Saisie par un survivant de Mauthausen, la CEDH condamne l’Autriche
À l'été 2015, le magazine "Die Aula" avait publié un article décrivant les personnes libérées du camp de Mauthausen comme des "criminels", des "meurtriers de masse" et des "fléaux"
La CEDH a condamné jeudi l’Autriche pour ne pas avoir pris en compte correctement la plainte en diffamation déposée par un des derniers survivants du camp nazi de Mauthausen, qui se disait diffamé par un journal de droite.
Saisie par Aba Lewit, un Autrichien né en 1923 qui est l’un des derniers survivants de ce camp de concentration, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a estimé que les tribunaux autrichiens n’avaient « pas adéquatement pris en compte sa plainte » et ont condamné l’Autriche à lui verser 5 000 euros pour dommage moral.
À l’été 2015, le magazine Die Aula avait publié un article décrivant les personnes libérées du camp de Mauthausen comme des « criminels », des « meurtriers de masse » et des « fléaux ».
Les autorités autrichiennes avaient alors ouvert une enquête pénale mais celle-ci fut classée sans suite. Dans un article de 2016, le même journaliste d’Aula fit état de ce classement sans suite et répéta mot pour mot ses propos.
M. Lewit et neuf autre survivants de la Shoah attaquèrent alors le journal et l’auteur de l’article pour diffamation.
Ils soulignèrent qu’ils avaient tous été emprisonnés à Mauthausen en raison de leurs origines ou de leur foi et qu’aucun n’avait commis d’acte criminel significatif. Même s’ils n’étaient pas mentionnés nommément dans l’article, ils se considéraient légitimes pour engager ces poursuites car ils figuraient parmi les derniers survivants des personnes libérées de ce camp nazi.
Leur action en justice fut rejetée, en première instance puis en appel, au motif que 20 000 personnes avaient été libérées du camp de Mauthausen et que les plaignants n’étaient pas visés individuellement par l’article.
Jeudi, la CEDH, basée à Strasbourg, a rappelé sa jurisprudence selon laquelle « la vie privée de chaque membre d’un groupe peut être touchée par des stéréotypes négatifs ou des propos diffamatoires » et constaté que M. Lewit et les autres anciens prisonniers de Mauthausen constituaient « un groupe social ».
Les juges ont conclu que les tribunaux autrichiens « n’avaient pas protégé les droits du requérant parce qu’ils n’avaient pas examiné la question centrale dans ce procès : celle de savoir si (M. Lewit) avait été diffamé par cet article ».
Quelque 200 000 personnes, originaires de 40 pays, et Juives pour un quart d’entre elles, ont été détenues entre 1938 et 1945 à Mauthausen, situé sur les collines de la rive nord du Danube, près de Linz.
Environ 90 000 déportés y sont morts, succombant au travail dans les mines de granit, à la malnutrition ou à la maladie. D’autres ont été abattus par les gardes, pendus, étranglés ou battus.