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Refonte judiciaire : La Knesset adopte la clause « dérogatoire » en première lecture

La coalition fait avancer tous les éléments déterminants de ses réformes alors que les manifestations se renforcent ; Herzog promet de se battre "pour une formule d'espoir"

Carrie Keller-Lynn est la correspondante politique et juridique du Times of Israël.

La séance plénière de la Knesset à Jérusalem, le 13 mars 2023. (Crédit: Yonatan Sindel/Flash90)
La séance plénière de la Knesset à Jérusalem, le 13 mars 2023. (Crédit: Yonatan Sindel/Flash90)

La Knesset a fait avancer une législation déterminante qui permettra d’assortir les lois d’une dite clause « dérogatoire », une clause qui interdira dès le début à la Haute cour de les réexaminer.

Ainsi, la coalition se rapproche encore davantage de l’adoption par le parlement de la série de réformes très controversées qu’elle veut mettre en place dans le système judiciaire israélien – le ministre de la Justice avait déclaré qu’il souhaitait qu’elles soient inscrites dans la loi avant la fin du mois de mars.

Le projet de loi a été adopté en première lecture à la Knesset facilement, avec 61 voix « Pour » et 52 voix « Contre », le long des lignes partisanes et malgré les mises en garde de l’opposition et une obstruction parlementaire qui a duré des heures. Il a finalement été approuvé à environ 3 heures du matin dans la matinée de mardi et il faudra encore qu’il soit adopté lors de deux lectures supplémentaires à la Knesset pour devenir une loi.

Le texte exclut tout réexamen judiciaire d’une loi assortie de cette clause et adoptée par le parlement, le texte restant valide même s’il contrevient à une Loi fondamentale israélienne quasi-constitutionnelle. Appelée clause « dérogatoire » parce qu’elle interdit aux juges d’étudier et de se prononcer sur le contenu de la législation qui l’intègre, elle sera définitivement approuvée si 61 des 120 députés, au parlement, soutiennent sa mise en place au cours de trois lectures.

Une fois insérée dans une législation spécifique, la clause sera valide pendant le mandat de la Knesset qui l’a adoptée et encore une année après les nouvelles élections législatives, le nouveau parlement ayant la possibilité de prolonger indéfiniment les protections qu’elle apporte.

Le projet de loi limite également les capacités de la Haute-cour à exercer une supervision sur des législations qui ne sont pas concernées par cette clause « dérogatoire ». En plus de relever la barre en exigeant la présence de 12 magistrats sur les 15 que compte la Haute-cour lors du réexamen d’une loi et de l’émission de leur jugement, le texte limite également la révision de législations présentant des violations procédurales claires – à opposer à des problèmes de fond.

Cette loi rejoint donc une série d’autres réformes radicales du système judiciaire qui devraient être rapidement finalisées avec, en premier lieu, une restructuration de la Commission de sélection des juges qui offrira à la coalition le contrôle de la nomination des magistrats dans le pays. Après un autre vote en commission parlementaire – elle elle-même placée sous le contrôle de la coalition – ces deux textes seront prêts à passer en deuxième lecture et en troisième lecture, des lectures qui devraient être consécutives.

La coalition a fait savoir qu’elle espérait que ces deux textes auraient terminé leur course devant le parlement pour les vacances de Pessah où la Knesset est en pause, dans un peu plus de deux semaines.

« C’est une nouvelle initiative prise par ce gouvernement insensé qui est en train de créer une rupture profonde au sein de la nation d’Israël et qui nous cassera en deux », a commenté Avigdor Liberman, chef du parti d’opposition Yisrael Beytenu.

Lundi dans la journée, les députés ont fait avancer une législation soutenue par le gouvernement qui interdirait à la Haute-cour d’exiger d’un Premier ministre qu’il se retire de certaines activités, même dans les cas de conflit d’intérêt.

Parrainé par le président de la faction du Likud, le député Ofir Katz, ce texte est largement considéré comme une réaction à la crainte que les magistrats de la plus haute instance judiciaire d’Israël n’obligent le Premier ministre Benjamin Netanyahu à démissionner pour cause de conflit d’intérêts : en effet, il supervise actuellement le plan de refonte judiciaire initié par sa coalition alors qu’il est lui-même traduit devant les juges pour corruption.

A LIRE – Etat d’Israël vs. Netanyahu : détails de l’acte d’accusation du Premier ministre

Ce sont le ministre de la Justice Yariv Levin et le chef de la Commission de la Constitution, du droit et de la Justice à la Knesset, Simcha Rothman, qui sont à l’initiative du plan très controversé qui établira la toute-puissance politique au détriment des pouvoirs des juges.

Les deux hommes assurent que leurs réformes « corrigeront » le problème du déséquilibre des pouvoirs entre les responsables élus et des tribunaux qui, selon eux, sont « activistes ». Les critiques et des mouvements de protestation croissants rejettent la refonte judiciaire qui, selon eux, ôtera toute indépendance aux juges et portera gravement atteinte à la démocratie en plaçant presque tous les pouvoirs entre les mains d’une majorité politique élue.

Le député Simcha Rothman, chef de la commission de la Constitution, du Droit et de la Justice de la Knesset, lors d’une réunion de la commission à la Knesset, à Jérusalem le 5 mars 2023. (Crédit : Erik Marmor/Flash90)

Parmi les autres mesures prônées par Levin et Rothman, l’interdiction faite à la Haute-cour d’intervenir dans les Lois fondamentales, le transfert du département des enquêtes internes de la police sous le contrôle du ministre de la Justice, la suppression de l’autorité des conseillers juridiques qui travaillent auprès du gouvernement et des ministères, la suppression du contrôle par la Haute-cour des nominations faites à la tête des ministères et l’adoption d’une loi qui empêcherait le Premier ministre d’être déchu de son poste et de faire l’objet d’une enquête.

La coalition travaille également actuellement sur un projet de loi qui ouvrira la porte à des dons privés faits aux politiciens. Les critiques avertissent qu’une telle éventualité pourrait donner lieu à des faits de corruption.

Lundi, le député du Likud David Amsalem — à qui un poste de second ministre a finalement été promis au sein du ministère de la Justice – a proposé une nouvelle version de la « Loi française », une législation qui interdirait toute poursuite judiciaire intentée à l’encontre d’un chef de gouvernement en exercice et il a également préconisé l’abolition des chefs de mise en examen de fraude et d’abus de confiance, qui se trouvent au cœur du procès actuel pour corruption de Netanyahu.

Amsalem avait déjà présenté des projets de loi similaires devant la précédente Knesset, une période où le Likud se trouvait sur les bancs de l’opposition.

Rivalisant en ferveur avec la coalition, le mouvement de protestation contre la refonte judiciaire qui avait commencé il y a dix semaines, lorsque Levin avait annoncé ce qu’il avait qualifié de « première phase » des réformes radicales, ne cesse de prendre de l’ampleur sur tout le territoire israélien et des centaines de milliers de personnes descendent dorénavant dans les rues, tous les samedis, pour appeler à la protection de la démocratie du pays.

Les manifestants se heurtent à la police pendant une manifestation contre la refonte judiciaire du gouvernement à Tel Aviv, le 4 mars 2023. (Crédit : JACK GUEZ / AFP)

La coalition a écarté d’un revers de la main les avertissements toujours plus nombreux des économistes, des juristes, des diplomates et d’anciens hauts-responsables de la sécurité qui affirment tous que les réformes auront des conséquences désastreuses pour la cohésion sociale, la sécurité et l’économie du pays ainsi que pour le statut d’Israël à l’international.

Malgré les tensions généralisées, aucune négociation n’a été entamée entre la coalition et l’opposition pour tenter de trouver une solution. Des tentatives ont jusqu’à présent été menées par des parties tierces indépendantes. La coalition a indiqué qu’elle voulait ouvrir le dialogue sur la refonte judiciaire mais elle s’est refusée à ralentir la campagne-coup de poing actuellement menée à la Knesset pour faire adopter les lois – « même pas une minute », a insisté Levin. L’opposition, de son côté, a fait savoir qu’elle n’entreprendrait pas de pourparlers tant que le gouvernement ne montrerait pas une intention réelle de trouver des compromis en stoppant l’avancée rapide des législations à la Knesset.

Le président Isaac Herzog, pour sa part, a indiqué lundi qu’il consacrait tout son temps à tenter de trouver une solution à la situation, disant que cette dernière constituait une crise constitutionnelle et sociale « très grave ».

« Nous sommes dans une situation grave, très grave, qui pourrait avoir des conséquences à la fois politiques, économiques, sociales et sécuritaires », a expliqué le président lors d’une cérémonie à Tel Aviv.

« Ce n’est pas un compromis politique », a dit Herzog en évoquant ses propres tentatives de trouver des solutions. « C’est un travail sisyphéen qui consiste à trouver la bonne formule d’équilibre et d’espoir parce que la situation est à la fois très difficile et très inquiétante ».

Samedi, Herzog avait utilisé un langage sans précédent pour mettre en garde contre les dangers posés par des lois « oppressives », disant qu’elles viendraient saper la démocratie israélienne, poussant le pays « à la catastrophe » et « au cauchemar ». Il avait insisté sur le fait qu’il était de la responsabilité « des leaders de l’État », au sein du gouvernement, d’interrompre leur course législative effrénée au sein du parlement et « d’abandonner » la série de réformes actuelles sous peine de faire tomber le pays dans un abysse sociétal et constitutionnel.

Le président Isaac Herzog prononçant un discours à la nation au sujet de la réforme du système judiciaire du gouvernement, le 9 mars 2023. (Crédit : GPO)

D’éminents experts ont présenté lundi un cadre pour un possible compromis devant la Knesset, et ils ont mis en garde contre la direction prise actuellement par le pays.

Le compromis vise « à empêcher un chaos constitutionnel », ont-ils expliqué.

Le professeur de droit Yuval Elbashan, l’un des auteurs de la proposition, a dit reconnaître le besoin « d’une réforme majeure » mais il a ajouté que le pays était en train de se diriger vers l’auto-destruction, faisant une comparaison avec Masada, le site où des rebelles juifs s’étaient suicidés en masse alors qu’ils étaient assiégés par l’empire romain, il y a 2000 ans.

« Quelqu’un doit stopper cette marche démente sur le sentier du serpent de Masada », a déclaré Elbashan devant une commission du parlement, faisant référence à une piste prisée par les randonneurs qui mène au site historique. « Les fissures s’élargissent et la terre s’affaisse de plus en plus et vous, vous continuez à dire : ‘Ils ne s’arrêtent pas’, ‘Ils ne nous parlent pas’. C’est une erreur ».

Elbashan a écrit sa proposition aux côtés de l’ancien Premier ministre Daniel Friedmann et du président de l’université de Tel Aviv, Giora Yaron. Le cadre proposé comprend notamment la possibilité d’augmenter la majorité nécessaire à la Knesset lors de l’approbation des Lois fondamentales, ainsi qu’un moyen de changer la composition de la Commission de sélection judiciaire.

« Chaque jour qui passe ne fait que renforcer l’anxiété », a dit Elbashan aux députés pendant un débat animé. « Vous devez absolument faire quelque chose ».

« Cette proposition permettra d’éviter un chaos juridique et d’arriver à trouver un compromis », affirme le texte, dont le président de la Commission, Simcha Rothman, a estimé qu’il pouvait « être une base pour des négociations ».

« Il y a des écarts importants entre notre projet de réforme et ce texte mais c’est un bon début pour entamer des négociations et comprendre qu’il y a des sujets à débattre », a ajouté M. Rothman.

Dans le compromis présenté à la Commission lundi, les auteurs suggèrent qu’une Loi fondamentale ne puisse effectivement pas être retoquée par la Cour suprême, mais qu’une majorité qualifiée de 70 voix soit nécessaire pour faire passer une nouvelle Loi fondamentale au Parlement, contre une majorité simple (61 élus sur 120) actuellement.

L’équipe du Times of Israel et l’AFP ont contribué à l’écriture de cet article.

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