Remplacer les responsables ne règlera en rien l’échec des renseignements, le 7 octobre, dit Itai Brun
L'incapacité à détecter ce que le Hamas préparait témoigne d'un échec qui a duré de longues années, selon l'ex-analyste en chef des renseignements militaires
Le général de brigade réserviste Itai Brun, ancien responsable de la division de recherche et d’analyse des renseignements militaires de Tsahal, a averti, samedi, que l’incapacité d’Israël à déceler que le Hamas se préparait à envahir Israël s’apparentait à un échec systémique d’ampleur – et que face à cet échec, la solution ne pouvait pas simplement consister à remplacer de hauts-officiers et des responsables de premier plan.
Brun a estimé, lors d’un entretien accordé à une chaîne de télévision, qu’il fallait privilégier un changement fondamental dans l’approche et dans la culture du travail de collecte de renseignements, dans le traitement des informations de la part de l’establishment de la sécurité et dans les interactions avec les dirigeants politiques.
Brun, qui avait quitté Tsahal en 2015, avait été à nouveau mobilisé le 8 octobre 2023 – et il s’est entretenu longuement avec la chaîne d’information N12 sur son retour, depuis, à la vie civile.
Il a indiqué que la communauté des renseignements militaires qu’il avait rencontrée, le 8 octobre, avait pleinement compris son échec – « avec un large éventail de certitudes qui se sont effondrées en l’espace de quelques secondes », a-t-il noté.
Mais si la communauté des renseignements de Tsahal avait reconnu qu’elle s’était refusée à seulement envisager que le Hamas pouvait prendre d’assaut la clôture frontalière – et qu’il allait le faire – et que les services, ce jour-là, « avaient réalisé qu’ils fallait absolument qu’ils repensent » la problématique de Gaza, certaines conceptions erronées s’étaient maintenues même après le pogrom et elles se maintiennent encore, a-t-il déploré.
Les services israéliens de renseignements ont ainsi été dans l’incapacité de reconnaître et d’intérioriser pleinement que l’axe dirigé par l’Iran avait la conviction de pouvoir détruire Israël, a précisé Brun. « Ils n’ont pas compris ce changement ».
Il a indiqué que les renseignements israéliens avaient une telle quantité de données – qui indiquaient toutes que le Hamas avait été dissuadé d’attaquer et qu’il ne cherchait pas la guerre – qu’il y avait eu un refus de seulement songer à la possibilité que cette conception était en fait erronée. Cette idée avait d’ailleurs continué à imprégner le mode de pensée des services lorsque l’armée avait obtenu les documents dits « du mur de Jéricho », qui révélaient les plans d’attaque du Hamas.
Selon cette conception erronée, Israël était fort et le Hamas était faible – le Hamas le savait et il ne pouvait donc y avoir aucune logique à ce que le groupe terroriste lance une attaque contre l’État juif, a-t-il fait remarquer. Les unités de renseignement militaire, dans leur intégralité, « n’ont pas écouté parce qu’ils étaient convaincus de savoir… Ils ne pouvaient pas accepter la seule possibilité que leur mode de pensée était erroné ».
Brun a indiqué que les dirigeants du Hamas avaient commencé à avoir la conviction que le groupe terroriste devait commettre une agression du type 7 octobre à partir de 2017 environ – et qu’en 2021, l’axe dirigé par l’Iran était de plus en plus persuadé de sa capacité à détruire l’armée israélienne. Les services de renseignement israéliens avaient toutefois continué à croire « que [les ennemis d’Israël dirigés par l’Iran] pensaient que nous étions invincibles ».
La confiance croissante qui était celle des ennemis d’Israël a été « un changement historique » que les services de renseignement israéliens n’ont pas décelé. Ce changement est né de plusieurs facteurs, selon Brun – notamment des capacités en matière de missiles et de roquettes qui s’étaient améliorées du côté du Hezbollah, de l’unité plus forte qui régnait au sein de l’axe, de l’idée que les États-Unis n’étaient plus aussi forts qu’ils pouvaient le croire auparavant et de la certitude qu’ils pouvaient porter davantage atteinte à Israël qu’ils avaient pu le penser auparavant.
Brun a indiqué que les querelles entraînées, sur le territoire israélien, par le projet de refonte radicale du système judiciaire avancé par le gouvernement dirigé par le Premier ministre Benjamin Netanyahu avait été perçu comme un signe de faiblesse par l’axe placé sous l’autorité de l’Iran.
Il a également dénoncé le « manque de confiance », a-t-il dit, qui règne entre les responsables politiques et militaires israéliens – ce qui les a empêchés de « s’asseoir à une table pour établir clairement » les évaluations de la situation qui avaient été faites par la communauté du renseignement concernant les intentions de l’ennemi.
Mais la « leçon centrale » donnée par la tragédie du 7 octobre, a déclaré Brun, a été que cela n’a pas été l’échec « d’une nuit, sur un front, d’un groupe de personnes… L’échec a été beaucoup plus large ».
« Ce qui est encore plus significatif, c’est le fossé [entre les évaluations et la réalité de la situation] qu’il y a eu dans les années qui ont précédé le pogrom », a-t-il ajouté. « Nous sommes restés aveugles pendant des années jusqu’à cette nuit-là ».
Brun a expliqué qu’il ne répondrait pas aux questions concernant la responsabilité – et la culpabilité – des responsables politiques mais il a insisté sur le fait que « c’est tout l’appareil israélien qui avait adopté l’idée erronée que le Hamas avait été dissuadé de nous attaquer ».
Il a fait la distinction entre les réussites déterminantes qui ont été récemment obtenues contre le Hezbollah – avec notamment la localisation et l’élimination de son chef, Hassan Nasrallah – et les échecs qui avaient été révélés au grand jour par l’horreur du 7 octobre, citant « deux ensembles de capacités très différents ».
Le 7 octobre a révélé un échec stratégique qui avait duré des années concernant notamment « la capacité à comprendre les stratégies (…) et à reconnaître les changements dans les points de vue et dans l’approche de l’autre partie », a-t-il affirmé.
« Des personnalités précises auraient pu mieux agir », a-t-il noté, « mais je parle ici de quelque chose de plus profond… De cette idée que si nous remplaçons les personnes, le problème sera réglé, ce qui est inexact. »
« Certains responsables ne sont plus à leur poste et ils ont reconnu leur part de responsabilité mais l’idée que leur départ puisse tout régler… non. Le problème, c’est la culture des renseignements et le problème, c’est l’approche qui est celle des services de renseignements ».
Alors qu’il lui était demandé si ce qui était arrivé en 1973 – quand Israël avait été attaqué par surprise à Yom Kippour par les armées égyptiennes et syriennes – et si ce qui s’est produit en 2023 pouvaient à nouveau se répéter, Brun a déclaré que « la conclusion, c’est que oui, ça peut encore nous arriver… et ça doit être une hypothèse de travail fondamentale. Nous devons changer la culture et l’approche des services de renseignements dans leur intégralité afin de garantir que tout ça ne se reproduise jamais ».
Alors qu’il lui était demandé s’il pensait que ce changement fondamental d’approche allait effectivement avoir lieu, il a répondu : « Oui, je le pense ».