Réunis par le ToI, des experts débattent de l’impact de la clause dérogatoire
Les experts opposés à cette loi soutiennent que le droit actuel est essentiel à la démocratie, ceux qui y sont favorables dénoncent l'autorité illimitée de la Cour
D’éminents juristes ont discuté des plans de la future coalition visant à réduire le pouvoir de la Haute Cour lors d’un événement organisé jeudi et diffusé en direct par le Times of Israel, explorant son impact probable sur la démocratie et la société israéliennes.
Le Premier ministre désigné Benjamin Netanyahu et son bloc (droite, ultra-orthodoxes et extrême droite) prévoient de faire passer une clause dite « dérogatoire » à la Haute Cour de Justice, ce qui mettrait fin à la capacité de la Cour d’invalider des lois et d’annuler des décisions gouvernementales qui violent les droits fondamentaux énoncés dans les lois fondamentales quasi-constitutionnelles d’Israël.
Les experts juridiques opposés à la proposition ont expliqué que le fait de permettre à la Haute Cour d’annuler des lois est essentiel pour la démocratie ; ceux qui sont en faveur de la proposition ont affirmé que l’absence de base juridique pour le contrôle judiciaire et l’absence de contraintes pour la Cour étaient problématiques en soi.
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La législation prévue, réclamée par les partis HaTzionout HaDatit et Yahadout HaTorah ainsi que par de nombreux députés du Likud, permettrait vraisemblablement à la Knesset de réintroduire dans la législation toute loi de ce type ou de promulguer une législation avec une immunité de contrôle judiciaire dès le départ.
L’événement du Times of Israel a été diffusé en direct et s’est tenu à l’Institut israélien de la démocratie (IDI) à Jérusalem.
Le professeur Amichai Cohen, Senior Fellow au Centre pour la sécurité et la démocratie de l’IDI, a décrit l’évolution du processus de contrôle judiciaire du tribunal, qui n’est ancré dans aucune loi.
Cohen a expliqué que, depuis la naissance de l’État, la Cour contrôle les décisions administratives, et que comme le pays a été gouverné par le parti Mapaï pendant les premières décennies, la plupart des décisions clés étaient de nature administrative et l’absence de contrôle sur la législation était moins importante.
Après la victoire électorale du Likud en 1977, et sur fond de tensions sociales croissantes entre les différents secteurs de la population, la Knesset est devenue le centre du pouvoir, et la Haute Cour a assumé le contrôle judiciaire dans un arrêt historique en 1995 après l’adoption de la Loi fondamentale : Dignité et liberté de l’homme en 1992.
Lors du débat, le professeur Yaniv Roznai, constitutionnaliste de l’université Reichman, a soutenu qu’une clause dérogatoire de la Haute Cour permettrait à la Knesset de nier les droits fondamentaux établis au fil des siècles à travers l’adoption de chartes historiques sur les droits civils.
Roznai a concédé qu’en théorie, un organe législatif devrait avoir le droit de passer outre les tribunaux sur des questions de droits fondamentaux, mais a souligné qu’un tel système nécessiterait une structure constitutionnelle complète incluant une charte des droits.
Israël n’a pas de constitution, mais ses lois fondamentales quasi-constitutionnelles sont à la base du système juridique et sont plus difficiles à abroger que les lois ordinaires.
« Je serais heureux d’adopter le dispositif de contrôle judiciaire utilisé dans d’autres pays démocratiques, mais il faudra y associer l’ensemble de leur structure constitutionnelle. Vous ne pouvez pas faire une sélection parmi les lois et choisir uniquement les articles qui donnent au gouvernement et à la législature des pouvoirs illimités », a déclaré Roznai.
L’avocat Yonatan Green, du Israel Law and Liberty Forum, n’était pas d’accord, affirmant que la cour avait assumé le contrôle judiciaire sans aucune autorisation légale et que le fait que la cour ait le « dernier mot » sur la loi dans le pays était « impensable, injustifiable et insoutenable ».
Green a également affirmé que la Cour était intervenue dans la plupart des cas sur des questions de politique gouvernementale qui n’avaient aucun rapport avec les droits fondamentaux, évoquant une décision d’invalider une politique consistant à ne pas accorder certaines aides sociales si le demandeur possédait une voiture.
« S’agit-il d’un droit inaliénable que la cour doit faire respecter ? » a demandé Green.
Le professeur Moshe Koppel, fondateur du Kohelet Policy Forum de tendance conservatrice, s’est opposé à ce qu’il a appelé le pouvoir illimité et sans contrepoids de la Cour, qui aurait déclaré que toute question est passible de poursuites judiciaires et que n’importe qui a le droit d’adresser une requête à la cour.
« Je suis favorable à l’idée qu’il devrait y avoir des obstacles à la législation, mais de là à dire que la Cour peut s’autoriser à être un obstacle à la législation ? Le contrôle judiciaire est parfaitement raisonnable tant que le pouvoir judiciaire est soumis à des contrôles et des contrepoids », a déclaré Koppel.
Tamar Hostovsky Brandes, de la faculté de droit de l’Ono Academic College, a contesté la position de Koppel, affirmant que l’affaiblissement des pouvoirs des tribunaux constituait une tactique courante adoptée par les régimes cherchant à restreindre les droits démocratiques, citant en exemple les gouvernements polonais et hongrois.
« Le type de pouvoir dont disposent les tribunaux est très différent de celui des gouvernements et des parlements. Je ne connais aucun pays où un tribunal a transformé une démocratie en autocratie, par contre, je connais de nombreux gouvernements qui l’ont fait », a déclaré Hostovsky Brandes.
A la suite du débat, une discussion en comité plus restreint a eu lieu avec des représentants d’organisations qui ont demandé à la Haute Cour de protéger les droits de groupes et d’individus spécifiques et qui considèrent la clause dite « dérogatoire » comme le glas de la capacité à défendre ces personnes contre le pouvoir.
Le panel comprenait l’avocate Shlomit Ravitsky Tur-Paz, directrice du programme « Religion et État » de l’IDI et cofondatrice d’ITIM, organisation consultative pour les services religieux, ainsi que le rabbin et avocate Noa Sattath, directrice exécutive de l’Association pour les droits civils en Israël (ACRI).
Sattath a détaillé les nombreuses pétitions adressées à la Haute Cour par l’ACRI au fil des ans, et notamment celles présentées au nom de demandeurs d’asile africains, des propriétaires terriens palestiniens et d’autres groupes vulnérables.
Elle a rejeté l’affirmation de Green selon laquelle les droits civils et humains fondamentaux n’étaient pas en jeu, soulignant les demandes de son organisation auprès de la Haute Cour sur des questions relatives aux incarcérations abusives, aux droits de propriété et à la liberté d’expression.
Sattath a également détaillé certains aspects des libertés civiles qui pourraient être menacés si la clause dite « dérogatoire » était adoptée.
Elle s’est dite préoccupée par le fait que les lois concernant l’incarcération des demandeurs d’asile, l’expropriation de terres palestiniennes privées et les restrictions à la liberté d’expression pourraient toutes être réactivées.
Sattath a également fait remarquer que les partis politiques représentant les citoyens arabes israéliens avaient été suspendus par la commission centrale électorale à chaque élection depuis 25 ans, avant que la décision ne soit annulée par la Cour suprême.
« Nous sommes extrêmement préoccupés par le fait que si le contrôle judiciaire est supprimé, la société palestinienne [arabe] en Israël n’aura aucune représentation politique », a-t-elle déclaré.
« [Le leader du parti HaTzionout HaDatit, le député Bezalel] Smotrich a qualifié les ONG de ‘menace existentielle pour Israël’, et des lois ont été adoptées pour compliquer la réception et la collecte de fonds par les ONG, ce qui pourrait avoir un impact catastrophique sur elles en raison de leurs ressources limitées », a-t-elle ajouté.
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