aryeh, 6 ans, ainsi qu’une autre petite fille de 8 ans, Myriam Monsonégo dans le collège-lycée Ozar Hatorah, à Toulouse, après avoir abattu Imad Ibn Ziaten, Mohamed Farah Chamse-Dine Legouad et Abel Chennouf à Toulouse et à Montauban les jours précédents.
« Nous n’aurions jamais pensé qu’aux États-Unis, les gens commenceraient pourraient un jour ressentir la même chose. Nous pensions que ces choses-là se passaient en Europe, au Moyen-Orient, mais qu’il existait deux endroits au monde où les Juifs étaient en sécurité. Le premier est Israël », a expliqué Priem aux agents de sécurité en début de formation. « L’autre était les États-Unis, mais nous savons désormais que ce n’est plus vrai. »

La question de la sécurité des Juifs américains a pris une nouvelle ampleur depuis la fusillade de la synagogue Tree of Life, à Pittsburgh, en 2018. D’autres attaques meurtrières contre les Juifs ont suivi, à Poway en Californie, à Jersey City dans le New Jersey ou encore à Monsey, dans l’État de New York. Le pogrom perpétré par le Hamas contre Israël en octobre 2023 et la vague d’antisémitisme qui s’en est suivie se sont ajoutés à ce choc pour les Juifs américains.
CSS s’est développé au rythme des craintes en matière de sécurité et compte désormais près de 5 000 bénévoles actifs dans 25 États. Ces cinq dernières années, ses effectifs sont passés de deux à 20 personnes.
L’une des formatrices, une femme d’une cinquantaine d’années originaire de New York, a commencé son aventure avec CSS il y a de cela huit ans. Elle a vu les mentalités changer, sur les questions de sécurité, après la fusillade de Tree of Life.
« Cela m’a vraiment fait comprendre les choses. Cela pourrait arriver à n’importe quelle synagogue, à n’importe quelle école », explique-t-elle. « Quand j’ai commencé, les gens ne prenaient pas vraiment les choses au sérieux. ‘Pourquoi faire une pareille chose ? Pourquoi vérifier mon sac ?’ C’était pénible. Au fil du temps, les gens se sont habitués et ils apprécient. »
CSS a formé des leaders locaux au gré des besoins, en prenant pour modèle le mentorat individuel existant au sein des communautés. Ainsi, ces dirigeants ont répercuté la formation aux bénévoles de la base.
A mesure que le groupe a pris de l’ampleur, ses dirigeants ont pris conscience qu’ils avaient besoin d’un système de formation plus formel, d’un programme bien établi et d’un lieu central capable d’accueillir des bénévoles de tous les États-Unis pour une formation plus avancée. En 2022, le CSS a donc commencé à organiser des réunions annuelles. La première année, elle a rassemblé 50 bénévoles : celle de l’an dernier, en Pennsylvanie, a attiré plus de 200 candidats, mais n’a pu accueillir que 75 stagiaires.
Ce centre de formation hébergé dans les locaux du siège de CSS est le dernier avatar du renforcement des infrastructures du groupe. C’est en décembre dernier que CSS a ouvert les portes de son siège, situé dans un immeuble de bureaux qu’il n’est pas possible de décrire, de manière à rationaliser ses opérations et faire venir des groupes de bénévoles de tous les États-Unis, toute l’année, pour se former à la sécurité des synagogues.

En principe, les participants sont supposés répercuter la formation dont ils ont bénéficié au sein de leur communauté, là où la grande majorité des formations ont encore lieu. CSS a organisé environ 700 formations aux États-Unis l’année dernière, précise Priem.
Les agents de sécurité des synagogues, qui travaillent avec les forces de l’ordre et font souvent du bénévolat aux côtés de gardes armés rémunérés embauchés par certaines synagogues ou mis à disposition par certaines fédérations, font partie de l’écosystème de sécurité juive qui s’est constitué ces dernières années.
Ce réseau comprend notamment le Secure Community Network et la Community Security Initiative, chargés du recueil de renseignements, avec une spécialisation de la CSI sur la région de New York. L’Anti-Defamation League fait de la recherche et du plaidoyer et des groupes comme le Guardian Self Defense enseignent le Krav Maga. Ces organisations travaillent ensemble et avec les forces de l’ordre. Les bénévoles du CSS se forment et s’entraînent au Krav Maga avec Guardian Self Defense et le groupe reçoit des alertes de menace de la part d’autres partenaires.
La semaine dernière a eu lieu la quatrième formation de groupe dans le tout nouvel établissement. Des cartons de déménagement jonchent toujours le bureau, sous le regard de Dan Uzan et Yoel Kohen Ulcer, agents de sécurité de synagogue tués lors d’attaques à l’étranger dont la photo encadrée est accrochée au mur.

Ce sont les leaders bénévoles locaux qui identifient les membres de base de leur communauté dotés d’un bon potentiel et les invitent à faire cette formation. Lors des 3 jours de formation, les stagiaires acquièrent des compétences en matière de sécurité et apprennent à diriger des équipes de sécurité au sein de leur communauté. Ils se forment et s’entraînent à la surveillance, aux techniques d’interrogatoire, au renseignement, à la prise de décision, à la planification de la sécurité et au Krav Maga, à sur place et dans des synagogues de la communauté qui ouvrent leur portes au CSS.
Six hommes et quatre femmes venus de New York, de Floride, de Californie et du Massachusetts prennent part à cette session de formation. Il y a parmi eux un étudiant, un avocat à la retraite, un ex-Garde-côtes et un ex-pompier : leur âge oscille entre la vingtaine et la soixantaine d’années. Certains sont laïcs, d’autres orthodoxes.
La plupart sont là pour apprendre à sécuriser leur synagogue, mais quelques jeunes bénévoles sont venus dans le cadre d’un autre groupe CSS appelé ROAM, destiné à former de jeunes professionnels à la sécurisation des événements communautaires juifs dans la région des trois Etats.
Parmi les formateurs, on trouve un ancien d’une unité d’infanterie israélienne avec une quinzaine d’années d’expérience dans la sécurité des diplomates et des consulats israéliens, et Chuck Berkowitz, un ancien détective principal de la police de New York.
L’une des stagiaires, une femme d’une vingtaine d’années originaire de New York, explique avoir adhéré au programme ROAM après avoir cherché des programmes de sécurité communautaire suite au 7 octobre.
« J’ai l’impression de faire quelque chose d’important », confie-t-elle. « On peut aller dormir en sachant qu’il y a eu un événement juif et que rien n’a explosé, que tout était protégé, que tout était sûr. »
« C’est plus constructif pour moi que de continuer à me rabâcher que le monde nous déteste. Il est possible d’agir », poursuit-elle.

Le groupe a commencé par se former au « red teaming », c’est-à-dire se mettre dans la peau d’une personne malveillante, de façon à sonder ses propres vulnérabilités.
« Pensons comme des attaquants. Essayons de nous mettre à leur place, en termes de planification opérationnelle, pour mieux les détecter, les déranger, les empêcher d’agir », explique l’un des formateurs.
L’exercice de surveillance de rue n’a pas pour but de former les agents à la surveillance, mais de leur apprendre ce que l’on ressent lorsqu’on fait une « reconnaissance hostile » dans un environnement réel, le genre de surveillance qu’un attaquant potentiel pourrait effectuer dans une synagogue. Il s’agit de permettre aux stagiaires d’identifier les personnes animées de mauvaises intentions en cours de repérage, ajoutent les instructeurs.
Chaque groupe se voit attribuer une cible – l’un des formateurs – et l’ordre de les observer sans se faire repérer ou attraper, de prendre des notes sur leurs faits et gestes et de rechercher une sorte de modus operandi. C’est Berkowitz qui dirige l’exercice, mené en coordination avec les forces de l’ordre.
Dans l’exercice suivant, un membre du personnel du renseignement du CSS forme les stagiaires aux techniques de renseignement en sources ouvertes en leur faisant notamment prendre conscience de leur propre exposition et vulnérabilités en ligne.
Les stagiaires sont également formés aux techniques d’interrogatoire : dans ce cadre, une partie joue le rôle des suspects, l’autre partie, les interrogateurs. L’exercice leur permet d’identifier les comportements suspects, de se former à la gestion efficace des accès et au dépistage.

Les stagiaires quittent l’établissement pour s’entraîner aux interventions d’urgence dans une synagogue des environs. Les formateurs les séparent en deux groupes – l’un chargé de protéger la synagogue, l’autre de jouer le rôle de spectateurs ou d’attaquants. Les instructeurs ont élaboré un scénario pour ce groupe afin de surprendre les agents de sécurité.
L’instructeur répète à plusieurs reprises aux agents de sécurité d’agir avec une extrême rapidité et de s’entraîner à passer « de zéro à 100 en une fraction de seconde ».
« Il faut que vous preniez le contrôle de la situation », explique-t-il. « Il faut vous y préparer mentalement. »
« Chaque fois que je suis de service, je me dis : ‘Aujourd’hui, il va se passer quelque chose’ », confie Priem au groupe.
Dans l’un de ces scénarios, les agents de sécurité interrogent leurs camarades qui jouent le rôle de membres de la communauté et font la queue à la porte de la synagogue. L’un des participants dit à un agent de sécurité : « J’ai vu quelque chose de bizarre dans les buissons », à l’endroit où les formateurs ont effectivement caché de faux explosifs enveloppés dans du tissu. L’agent de sécurité dit à ses associés, via la radio, qu’il part vérifier ce qu’il en est. A peine a-t-il tourné le dos qu’un tireur armé – une arme factice – bondit de derrière un cerisier en fleurs chargé de fleurs roses avant d’ouvrir le feu et de prendre la fuite. Deux personnes gisent sur le sol, blessées.
« Confinement, confinement. Tireur actif », crie l’agent de sécurité via sa radio. Un autre agent verrouille prestement la porte de la synagogue.
Après l’exercice, les instructeurs débriefent avec les participants et leur prodiguent des conseils sur la façon de réagir plus efficacement.

L’antisémitisme a augmenté aux États-Unis et dans le monde ces dernières années, et aux États-Unis, les autorités ont déjoué de nombreuses tentatives d’attaques contre des communautés juives.
En 2024, les autorités ont, grâce à un renseignement de la Community Security Initiative, appréhendé un suspect qui avait menacé une synagogue de New York, arrêté un homme armé en Floride qui projetait une attaque contre l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC), arrêté un étudiant qui projetait une attaque terroriste contre le consulat israélien de New York, arrêté un suspect au Canada qui tentait d’entrer aux États-Unis pour attaquer un centre juif à Brooklyn et enfin inculpé un néonazi qui projetait de distribuer des bonbons empoisonnés à des enfants dans des écoles juives de New York.
CSS et d’autres groupes de sécurité ont largement fait leurs preuves ces dernières années. En 2022, c’est un bénévole du CSS qui a remarqué une menace sur les réseaux sociaux et en a envoyé l’information à CSI, qui l’a répercutée aux forces de l’ordre et a permis l’arrestation de deux suspects armés d’un couteau, d’une arme de poing et d’un brassard nazi.
Un an plus tôt, des bénévoles du Bronx ont poursuivi et pris la photo d’un suspect de plusieurs actes de vandalisme contre des institutions juives des environs, ce qui a permis son arrestation. En 2023, à Washington, DC, des bénévoles ont empêché une personne d’attaquer les fidèles avec un spray nauséabond devant une synagogue tout en criant « Gazez les Juifs ».

Dans d’autres cas, des bénévoles ont empêché les manifestants de s’infiltrer dans des événements juifs et d’y semer la pagaille.
Selon Priem, ces dernières années, les bénévoles ont été à l’origine de 200 à 300 signalement d’incidents suspects par an. La moitié environ de ces signalements sont portés à la connaissance des forces de l’ordre au fins d’enquête.
Les synagogues font appel à des bénévoles parce que les agents de sécurité coûtent cher et que certaines subventions publiques en matière de sécurité, déjà difficiles à obtenir, n’offrent qu’une prise en charge limitée des agents de sécurité.
CSS précise par ailleurs que les bénévoles connaissent bien les membres et la culture de leur synagogue, et sont donc mieux à même de repérer les étrangers ou les comportements suspects. Dans certains États, des lois strictes régissent les interactions entre la police et la population, avec dans certains cas l’interdiction du profilage – règle qui ne s’applique pas aux bénévoles.
Selon Priem, l’autre avantage des bénévoles réside dans le fait que leur action se poursuit même en cas de manque de fonds.
« Compte tenu de ce que nous vivons en ce moment, j’ai le sentiment de faire partie d’une grande famille et de la protéger », explique un bénévole qui intervient jusqu’à six fois par semaine dans sa synagogue de New York. « C’est à la fois un sentiment d’appartenance et le plaisir de donner de soi pour la communauté. »
Vous comptez sur The Times of Israel pour obtenir une couverture précise et rapide du conflit entre Israël et l'Iran ?
Si oui, rejoignez la Communauté du Times of Israël !
Pour seulement 6 $ par mois, vous pourrez soutenir nos journalistes indépendants qui travaillent sans relâche pour couvrir cette guerre et bénéficier d'une expérience de lecture sur le site du Times of Israël sans publicité et dans nos newsletters.