Rivlin appelle à la coopération mondiale dans la lutte contre la haine antijuive
Le président a mis en garde les dignitaires en visite contre toute tentative de réécriture de l'histoire ; "le souvenir seul ne suffit malheureusement pas", pour le roi d'Espagne
Accueillant un grand nombre de dirigeants du monde entier dans sa résidence de Jérusalem, le président Reuven Rivlin a souligné mercredi soir la nécessité de lutter contre l’antisémitisme et le racisme et mis en garde contre toute ingérence dans la mémoire de la Shoah.
Il s’exprimait devant la quarantaine de dirigeants étrangers, venus en Israël pour assister au Forum mondial sur la Shoah marquant le 75e anniversaire de la libération du camp de la mort d’Auschwitz. Le roi d’Espagne et le professeur Yehuda Bauer, historien et lauréat du Prix Israël, ont également pris la parole. Étaient présents les présidents français, allemand, italien, entre autres dignitaires.
La soirée a commencé par l’arrivée des convives, qui ont été accueillis par une poignée de main du président. Ils ont ensuite pris place à la table pour le dîner officiel.
« Au nom de l’État et du peuple d’Israël, bienvenue à Jérusalem. Merci à tous d’être là. C’est un rassemblement historique, non seulement pour Israël et le peuple juif, mais aussi pour toute l’humanité ».
Rivlin a indiqué que l’événement qu’il organisait n’était pas seulement dédié à la mémoire des victimes de la Shoah et de la Seconde Guerre mondiale, mais qu’il marquait également « la victoire de la liberté et de la dignité humaine ».
S’adressant à ses convives réunis autour d’une grande table en forme de U, le président a déclaré que l’avenir « réside dans les choix que nous faisons » en tant que pays et nations.
« Demain, nous nous réunirons à Yad Vashem, pour nous souvenir et pour promettre : plus jamais ça », a-t-il poursuivi. « Yad Vashem est un centre de premier plan pour la recherche et l’éducation sur la Shoah, encadré par des historiens. La recherche historique devrait être laissée aux historiens », a précisé Rivlin. « Le rôle des dirigeants politiques est de façonner l’avenir. Ce soir, nous aurons l’honneur d’entendre le professeur Yehuda Bauer, conseiller académique de Yad Vashem, et l’un des plus grands experts mondiaux de la Shoah. »
« Alors que de plus en plus de survivants nous quittent, ce rassemblement est l’expression de notre engagement commun à transmettre les faits historiques et les leçons de la Shoah à la prochaine génération « , a-t-il poursuivi.
« Chers amis. Viktor Frankl, le philosophe et survivant de la Shoah, a écrit : ‘Nous, qui avons vécu dans les camps de concentration, nous pouvons nous souvenir des hommes qui ont réconforté les autres et qui ont donné leur dernier morceau de pain. Ils étaient peut-être peu nombreux, mais ils sont la preuve que l’on peut tout prendre à un homme, excepté une chose : la dernière des libertés humaines, celle de choisir sa propre voie’. »
Le président israélien a conclu son allocution par un appel à la coopération pour faire face à l’antisémitisme : « L’avenir réside dans les choix que nous faisons, en particulier ceux que nous faisons ensemble, en tant que pays et nations. J’espère et je prie pour que, depuis cette salle, le message soit transmis à tous les pays de la terre que les dirigeants du monde entier se tiendront unis dans la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et l’extrémisme, dans la défense de la démocratie et des valeurs démocratiques. C’est l’appel de notre temps. C’est notre défi », a-t-il ajouté. « C’est notre choix ».
Les remarques de Rivlin pourraient être perçues comme une critique de certains gouvernements d’Europe centrale et orientale, qui se sont engagés dans ce que les critiques appellent la déformation de la Shoah. Certains pays, tels que la Hongrie, la Lituanie, la Pologne et l’Ukraine, ont été accusés de glorifier les collaborateurs nazis en tant que héros nationaux et de minimiser le rôle de leurs concitoyens dans les atrocités antijuives.
Ses commentaires pourraient également être considérés comme un avertissement concernant la récente guerre des mots entre la Russie et la Pologne, dans laquelle les deux pays se sont mutuellement accusés d’être partiellement responsables de la guerre. Le président russe Vladimir Poutine a affirmé à plusieurs reprises ces derniers jours que le gouvernement polonais s’était rangé du côté des nazis pendant la Seconde Guerre mondiale et avait joué un rôle dans le déclenchement du conflit. Le président polonais Duda a annulé sa participation au forum en Israël cette semaine, après le rejet de sa demande de prononcer un discours parallèlement à celui de Poutine à Yad Vashem jeudi.
Le roi d’Espagne a déclaré que « la mémoire seule ne suffit malheureusement pas » et « que la barbarie peut se développer quand on s’y attend le moins ». Et Yehuda Bauer a souligné devant les dignitaires réunis que l’antisémitisme ne devait pas être considéré comme une menace contre les Juifs, mais contre l’Europe elle-même.
L’historien a souligné aux dirigeants réunis que l’antisémitisme n’est pas une menace pour les Juifs, mais pour l’Europe elle-même. Il a fait valoir que le dictateur nazi Adolf Hitler s’est lancé dans la Seconde Guerre mondiale parce qu’il croyait que les Juifs contrôlaient le monde et qu’il fallait les arrêter.
En plus des quelque six millions de Juifs morts, a-t-il indiqué, quelque 29 millions de non-Juifs européens ont été tués par la machine de guerre nazie. L’antisémitisme ne concerne pas les Juifs, a-t-il conclu.
« Il y a 29 millions de raisons » de combattre l’antisémitisme, a-t-il affirmé. « Ne pensez-vous pas que 29 millions de raisons sont suffisantes ? ».
Bauer s’est déjà exprimé en ce sens dans une interview accordée au Times of Israël publiée la semaine dernière.
Le roi d’Espagne Felipe s’est adressé à l’assemblée au nom des dirigeants étrangers présents.
« Oublier la Shoah serait non seulement déshonorer la mémoire de millions de victimes, mais serait aussi extrêmement dangereux », a-t-il déclaré. Le monarque a averti que « le souvenir seul ne suffit malheureusement pas » et « que la barbarie peut émerger quand on s’y attend le moins ».
« Nous n’en sommes jamais totalement à l’abri, et à différents degrés, nous le voyons encore aujourd’hui frapper fort dans différentes parties de notre monde », a-t-il déploré.
Constatant la montée de l’antisémitisme dans de nombreux pays, le roi Felipe a déclaré que les dirigeants du monde n’étaient pas à Jérusalem uniquement pour honorer ceux qui ont survécu à la Shoah.
« Nous sommes également ici – peut-être principalement – pour montrer notre engagement indéfectible à livrer tous les efforts nécessaires afin de combattre l’intolérance ignorante, la haine et le manque total d’empathie humaine qui ont permis et donné naissance à la Shoah ».
« Plus jamais », a-t-il dit, en répétant la phrase en hébreu : « Le’olam lo od ».
Outre les dirigeants étrangers, le dîner a réuni le Premier ministre Benjamin Netanyahu, le chef de Kakhol lavan Benny Gantz et d’autres personnalités israéliennes – comme le président de la Knesset Yuli Edelstein, la juge en chef de la Cour suprême Esther Hayut et le chef d’état-major Aviv Kohavi.
Netanyahu était assis à côté du roi Felipe et du président allemand Frank-Walter Steinmeier.
Avant le début de la réunion, il a discuté avec un certain nombre de dirigeants mondiaux, notamment au sujet de l’impasse politique dans laquelle se trouve actuellement Israël.
« Trois élections en un an. Mais je pense que je peux y arriver », a-t-il assuré au président autrichien Alexander van der Bellen.
Pour des raisons d’espace, les chefs des délégations étrangères ont été priés de n’amener qu’un seul invité chacun – dans la plupart des cas, un chef de cabinet ou un conseiller principal – les conjoints n’étant pas autorisés. Les personnes supplémentaires se sont assises dans une tente érigée spécialement à cet effet.
Pour préparer le dîner, 150 poutres en acier et en bois, 400 mètres-carrés de plancher, 240 meubles, 800 bougies et d’innombrables radiateurs ont été installés dans les locaux hautement sécurisés.
Entre les plats, les chanteurs israéliens David D’Or, Miri Mesika et Amir Benayoun ont interprété « The Last Survivor », une chanson écrite par Moshe Klughaft et composée il y a plusieurs années par Amir Benayoun à l’occasion d’une visite d’une délégation de la Knesset à Auschwitz.
Shlomi Shaban a interprété une version originale de « Dance Me to the End of Love », de Leonard Cohen, accompagné de Vladimir Reider de l’orchestre de chambre israélien, qui jouait un violon ayant survécu à la Shoah
Après le dessert, les dirigeants du monde entier ont pris une photo de groupe et sont retournés à leurs hôtels respectifs.