Refonte judiciaire: Le mouvement des réservistes refusant de servir s’élargit encore
L'armée a indiqué conserver ses compétences à ce stade mais elle s'attend à ce que d'autres soldats de réserve refusent de se présenter, "portant atteinte" à Tsahal, selon Halevi
Emanuel Fabian est le correspondant militaire du Times of Israël.

Des centaines de réservistes ont signé une déclaration aux abords du siège de Tsahal à Tel Aviv, mercredi, annonçant qu’ils ne se présenteront plus à leur devoir de réserve en signe de mécontentement contre l’avancée du plan de refonte radicale du système de la justice dans le pays.
Mercredi également, environ 300 réservistes du Corps médical de l’armée ont indiqué qu’ils n’assumeraient plus leur mission volontaire pour protester contre le plan de refonte du système judiciaire israélien qui a été mis au point par la coalition au pouvoir, emboîtant le pas à 161 réservistes supérieurs de l’armée de l’air qui avaient fait part de cette même intention, vingt-quatre heures auparavant.
Ces annonces sont les dernières à envoyer une onde de choc à travers toute l’armée qui lutte contre une vague croissante de refus des réservistes à continuer de servir le pays en signe d’opposition au plan de réforme extrême de la coalition. Les responsables de la Défense, de leur côté, ont averti que ce phénomène, qui ne cesse de prendre de l’ampleur, pourrait affecter à terme le niveau de préparation opérationnelle nationale.
Le groupe de protestation Frères d’armes a appelé ses milliers de membres, mercredi, à se rassembler au musée de Tel Aviv, à proximité du siège de l’armée, pour signer une déclaration attestant qu’ils ne se présenteront plus à leur devoir de réserve, affirmant que le plan ourdi par le gouvernement transformera le pays « en dictature ».
Il est difficile de dire combien de réservistes ont signé cette déclaration mais un millier de personnes environ ont été aperçues sur les lieux, attendant de pouvoir ajouter leur nom sur la liste.
Aux abords de la base militaire de Tel Hashomer, à Ramat Gan, ce sont les représentants des médecins, des personnels médicaux et autres au sein de Tsahal qui ont organisé une conférence de presse. Ils ont présenté aux journalistes les lettres qu’ils devraient remettre au général de brigade Elon Glassberg, à la tête du Corps médical de l’armée, pour lui signifier qu’ils cesseront de se porter volontaires dans le cadre de la réserve.
« Cette année marque pour moi 30 années de combat et de service en tant que médecin lors des combats – mais jamais je ne me mettrai au service d’un régime non-démocratique. Ce n’est pas ainsi que j’aurais voulu mettre un terme à mon service militaire mais le gouvernement m’oblige à prendre cette terrible décision », a ainsi écrit dans sa missive le docteur Or Goren, manager du bloc opératoire de l’hôpital Ichilov, des propos qui ont été cités par le quotidien Haaretz .
De leur côté, deux généraux de brigade des réserves de l’armée de l’air ont également annoncé, mercredi, qu’ils mettaient un terme à leur devoir de réserve en signe de protestation contre la refonte. Ce sont donc quatre généraux au total qui ont fait part de la même décision.

« Je ne continuerai pas à me porter volontaire sous un régime qui change de manière unilatérale l’accord fondamental qui avait été conclu, dans le passé, entre les citoyens et l’État », a ainsi écrit l’ancien commandant de la base Hatzerim, une base de l’armée de l’air, le général Shelly Gutman, dans un courrier qui a été envoyé au chef d’état-major de Tsahal, Tomer Bar. Le quatrième général ayant fait part de son refus de servir est Amnon Ein Dar, ancien responsable de la division aérienne de l’armée de l’air.
Ces dernières semaines, le mouvement de protestation contre le projet de refonte judiciaire a fortement secoué l’armée et des réservistes de dizaines d’unités ont menacé de cesser de servir.
Ces menaces se sont encore renforcées, ces derniers jours, alors que le gouvernement tente de faire avancer une loi restreignant l’usage de la notion juridique de « raisonnabilité » par les juges lors du réexamen des décisions prises par les politiciens – un texte qui entre dans le cadre de son projet controversé de refonte du système de la justice.
Les responsables de la Défense et les personnalités politiques – de droite comme de gauche – ont averti que ces refus massifs rendaient Israël plus vulnérable encore face à ses ennemis.
Mercredi, le chef d’état-major, le général Herzi Halevi, a émis un nouveau plaidoyer en direction des réservistes qui prévoient de refuser de servir – ou qui ont déjà annoncé qu’ils le feraient.

« Actuellement, l’armée s’assure de tenter de conserver sa cohésion et ses compétences même si ces dernières sont soumises à des tensions », a commenté Halevi, le chef d’état-major, au cours d’une visite sur la base aérienne de Tel Nof.
« L’armée se base sur son système de réserve depuis sa création. Ces réservistes sont les meilleurs d’entre tous… nous les chérissons. Sans eux, le modèle de l’armée du peuple n’aurait jamais pu durer 75 ans », a continué Halevi.
« Les appels à ne pas se présenter au service portent atteinte à l’armée israélienne », a précisé Tsahal.
Les militaires ont indiqué avoir connaissance des noms de plusieurs centaines de réservistes qui ont fait part de leur volonté de ne plus servir pour protester contre le plan de refonte du système judiciaire israélien.
L’armée a indiqué qu’elle maintenait encore son niveau de compétence à ce stade mais qu’elle s’attendait à ce qu’un nombre plus important de soldats de réserve – de pilotes notamment – refusent de servir. La majorité des réservistes qui ont expliqué qu’ils ne serviraient plus pour dénoncer le plan de refonte radicale du système judiciaire appartiennent à l’armée de l’air, même si tous ne sont pas pilotes, a expliqué l’armée.
Les responsables militaires ont procédé à des évaluations constantes de la situation actuelle, se concentrant largement sur la « cohésion » et sur l’unité au sein de l’armée – qui devrait subir les conséquences de ce vaste mouvement d’opposition des réservistes.

Dimanche, suite à une réunion d’urgence, le ministre Yoav Gallant et Halevi auraient convenu de relayer leurs inquiétudes sur l’impact potentiellement négatif du mouvement de protestation au sein de Tsahal au Premier ministre Benjamin Netanyahu.
Le ministère de la Défense a confirmé, mercredi, que Gallant et Halevi avaient rencontré Netanyahu cette semaine dans un contexte de menaces de plus en plus nombreuses des réservistes dans le but d’informer le Premier ministre sur « l’évaluation de la situation sécuritaire et sur le niveau de compétence actuel de Tsahal ». Le ministère n’a pas donné de détail sur cette réunion.
Contrairement à la majorité des réservistes qui reçoivent un appel officiel de l’armée lorsqu’ils sont mobilisés, les pilotes et autres forces spéciales doivent prendre part à des entraînements et mener des missions plus fréquemment et sur la base du volontariat, en raison de la nature des postes qu’ils assument.
L’armée a fait savoir qu’elle sanctionnerait et qu’elle pourrait potentiellement renvoyer les soldats en service actif qui refuseraient de se présenter quand il leur est ordonné de le faire tout en soulignant qu’aucune action ne sera entreprise contre les réservistes qui se contenteraient de brandir la menace, sans la mettre à exécution.
Il est difficile de dire quelles mesures pourraient être prises contre les réservistes se soustrayant à leurs obligations. Tsahal a expliqué que chaque cas sera traité de manière individuelle et que les sanctions pourraient inclure une suspension, un renvoi, voire une peine de prison.

De nombreux réservistes – qui font partie intégrante des activités de routine de Tsahal, notamment au sein des meilleures unités – avertissent depuis plusieurs mois qu’ils n’accepteront pas de se mettre au service d’un Israël qui deviendrait « non-démocratique », selon eux, si le plan de refonte du système judiciaire gouvernemental devait être mené à bien.
Les appels au refus de servir, dans le cadre du devoir de réserve, s’étaient déjà multipliés au début de l’année lorsque le projet de refonte radical du système de la justice avait été annoncé et lorsqu’il avait commencé à avancer devant le Parlement. Condamnés à la fois par les personnalités politiques de premier plan de la coalition et de l’opposition, ces appels ont néanmoins continué à croître.
Cette menace du refus de servir s’est encore renforcée, ces dernières semaines, lorsque le gouvernement a recommencé à faire avancer des législations entrant dans le cadre du plan. Le projet avait été mis largement en pause, au mois de mars dernier, suite aux pressions exercées sur Gallant par les réservistes.
Gallant avait averti, à la fin du mois de mars, que la fracture entraînée par le plan de refonte judiciaire dans le pays entraînait des divisions au sein de l’armée, des clivages qui représentaient une menace tangible pour la sécurité du pays. En réponse à cette mise en garde publique, Netanyahu avait ordonné le limogeage de son ministre de la Défense – une initiative qui avait entraîné un mouvement de protestation intense. Face à l’ampleur de l’indignation nationale, Netanyahu avait décidé de suspendre le plan de refonte du système judiciaire pendant trois mois et il avait réintégré Gallant.