Secouristes tués à Gaza : Eyal Zamir ordonne une enquête « plus approfondie »
Une ONG demande la création d'une commission d'enquête internationale ; selon Tsahal, 6 de ces hommes appartenaient au Hamas
Emanuel Fabian est le correspondant militaire du Times of Israël.

Le Croissant-Rouge palestinien a déclaré lundi que l’autopsie des 15 secouristes tués par l’armée israélienne, le mois dernier à Gaza, avait montré qu’ils avaient été touchés dans la partie supérieure du corps avec « l’intention de tuer ».
Les faits se sont produits dans le sud de la bande de Gaza le 23 mars dernier, quelques jours après la reprise de l’offensive israélienne dans l’enclave dirigée par le Hamas, lorsque des soldats déployés dans le quartier de Tel Sultan, à Rafah, ont ouvert le feu sur un convoi de véhicules jugé « suspect ».
Les Palestiniens reprochent à l’armée israélienne d’avoir tenté de dissimuler l’incident en enterrant les corps dans une fosse commune et il se dit que certains de ces corps, qui avaient encore les mains liées, auraient été abattus à bout portant, ce que nie Tsahal.
Selon les premières conclusions de l’enquête de l’armée israélienne, six au moins des personnes tuées ont été identifiées à titre posthume comme des membres du Hamas. Aucun nom n’a encore été donné, dans l’attente des conclusions définitives de l’enquête.
L’armée israélienne a indiqué que ses soldats n’avaient aucunement tenté de faire passer sous silence ce qui s’était passé et en avaient informé l’ONU, ainsi que de l’emplacement des corps, enterrés dans une fosse commune.
Selon le bureau humanitaire des Nations Unies OCHA et les sauveteurs palestiniens, huit membres du Croissant-Rouge, six de la Défense civile palestinienne liée au Hamas et un employé de l’UNRWA, l’agence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens, ont été tués dans cet incident.

Les corps ont été retrouvés enterrés non loin du lieu de la fusillade dans ce qu’OCHA a décrit comme une fosse commune.
Sous un déluge de condamnations internationales, les conclusions de l’enquête de l’armée sur la mort des 15 secouristes ont été présentées lundi par le chef du commandement sud, le général de division Yaniv Asor au chef d’État-major de Tsahal, le lieutenant-général Eyal Zamir.

L’armée israélienne a déclaré que Zamir a chargé le Service d’évaluation des faits de l’État-major général, organe militaire indépendant chargé d’enquêter sur les incidents inhabituels survenus en temps de guerre, d’« approfondir et compléter » l’enquête dans les tout prochains jours et de lui présenter ses conclusions.
« L’armée israélienne enquête sur l’incident, qui a eu lieu dans une zone de combat, afin d’établir la vérité », a déclaré l’armée, avant de redire que « l’enquête initiale a révélé que les soldats se sont sentis menacés, suite à un précédent échange de tirs dans le secteur, et ont ouvert le feu. Par ailleurs, six terroristes du Hamas ont été identifiés parmi les victimes de l’incident. »
Selon OCHA, la première équipe – qui, selon l’organisation, comprenait des sauveteurs et non des terroristes du Hamas, a été touchée par les soldats israéliens à l’aube. Dans les heures qui ont suivi, ce fut au tour des équipes de secours envoyés à la recherche de leurs collègues d’être touchées, a indiqué OCHA.
Lorsque la nouvelle de l’incident s’est répandue, l’armée israélienne a affirmé dans un premier temps que les ambulances circulaient sans phares ni gyrophare et qu’elles n’avaient pas reçu d’autorisation.
Une vidéo retrouvée sur le téléphone de l’un des secouristes tués, publiée par le New York Times, semble prouver que les véhicules d’urgence étaient bien identifiés et roulaient avec leurs feux de détresse lorsque l’armée israélienne a ouvert le feu.

L’armée israélienne a ensuite reconnu, suite à la diffusion de cette vidéo, que ses premières déclarations affirmant que les ambulances roulaient tous phares éteints – déclarations fondées sur les témoignages de soldats impliqués dans l’incident – semblaient incorrectes.
Une vidéo plus longue de 19 minutes, tournée avec le même téléphone, a été publiée lundi par le Croissant-Rouge.
Le Dr Younis Al-Khatib, président du Croissant-Rouge en Cisjordanie, a déclaré lundi à des journalistes à Ramallah que l’autopsie des secouristes avait conclu qu’ils avaient été abattus « volontairement ».
« Il y a eu une autopsie des martyrs du Croissant-Rouge et des équipes de la défense civile », a-t-il déclaré. « Nous ne pouvons pas tout dire, mais tous les martyrs ont reçu des balles dans la partie supérieure du corps, avec l’intention de tuer. »
Il a ajouté que le Croissant-Rouge demandait à « la communauté internationale de mettre sur pied une commission d’enquête internationale indépendante et impartiale pour établir les circonstances exactes de cet homicide délibéré ».
« Pourquoi avez-vous caché les corps ? » a déclaré Khatib à l’intention des soldats israéliens impliqués dans l’attaque.
Initialement tu, de crainte de représailles de Tsahal envers sa famille, le nom du secouriste auteur des vidéos – Rifaat Radwan – a été révélé lundi par le New York Times.
Dans la vidéo, dont le Times dit qu’elle a été prise depuis l’une des ambulances envoyées à la recherche de la première ambulance disparue, on entend Radwan dire : « Nous appelons leurs téléphones et personne ne répond. »
« Normalement, Ezzedine répond, Mustafa et Munther aussi », l’entend-on dire, selon la traduction anglaise fournie par le Times.
Une fois retrouvée l’ambulance de leurs collègues disparus, les secouristes sortent de leur véhicule et c’est alors que l’on entend des coups de feu et qu’on les voit tenter de regagner leur véhicule en courant. On entend ensuite Radwan réciter la Shahada, la prière musulmane récitée avant la mort.
Puis la vidéo se coupe mais les coups de feu continuent pendant cinq minutes. Lors de ces cinq minutes, on entend Radwan dire en arabe qu’il y a des Israéliens dans les parages et l’on entend effectivement des soldats crier des ordres inintelligibles en hébreu.
Selon le Times, les derniers mots de Radwan avant la coupure de la vidéo sont « Les soldats israéliens arrivent, les soldats israéliens arrivent ».

A l’occasion de la présentation de ses premières conclusions sur l’incident, l’armée a déclaré samedi que les faits s’étaient produits aux alentours de 6 heures du matin le 23 mars dernier. Elle a ajouté que les soldats du commando Golani déployés sous le commandement de la 14e brigade blindée avaient tendu une embuscade sur une route de Tel Sultan aux environs de 4 heures du matin, mais que plusieurs ambulances et véhicules civils étaient passés sans encombre.
Vers 4h30 du matin, un véhicule de police du Hamas est passé dans le secteur et les soldats de Golani ont échangé des tirs avec eux, tuant l’un d’entre eux et en capturant deux autres, a précisé l’armée israélienne. Le véhicule du Hamas est resté sur le bas-côté. Puis, aux alentours de 6 heures du matin, l’armée a indiqué qu’un convoi d’ambulances était arrivé dans les parages et que les soldats avaient ouvert le feu, car perçus comme représentant une menace. Les opérateurs chargés de piloter le drones au-dessus de leur tête leur avaient en effet signalé que les véhicules se déplaçaient dans leur direction d’une manière suspecte.
L’armée a poursuivi en disant que ses soldats avaient ensuite rassemblé les corps des 15 secouristes au même endroit avant de les recouvrir de sable et d’indiquer le lieu de sépulture, pratique approuvée par les autorités das le cadre des combats à Gaza, afin d’empêcher les chiens sauvages et d’autres animaux de manger les cadavres.
Le Croissant-Rouge a toutefois déclaré que les corps avaient été enterrés « d’une manière brutale et dégradante, au mépris de la dignité humaine ».
L’armée israélienne a assuré avoir rapidement informé l’ONU du lieu de sépulture, mais qu’il avait fallu plusieurs jours pour que les corps soient récupérés, en coordination avec l’armée.
L’ONU a déclaré que les ambulances avaient été retrouvées à l’état de carcasses non loin des corps. Selon l’enquête de Tsahal, c’est un bulldozer blindé D9 qui a poussé les ambulances sur la bas côté, pour dégager la route, et a écrasé les véhicules sans le vouloir.
À Ramallah, Khatib a nié que les ambulances aient été utilisées par des membres du Hamas, affirmant qu’Israël n’avait jamais « prouvé une seule fois en l’espace de 50 ans que le Croissant-Rouge ou ses équipes portaient ou utilisaient des armes ».
Selon le Times, l’armée israélienne a refusé de dire si les hommes à bord des ambulances étaient ou non armés.

La Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge a déclaré que cet incident contre des membres de la Croix-Rouge ou du Croissant-Rouge était le plus meurtrier depuis 2017.
Selon les Nations unies, pas moins de 1 060 intervenants du secteur de la santé ont été tués ces 18 derniers mois, depuis le début de l’offensive israélienne à Gaza, en représailles au pogrom commis par le Hamas le 7 octobre, au cours duquel près de 1 200 personnes ont été tuées et 251 ont été prises en otage par des terroristes.
L’armée israélienne affirme que les membres du Hamas opèrent régulièrement depuis l’intérieur des installations médicales.
Le 18 mars dernier, soit cinq jours avant l’incident dans le quartier de Tel Sultan, Israël avait repris les bombardements sur Gaza avant de lancer une nouvelle offensive terrestre, rompant ainsi un cessez-le-feu de près de deux mois dans la guerre contre le Hamas.
Selon les termes de l’accord de cessez-le-feu du 19 janvier dernier, les parties auraient dû commencer à négocier la deuxième phase quelques semaines après le début de la première, ce que le Premier ministre Benjamin Netanyahu a refusé de faire, disant que la guerre ne se terminerait pas tant que les capacités gouvernementales et militaires du Hamas n’auraient pas été totalement anéanties. Entre-temps, le Hamas a rejeté plusieurs offres de prolongation de la première phase tout en continuant à libérer les otages au compte-gouttes.
L’équipe du Times of Israel a contribué à cet article.