Qualifiée d’auto-régulée, la loi de retenue sur les implantations de Netanyahu permet en fait des constructions massives
Comme l'ont montré des discussions passées sur les constructions en Cisjordanie, il est difficile de mettre en œuvre des limitations quand des termes comme 'surface au sol' et 'ligne de construction' restent indéfinis
Raphael Ahren est le correspondant diplomatique du Times of Israël

Loin de limiter sévèrement la croissance des implantations, la nouvelle politique ostensible en Israël de restriction annoncée par les responsables de Jérusalem il y a une semaine semblerait en fait permettre des constructions massives en Cisjordanie. Elle implique vaguement des cadres définis, autorise des écarts de ces mêmes cadres définis et – sept jours plus tard – doit encore être confirmée de toute façon.
S’exprimant sous couvert d’anonymat vendredi matin dernier, les responsables ont annoncé que la nouvelle politique du gouvernement comprendra des restrictions auto-imposées qui « limiteront de manière significative l’expansion des implantations au-delà des surfaces au sol des implantations existantes ».
Clamant que le gouvernement respectait les inquiétudes exprimées par le président Donald Trump concernant des constructions sans retenue, et afin de « permettre l’avancée du processus de paix », les responsables ont engagé non-officiellement le gouvernement à ne construire « qu’au sein des zones qui sont déjà développées ». A chaque fois que cela s’avérerait impossible pour des raisons légales ou techniques, ont ajouté les responsables, la construction resterait proche « de la ligne de construction existante ». De plus, ont-ils dit, Israël promet de ne pas établir de nouvelles communautés en Cisjordanie ou d’annexer des implantations existantes.
Les nouvelles directives – qui ont été détaillées quelques heures après le vote par les ministres de l’approbation d’une nouvelle implantation pour les évacués de l’avant-poste illégal d’Amona – auraient été émises en coordination avec l’administration américaine.

Mais ce qui est appréhendé par certains comme une concession significative de la part du Premier ministre Benjamin Netanyahu est de plus en plus considéré par d’autres comme une opération de relations publiques.
« La vérité, c’est que Netanyahu bluffe. Le nouvelle politique ne représente pas la retenue mais donne plutôt le feu vert à une recrudescence des constructions qui va venir entraver gravement la possibilité d’une solution à deux états », a écrit jeudi dans le quotidien Haaretz Hagit Ofran, analyste vétéran du développement des constructions pour Peace Now.
« S’il est permis de construire dans la zone déjà construite, celle qui lui est adjacente et proche – alors en pratique, il est possible de construire partout », a-t-elle affirmé.
Toute restriction sur les constructions au cœur des terres des Juifs, de Judée et de Samarie, est en effet une initiative potentiellement risquée pour Netanyahu. Et le fait que les directives de la semaine dernière doivent encore être officiellement annoncées, publiées sur l’un des sites du gouvernement ou publiquement confirmées par Netanyahu peut indiquer combien il s’inquiète de ses partenaires de coalition belliqueux qui s’opposent à tout discours officiel portant sur une baisse ou un ralentissement des implantations.
Mais ni le parti nationaliste Habayit Hayehudi ni l’influent Conseil Yesha pro-implantations n’ont protesté contre les nouvelles directives dans les jours qui ont suivi cette annonce. Ils ont plutôt salué ce qu’ils ont considéré comme un feu vert octroyé par la Maison Blanche à construire un nombre illimité de nouvelles unités de logement dans les implantations existantes.
‘Cet accord permet au gouvernement israélien de construire autant qu’il le souhaite’
En effet, tout en adhérant à de vagues paramètres comme « surface au sol » et « zones antérieurement développées », Israël peut théoriquement construire des dizaines de milliers de nouvelles unités de logement dans ou adjacentes à Jérusalem-Est et dans 131 implantations reconnues par le gouvernement à travers toute la Cisjordanie.
« Théoriquement, cet accord permet au gouvernement israélien de construire autant qu’il le souhaite. Il n’a aucune limite à la base », a déclaré Ofran jeudi au Times of Israel.
La promesse faite par Israël de ne pas étendre les « surfaces au sol » des implantations existantes n’a pas de sens, ce terme n’ayant pas été formellement défini et pouvant être interprété par Israël de manière à pouvoir se saisir de larges bandes de terrain, a-t-elle ajouté.

Israël « connaît déjà l’histoire », a-t-elle dit, se référant à un accord similaire qui visait à freiner la croissance des implantations que Washington et Jérusalem avaient tenté de conclure il y a plus d’une décennie.
En 2004, le président américain de l’époque George W. Bush avait reconnu la nécessité qu’Israël se restreigne au niveau des blocs d’implantations pour un futur accord de paix et il avait envoyé son ambassadeur à Tel Aviv Dan Kurtzer négocier avec l’état juif un mécanisme qui puisse réguler les constructions dans les zones restantes de Cisjordanie.

Dans une lettre à la conseillère nationale à la sécurité de l’époque, Condoleezza Rice, le chef de cabinet du Premier ministre Ariel Sharon, Dov Weisglass, avait promis de faire un effort pour « adopter une meilleure définition de la ligne de construction d’implantations en Judée-Samarie ».
Les équipes israélienne et américaine avaient convenu qu’elles « réexamineraient les photos aériennes des implantations et définiraient conjointement la ligne de construction de chacune d’entre elles », selon la lettre.
Kurtzer avait négocié avec Weisglass et un brigadier-général à la retraite de l’armée israélienne, Baruch Spiegel, sur les zones exactes où Israël serait autorisé à construire.
« Mais nos discussions n’ont débouché sur rien », a rappelé Kurtzer dans une interview accordée jeudi. « Les questions techniques impliquées dans ce type de dossier sont extrêmement complexes. Chaque implantation a une certaine quantité de territoire qui lui est allouée et qui est bien plus vaste que ses surfaces au sol », a-t-il indiqué, se référant aux frontières municipales des communautés. « Et dans la surface au sol de chaque implantation, il y a une variété de manière de définir ce qu’est en fait une ligne de construction ».
Par exemple, les équipes de négociations israélienne et américaine pouvaient ne pas s’accorder sur le fait de savoir si une « ligne de construction » se réfèrait seulement à des maisons ou aussi à des structures agricoles, des bâtiments dans les zones industrielles, des stations-services ou des épiceries situées à l’entrée d’une implantation ou entre deux, dit Kurtzer. La manière dont ces termes se définissent entraîne une différence spectaculaire sur la quantité de terrain pouvant être utilisée pour construire, note-t-il.
« Une fois que vous incluez tout, au-delà des logements des implantations, vous allez augmenter de manière plutôt exponentielle la quantité de territoire », ajoute Kurtzer.
« Et ce que vous pensiez être un ralentissement des implantations – parce que vous n’êtes autorisé à construire que dans le cadre de la ligne de construction – peut, selon une définition élargie de ce terme, donner lieu en fait à un boom des implantations. »
« Et c’est cette dispute sur les lignes – les habitants d’implantation cherchent à exploiter toute faille qu’ils vont trouver pour permettre plus d’expansion encore – qui a mené les administrations américaines dans le passé dans le piège de négociations apparemment sans fin et irrésolubles sur comment décider ce que cela veut dire de construire ‘dans’ les implantations », selon un communiqué publié sur le site internet de Peace Now.
« Ce n’est pas un débat sur la sémantique. De nombreuses implantations ont des ‘quartiers’ reculés qui, si on les utilise comme base pour la ‘ligne de construction’, autoriseront une expansion massive qui permettrait aux implantations de grandir et grandir encore ».
En 2004, aucun accord n’avait finalement était trouvé et les Etats Unis avaient finalement demandé à Israël de mettre un terme aux constructions hors des blocs d’implantations.

La « baisse » auto-imposée annoncée la semaine dernière, qu’elle se soit coordonnée ou pas avec l’envoyé spécial de Trump pour les négociations internationales Jason Greenblatt, non seulement échoue à déterminer des termes tels que « surface au sol » et « ligne de construction » mais permet également à Israël de faire des exceptions dans des cas où la construction entre ces paramètres vagues n’est pas possible.
Cela semble donner à Israël une latitude considérable pour déterminer où construire, indique Kurtzer, qui enseigne aujourd’hui la politique du Moyen orient à l’université de Princeton.
« L’essentiel ici, c’est que les questions sont tellement techniques que n’importe qui peut se risquer à faire des déclarations publiques qui semblent positives alors qu’elles ne le sont pas en fait », ajoute Kurtzer.
Dans la mesure où Israël pourrait ne pas construire dans la zone A de Cisjordanie (les villes majeures placées sous contrôle des Palestiniens) et dans la zone B (sous contrôle civil palestinien et sous l’autorité militaire d’Israël) et ne pas établir de nouvelles implantations ou de nouveaux avants postes, il est inexact de dire que l’arrangement actuel donne à Israël le droit auto-déclaré à des constructions « illimitées », poursuit Kurtze. « Mais cela permettrait une croissance des implantations énorme ».