« Restez optimistes » : les conseils de survivants de la Shoah face à la pandémie
Certains évoquent la solitude, mais pas la peur ; ils appellent à garder espoir en l'avenir et à cesser de se diviser en voulant chercher un bouc-émissaire pour le Covid-19

Ce sont les personnes âgées qui sont le plus vulnérables face à l’épidémie de coronavirus, avec les règles de distanciation sociale qui signifient que de nombreux survivants de la Shoah, en Israël, passent de longues périodes de temps seuls.
« Personnellement, je n’ai pas peur, mais tout le monde autour de moi a peur pour moi. Je leur dis : quand j’étais gamin, c’était dangereux d’être un enfant », explique Naftali Pirset, 87 ans, à la Douzième chaîne.
« J’ai presque 90 ans maintenant, et c’est également dangereux. Il faut croire que je suis né à un mauvais moment », s’amuse-t-il.
« Je vais vous montrer une photo prise en 1945 à Buchenwald, quatre jours après la libération. Je suis resté en camp de concentration pendant trois ans. Comment comparer cette situation de misère, les gens qui mourraient là-bas, aux circonstances actuelles ? », ajoute-t-il.
« Vous êtes chez vous ? Vous avez une couverture ? Vous avez à manger ? Personne ne vous frappe ? Vous savez que votre fille et vos petits-enfants sont en bonne santé ? C’est pas si mal. Arrêtez de vous haïr les uns les autres, arrêtez les incitations », encourage-t-il.

« Nous sommes tous ensemble, réunis au même endroit et pendant ce temps, on n’a pas faim, on n’a pas froid et on ne risque pas l’extermination. Alors montrons-nous optimistes et tout se passera bien », continue l’homme marié.
Aliza Buntzel, une veuve de 88 ans, reconnaît être triste de ne pas pouvoir embrasser ses petits-enfants. Mais elle dit avoir de la chance par rapport à d’autres survivants de la Shoah qui n’ont pas de famille proche.
« Je regrette vraiment de ne plus pouvoir sortir de la maison », dit-elle. « De ne pas voir la famille, de ne pas pouvoir faire un câlin à mes petites-filles. Mais les expériences que j’ai vécues quand j’étais enfant m’ont vraiment rendue plus forte aujourd’hui. Je ne me laisse pas entraîner vers la déprime. Dieu m’en préserve ! », clame-t-elle.
« Je connais de nombreux survivants de la Shoah qui n’ont pas d’enfants ni de famille proche pour se préoccuper d’eux, qui auraient besoin d’être soutenus, et le gouvernement n’y prête pas suffisamment attention », déplore-t-elle.

« Je suis très optimiste sur le fait qu’on va sortir de tout cela très bientôt et j’espère que les gens vont prendre les choses plus au sérieux et suivre les directives, qui sont dans notre intérêt et dans l’intérêt de tout le monde », poursuit-elle.
Pinchas Golan confie à la chaîne que la solitude est pour lui très difficile – mais qu’il faut tenter de garder espoir face à la situation.
« Ce coronavirus qui est apparu, il nous déprime, nous, les survivants de la Shoah, et bien entendu, il déprime tout le monde », s’exclame ce veuf de 86 ans. « C’est un moment de dépression terrible. De solitude. Je suis seul. Et quand je souffre de cette solitude, j’ai une crise de panique. Je m’assieds dans la pièce – et j’ai personne à qui parler », décrit-il.
« Il y avait toujours quelqu’un à qui je pouvais parler – j’ai des amis. Mais aujourd’hui, pendant ces moments de solitude, c’est fini. Tout le monde reste chez soi, et je suis seul, constamment seul entre ces murs. Et c’est très, très dur pour moi. Je vais vous dire quelque chose de simple : vous devez tenir et ne pas tomber dans l’apitoiement, vous devez simplement espérer que tout ira bien en fin de compte, » confie-t-il.

Aryeh Nativ, 85 ans, assure ne pas craindre la mort et souligne que les règles de distanciation sociale ne sont rien en comparaison à ce que les Juifs ont traversé pendant la Shoah.
« Ce qui me manque particulièrement, c’est d’étreindre et d’embrasser mes petits-enfants. Parmi tout ce que j’ai connu pendant la Shoah, il y avait cette cachette sous le plancher d’un couple de Polonais qui nous avait sauvés. Et on était nombreux – 39 personnes entassées là pendant un an et demi sans voir la lumière du jour, sans inhaler l’air frais. Sans sortir », raconte-t-il.

« Quand je me souviens de cette situation et que je la compare à maintenant, à cette période de coronavirus, pendant laquelle nous sommes obligés de rester chez nous et de ne pas nous éloigner – il n’y a aucune comparaison possible. Quelle comparaison faire ? La situation actuelle est bonne, dans l’ensemble ! Personnellement, la mort ne me fait pas peur. J’ai vécu des expériences qui étaient pires que la mort. Je m’inquiète plutôt de l’unité de la population. C’est très inquiétant. Cela m’inquiète davantage que le coronavirus », dit Aryeh Nativ.
La Douzième chaîne a rapporté que sur la base de chiffres rendus publics jeudi, presque 30 % des victimes mortelles du Covid-19 vivaient dans des résidences senior qui sont nombreuses à accueillir des survivants de la Shoah.
La première victime de la pandémie était un rescapé de la Shoah de 88 ans, Aryeh Even.

La police aurait ouvert une enquête sur un foyer hébergeant des seniors, dans le nord d’Israël, qui se serait rendu coupable de négligences à l’égard de ses pensionnaires dans le cadre de l’épidémie de coronavirus. Vendredi, un douzième résident de la maison de retraite Mishan de Beer Sheva est mort des suites du Covid-19 – ce qui fait de cet établissement le plus frappé par le virus dans tout le pays.
Au moins une victime était un survivant de la Shoah.
Le coronavirus s’est propagé rapidement dans les structures accueillant des personnes âgées dans le pays, soulevant de vives inquiétudes sur la sécurité de ces dernières.
Presque toutes les personnes décédées du COVID-19 étaient des personnes âgées avec comorbidité, selon les responsables des hôpitaux.
Un rapport gouvernemental datant de 2017 avait dressé un tableau choquant de l’incapacité des autorités à venir aider et soutenir les survivants du génocide. Il décrivait une coordination gouvernementale médiocre, une incapacité à utiliser des fonds déjà présents dans le budget, des lois complexes et difficiles à comprendre pour ces survivants d’un âge avancé – un grand nombre ne sait pas utiliser internet ou ne parle pas suffisamment bien l’hébreu – et un manque total d’appui de la part du gouvernement pour les survivants arrivés en Israël dans les années 1990 en provenance de l’ex-URSS, qui vivent aujourd’hui souvent dans des conditions de pauvreté extrême.