Quelques semaines après l’assaut, une visite inspirante dans un kibboutz meurtri
Cela faisait quarante ans que je n'étais pas allé au kibboutz Alumim - c'était quelques mois après m'être installé en Israël. Jamais je n'avais pensé à la proximité avec Gaza
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
A l’entrée du kibboutz Alumim, à un peu plus de trois kilomètres de la bande de Gaza et à mi-chemin entre le kibboutz Kfar Aza et le kibboutz Beeri, quelques réservistes et plusieurs officiers de police montent la garde devant le portail.
Cela fait des années que je ne suis pas venu ici – cela fait quarante ans, en fait. Il y a déjà deux-tiers de ma vie. J’étais venu pour mon premier Pessah en Israël – je venais de faire mon alyah – et j’avais passé trois semaines dans ce kibboutz, peignant en blanc les branches des buissons d’avocatiers vigoureux (pour renvoyer les rayons du soleil ?…) aux côtés d’Avital Sharansky, qui se battait alors courageusement en faveur de la libération de son mari qui était emprisonné en Union soviétique.
Jamais je n’avais pensé à la proximité avec Gaza.
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Le secteur est à moitié fermé, dorénavant. Mais je n’ai été arrêté qu’une seule fois sur le trajet, et les gardes, au portail, me laissent entrer aussitôt que Stevie Marcus les appelle au téléphone, se portant garant pour moi. Il a épousé une de mes amies et il l’un des seuls à être restés vivre dans le kibboutz – la communauté compte habituellement 120 familles. Presque tous les résidents ont été évacués et ils ont été relogés dans deux hôtels de Netanya. Stevie, lui, a dû rester, au moins pendant le semaine – il ne peut pas se permettre d’abandonner le cheptel de 730 vaches, qu’il faut soigner, nourrir, dont il faut s’occuper.
Il arrive en moto et je le suis sur une route étroite. J’aperçois des centaines de vaches de part et d’autre et nous traversons les quartiers où vivaient les ouvriers thaïlandais et népalais, nous dirigeant vers la salle de traite et ses bureaux.
Gentil, pragmatique, avec un certain flegme, Stevie me raconte ce qu’il sait des événements qui se sont déroulés ici, le 7 octobre, quand les terroristes de Gaza ont semé la désolation dans tout le secteur frontalier. Les résidents ont été sommés de rester à l’abri dans la pièce blindée de leur habitation pendant tout ce Shabbat noir, jusqu’au dimanche matin – il prend grand soin de ponctuer son récit de « de ce que je sais, en tout cas ».
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Le premier groupe de terroristes, qui circulait en moto, est arrivé par l’entrée arrière du kibboutz – qui fait face à la frontière de Gaza. Un verrou à faire sauter et ils étaient à l’intérieur. C’est tout.
Pour une raison ou pour une autre, ce premier groupe de tueurs a directement traversé le kibboutz pour aller au principal portail, à l’avant de la communauté, négligeant les habitations. Les hommes armés ont alors ouvert le feu sur tous les véhicules qui passaient sur la route principale – notamment sur les jeunes qui tentaient alors de fuir le massacre qui était en cours à une rave-party, au festival de musique Supernova, qui avait été organisé un peu plus au sud.
D’autres cellules de terroristes sont arrivées ensuite dans le kibboutz – une quarantaine ou une cinquantaine, pense-t-il. Coup de chance, l’équipe de défense civile de la communauté a été en capacité d’accéder au bâtiment où les armes étaient entreposées. Stevie me montre l’endroit où ils se sont alignés les uns à côté des autres, notant qu’ils sont parvenus à tenir à distance un grand nombre de terroristes.
Il m’emmène ensuite dans les quartiers de vie où étaient installés les ouvriers thaïlandais et népalais, à seulement quelques mètres de la salle de traite. C’est là, explique-t-il, que 19 d’entre eux ont été massacrés.
Je lui fait part de mon désir d’entrer. « Si ça ne vous dérange pas, il y a encore un peu de sang », me répond-il, contrit.
Cela fait vingt ans que Stevie travaille à la laiterie – même si la salle de traite actuelle n’a qu’un an. Il me montre l’endroit où une grenade a touché la tuyauterie, où les flammes ont brûlé les câbles. Il me montre également son bureau et les bureaux de ses collègues qui ont été incendiés. Il y a des impacts de balle partout. Mais la salle de traite n’a heureusement subi que peu de dommages.
Il m’emmène aussi au portail arrière, à deux ou trois minutes de marche, qui avait été emprunté par la première cellule. Sur le chemin, nous croisons une machine qui sert à alimenter le bétail, complètement brûlée, et ce qui reste de deux gigantesques étables, qui ont aussi été incendiées par les terroristes – des étables qui étaient remplies de paille, ce matin-là, et où le feu couvait encore deux semaines plus tard.
Nous regardons Gaza à travers le portail – clairement visible à une distance qui n’est pas si éloignée de nous.
Nous allons voir ensuite les vaches. Elles n’ont rien eu à manger du samedi au mercredi suivant, dit Stevie. Affamées, certaines ont tenté de franchir les clôtures, se coinçant parfois dans les fils.
Quinze vaches sont mortes dans ce cheptel de 730 têtes, notamment deux qui ont été tuées par des tirs croisés. Il me montre du doigt l’endroit où les affrontements ont eu lieu, de l’autre côté de la clôture où nous nous tenons.
Il me raconte le peu qu’il sait au sujet des deux agents de police venus au kibboutz parce qu’ils avaient entendu parler du massacre. Venus avec rien d’autre que leur arme à poing et ils ont été tués au portail d’entrée du kibboutz.
« Ils n’avaient aucune chance », regrette-t-il.
Alors que le cauchemar avait commencé depuis plusieurs heures, des parachutistes arrivaient en hélicoptère. Une roquette avait frappé l’appareil peut-être une minute après l’atterrissage. Les hommes en étaient déjà sortis. « Eux aussi ont combattu. Beaucoup de membres des forces spéciales sont venus, de Sayeret Matkal et de Yahalom. » Des dizaines de terroristes avaient été tués à l’entrée du kibboutz, notamment par des soldats qui se trouvaient à bord d’un autre hélicoptère.
Il note qu’un soldat de l’unité Yahalom a été tué à l’intérieur du kibboutz. Un membre du kibboutz a perdu la vie à Reim. Un autre est tombé au combat à Gaza, il y a dix jours. Certains membres de l’équipe civile de défense ont été blessés. Mais pas un seul membre de la communauté n’a été tué au sein de cette dernière.
Plus de cent résidents avaient été massacrés au kibboutz Beeri, au sud-ouest. Et de nombreux, très nombreux habitants avaient été tués au kibboutz Aza, qui se trouve pour sa part au nord-ouest. En gardant à l’esprit les vies qui ont été perdues, ici, le bilan aurait pu être bien pire.
Doux, inspirant malgré lui, Stevie parle de l’étable qu’il faudra reconstruire. Comme les bureaux. Il me semble évident, en l’entendant parler que pour lui, la vie au kibboutz Alumim reprendra très certainement ses droits.
Je lui demande quels sont les sentiments des autres résidents. Il me répond qu’ils en parlent beaucoup à l’hôtel. « L’ancienne génération dit que bien sûr, elle reviendra – c’est son foyer. La plus jeune en doute, à moins que le kibboutz soit dorénavant sûr ».
« Et tout le monde a raison », ajoute-t-il.
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David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel