Quand le « terroriste » devient le « patient » dans les hôpitaux israéliens
C’est une capacité que l’on acquiert avec le temps et les médecins israéliens apprennent à mettre leurs sentiments de côté
Le présumé terroriste du Hamas, Abdelrahman al-Shaludi, a été amené au centre médical Shaare Zedek le 22 octobre. Il souffrait de plusieurs blessures par balle. La police lui a tiré dessus alors qu’il tentait de s’enfuir après avoir percuté des piétons à une station de tramway à Jérusalem. Deux personnes ont été tuées lors de cet incident, dont un petit bébé de trois mois, Chaya Zissel Braun.
L’une des victimes de Shaludi, une femme blessée, a été admise dans le même hôpital, au même moment. Les docteurs de Shaare Zedek ont fait le choix de soigner le terroriste en premier.
Pour les médecins, ce n’était pas vraiment un choix. Shaludi était dans un état critique, il avait besoin de soins médicaux urgents, quels que soient les crimes qu’il avait commis.
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Quelles que soient leurs opinions sur ce qui se passe à l’extérieur de l’hôpital, une fois qu’ils sont admis dans l’enceinte de l’hôpital, les médecins israéliens, qui ont prêté serment de ne pas mettre en danger les vies et de les sauver, expliquent qu’ils arrivent à mettre de côté leurs émotions et soignent chaque patient.
« Cinq chefs de service ont été appelés pour tenter de sauver la vie de cet homme qui a sciemment percuté des personnes », précise, Ofer Merin, le directeur-adjoint de Shaare Zedek et le chef du service traumatologie, au Times of Israel. (Shaare Zedek est aussi, incidemment, l’hôpital où est soigné le militant Rabbi Yehuda Glick pour ses blessures suite à la tentative d’assassinat perpétrée contre lui le 29 octobre).
L’équipe de médecins a réalisé deux interventions chirurgicales sur Shaludi mais il est mort sur la table d’opération cinq heures après avoir été admis à l’hôpital.
« Nous lui avons transfusé 30 unités de sang. Nous avons fait tout ce que nous aurions fait si cela avait été le Premier ministre ou le président, que Dieu nous en préserve », certifie Merin.
Merin ne nie pas que le fait que de voir arriver des victimes d’attentats terroristes au service des urgences ne provoque pas des émotions fortes. Mais il insiste sur le fait que le personnel médical arrive à appuyer sur les boutons nécessaires, pour ainsi dire, et mettre en veille leurs sentiments.
C’est une compétence que l’on apprend. Les jeunes docteurs et infirmiers l’acquièrent en suivant l’exemple donné par le personnel soignant plus expérimenté.
« Si vous vous promenez au service des urgences, vous n’aurez aucun moyen de savoir qui est sur la table d’opération en vous fondant sur le discours du personnel ou leur comportement », affirme Merin.
Le docteur Moshe Salai, le chef du service d’orthopédie au centre médical Sourasky à Tel Aviv, assure que c’est aussi l’attitude qui prévaut dans son hôpital.
Cela a été prouvé lorsque Nur al-Din Abu Hashiyeh, le suspect dans l’attaque au couteau de Tel Aviv lundi qui a tué le soldat Almog Shiloni, a été amené dans cet hôpital suite à son arrestation.
Abu Hashiyeh souffrait de lacérations aux poignets. Il a été soigné et a quitté l’hôpital mardi. Il doit y retourner dans quelques semaines pour un contrôle et subir une opération.
Salai a soigné de nombreux terroristes ou des membres de familles de terroristes qui ont été autorisés à se rendre en Israël pour obtenir des traitements qui ne sont pas disponibles à Gaza ou en Cisjordanie.
Il se souvient même de certains cas où ce genre de patients étaient sur un lit et que le lit d’à côté était occupé par une victime d’attaque terroriste.
« Vous soignez les patients de la même manière, même s’il est menotté au lit », précise Salai. Son cousin a été tué et un autre gravement blessé lors de l’attentat au Dizengoff Center qui a eu lieu en mars 1996 à Tel Aviv.
Le seul signe qui prouve que Maher Hamsi al-Hashalmoun, soigné au centre médical Hassadah, est un terroriste est le fait que son lit au service des soins intensifs est sous surveillance de la police militaire.
Hashalmoun, qui est lié au Jihad islamique, est accusé d’avoir poignardé Dalhia Lemkus et blessé deux autres personnes à un arrêt de bus à l’implantation d’Alon Shvut en Cisjordanie lundi après-midi. Il avait, dans un premier temps, tenté de les écraser avec sa voiture.
Selon le docteur Avi Rivkind, chef du service des urgences et du service de traumatologie à Hassadah, le pronostic pour Al-Hashalmoun est excellent. Ce dernier souffrait de blessures par balle au poumon, au foie et au bras gauche.
« Il va certainement sortir d’ici bientôt. Mercredi, il doit subir une opération de contrôle et ensuite nous le renverrons chez-lui, même si je suis sûr qu’il ira directement en prison », indique Rivkind.
Ce qui arrive ensuite aux terroristes présumés relève de la compétence de la justice et non pas de la profession médicale.
« Nous ne sommes pas des juges », soutient Merin.
Il souligne que le personnel soignant doit faire preuve de prudence lorsque quelqu’un, étiqueté comme un terroriste est admis, parce qu’il y a toujours une chance pour que cela n’en soit pas un. La seule étiquette qu’ils doivent appliquer à la personne c’est l’étiquette du « patient ».
« J’ai personnellement connu deux cas où les ‘terroristes’ n’en étaient pas réellement, comme l’homme qui a percuté des soldats la semaine dernière », poursuit Merin. Il fait référence à l’incident du 5 novembre près de Gush Etzion. Les responsables sécuritaires ont indiqué qu’il était possible que cela ait été un accident de la route.
Cependant, Merin admet que si les conditions politiques et sécuritaires se dégradent, cela pourrait devenir difficile pour les médecins et les infirmières de rester maître de leurs émotions.
« Pendant le seconde Intifada, à un moment donné, cela était devenu dur de voir continuellement des terroristes viser des personnes innocentes ».
Rivkind, au contraire, ne s’inquiète pas du fait que ses collègues au Hassadah puissent souffrir d’un burn out. Hassadah est l’hôpital qui a soigné le plus de victimes du terrorisme en Israël. Il a été nominé pour le prix nobel de la paix en 2005.
« C’était pire pendant la seconde Intifada, quand on pouvait avoir 18 victimes en un jour », ajoute-t-il.
« Et même à cette époque personne ne manquait à l’appel. En fait, on n’avait même pas besoin de les appeler. Ils étaient juste là », précise-t-il.
Rivkind est persuadé que cette même attitude et ce même professionnalisme prévaudra même s’il y aura des moments où les terroristes et leurs victimes arriveront ensemble à l’hôpital.
« Je ne peux me tenir devant une personne qui va mourir et juste le regarder mourir. Ce n’est pas dans mon ADN. Ce n’est pas dans ARN. Ce n’est pas mon esprit. Cela ne va jamais changer », professe-t-il.
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