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Interview

Sortie simultanée du nouveau film de Charlie Kaufman et de son premier roman

Avec "Je veux juste en finir" disponible sur Netflix depuis le 4 septembre et son premier livre "Antkind" paru en juillet, le cinéaste est plus drôle et surréaliste que jamais

  • Charlie Kaufman répond aux questions des journalistes lors d'une conférence de presse autour de son film "Synecdoche, New York", présenté au 61e festival de Cannes, le 23 mai 2008. (AP Photo/Francois Mori)
    Charlie Kaufman répond aux questions des journalistes lors d'une conférence de presse autour de son film "Synecdoche, New York", présenté au 61e festival de Cannes, le 23 mai 2008. (AP Photo/Francois Mori)
  • Les réalisateurs Duke Johnson et Charlie Kaufman prennent la pose à New York pour la promotion de leur film, "Anomalisa", le 30 novembre 2015. (AP images)
    Les réalisateurs Duke Johnson et Charlie Kaufman prennent la pose à New York pour la promotion de leur film, "Anomalisa", le 30 novembre 2015. (AP images)
  • Les scénaristes Charlie Kaufman, Michel Gondry et Pierre Bismuth avec leur Oscar du meilleur scénario original pour "Eternal Sunshine of the Spotless Mind", le 27 février 2005, à Los Angeles. (AP Photo/Reed Saxon)
    Les scénaristes Charlie Kaufman, Michel Gondry et Pierre Bismuth avec leur Oscar du meilleur scénario original pour "Eternal Sunshine of the Spotless Mind", le 27 février 2005, à Los Angeles. (AP Photo/Reed Saxon)
  • Charlie Kaufman et l'actrice Michelle Williams participe à une projection du film "Synecdoche New York" le 15 octobre 2008 à New York. (AP Photo/Evan Agostini)
    Charlie Kaufman et l'actrice Michelle Williams participe à une projection du film "Synecdoche New York" le 15 octobre 2008 à New York. (AP Photo/Evan Agostini)

Après cinq années de vaches maigres, 2020 constitue une récolte exceptionnelle pour les fans de Charlie Kaufman (peut-être l’une des grâces de l’année), avec la publication en juillet de son premier roman « Antkind » et la sortie de son film « Je veux juste en finir », en streaming sur Netflix depuis le 4 septembre.

Le film est basé sur le premier roman excentrique de l’auteur canadien Iain Reid, paru en 2017.

S’adressant au Times of Israel par téléphone depuis son appartement de Manhattan, le scénariste, producteur et réalisateur de 61 ans, lauréat d’un Oscar, déclare que malgré sa réputation de « ruiner » l’industrie du cinéma, Netflix s’est imposé comme un lieu où l’on peut aussi faire des films « plus petits et plus excentriques ».

« Je suppose que le livre est un thriller, mais le film prend du recul par rapport à cela », commente Charlie Kaufman. « Mon travail n’a pas vraiment tendance à s’inscrire dans un genre, et il m’est donc difficile de dire exactement de quoi il s’agit. »

Il se décrit à la fois comme un réaliste et un pessimiste avec des humeurs changeantes et un penchant pour l’anxiété et la dépression. Il a cependant longtemps transformé les traumatismes émotionnels en or, avec des films tels que « Adaptation », « Eternal Sunshine of the Spotless Mind », « Synecdoche, New York » et « Anomalisa ».

Ses films jouent souvent avec la mémoire et le subconscient, présentant des réalités alternatives à plusieurs niveaux et bafouant les conventions du temps linéaire. Il n’est pas surprenant que Charlie Kaufman attribue cela à une peur d’enfance.

De gauche à droite, le réalisateur américain, Charlie Kaufman, l’actrice britannique Samantha Morton, les actrices américaines Michelle Williams et Catherine Keener sur le tapis rouge pour l’avant-première du film « Synecdoche, New York » au 61e festival de Cannes, 23 mai 2008. (AP Photo/Lionel Cironneau)

« Je me souviens que lorsque j’étais très jeune, j’avais peur du temps parce que j’avais peur de mourir, et j’ai eu l’idée d’inventer une machine à remonter le temps pour pouvoir contrôler la mort », raconte-t-il.

« J’aime les choses mystérieuses comme le temps qui m’a donné l’occasion de penser différemment aux hypothèses », dit-il. « Il y a une hypothèse selon laquelle nous savons ce qu’est le temps, mais lorsqu’on me laisse analyser le temps, je n’ai aucune idée de ce qu’il est, ni même s’il existe ».

Le début de la carrière de l’artiste remonte au début des années 1990, lorsqu’il était auteur pour la série télévisée « Get a Life ». Il a fait la transition vers le cinéma d’auteur avec son premier film de 1999 « Qui veut la peau de John Malkovich », écrit par Charlie Kaufman et réalisé par Spike Jonze.

« La plupart des films ont tendance à avoir une convention qui mène à une formule, et cette formule mène à une similitude », regrette le scénariste. « Les films fonctionnent ainsi parce qu’ils sont une entreprise, mais j’ai toujours été réticent à cette idée et j’aime l’idée de raconter de nombreuses histoires [en même temps] qui sont complètement différentes mais qui, d’une certaine manière, peuvent élargir l’expérience humaine ».

Une histoire différente

Son premier roman, « Antkind », a été publié aux États-Unis au début du mois de juillet. Le projet littéraire a débuté il y a près de dix ans, lorsqu’une grande maison d’édition américaine lui a fait une proposition gagnant-gagnant : la promesse d’une forte avance de fonds pour écrire un roman sur un sujet de son choix.

« Se faire dire que l’on peut écrire n’importe quoi peut devenir intimidant, et il m’a donc fallu beaucoup de temps pour prendre la plume », explique Charlie Kaufman.

Se faire dire qu’on peut écrire n’importe quoi peut devenir intimidant et il m’a donc fallu beaucoup de temps pour prendre la plume

Mais il y avait aussi d’autres raisons créatives d’entreprendre ce projet. « J’ai accepté d’écrire ce roman parce que j’avais l’impression d’être dans une situation difficile dans ma carrière », confie l’auteur. « Après la crise financière de 2008, l’industrie cinématographique est devenue très conservatrice et tout tournait autour de films à gros budget ».

« Certaines personnes, comme les frères Coen, ont continué à faire des films [indépendants] excentriques parce qu’ils s’étaient déjà établis comme étant rentables, mais pour la plupart d’entre nous, il n’y avait pas [l’espace créatif] pour continuer à travailler », déplore-t-il.

« Antkind » est raconté par un historien/réalisateur/théoricien/critique/enseignant de classe moyenne, Balaam Rosenberg, ou B, comme l’appellent la plupart de ses amis vautours du monde de la culture.

Le nom de famille de B cause un problème ou un autre à presque tous ceux qu’il rencontre, surtout parce qu’ils supposent naturellement qu’il est juif (il ne l’est pas). B rappelle à ses lecteurs que le célèbre nazi Alfred Rosenberg était un antisémite virulent, et qu’il croit qu’il pourrait être un parent éloigné.

Les cas interminables de méprise sur son identité juive ont conduit à un certain nombre de rencontres dramatiques et inconfortables : B est victime de violences raciales et est traité d' »hébreu » par un étranger en colère qu’il rencontre dans la rue en Floride, tandis qu’un médecin qui présumait que Rosenberg était un nom juif insiste pour prendre un morceau du prépuce de B, alors comateux, pour l’opérer du nez.

« Je ne sais même pas pourquoi je donne à B ce problème particulier, où tout en lui est manifestement juif, mais il n’est pas juif », dit Charlie Kaufman en riant. « C’est juste une de ces choses qui me semblent drôles. »

Mais il confie qu’il ne passe pas beaucoup de temps à penser à sa propre identité juive.

Je reconnais que je suis juif, mais je ne me considère pas comme un écrivain juif

« Je reconnais que je suis juif, mais je ne me considère pas comme un écrivain juif », dit-il. « J’accepterais volontiers, cependant, qu’il y ait une influence juive dans mon sens de l’humour. J’ai grandi en regardant des comédiens juifs comme Woody Allen, Lenny Bruce et Mel Brooks, donc je soupçonne que mon origine juive a influencé mon écriture – mais strictement dans un sens culturel ».

Le scénariste et réalisateur Charlie Kaufman reçoit le prix du meilleur film pour « Synecdoche, New York » au festival du film indépendant Independent Spirit de Santa Monica, le 21 février 2009. (AP Photo/Chris Pizzello)

Quand B ne se bat pas contre son identité juive supposée, il est occupé à rédiger ses écrits polémiques. Nous apprenons qu’il travaille dur sur une monographie intitulée « At Last, I Am Becoming: Gender and Transformation in American Cinema ». Mais la vie de B prend une tournure dramatique soudaine à la suite d’une rencontre fortuite avec un étranger dans la rue à St. Augustine, en Floride.

Ingo Cutbirth est un « Afro-Américain » de 119 ans qui a passé 90 ans à réaliser un film qui prend trois mois à regarder. B se convainc qu’il a découvert un chef-d’œuvre d’art étranger qui va transformer radicalement son bagage culturel et faire instantanément de lui un chouchou de l’intelligentsia new-yorkaise sophistiquée.

Mais B a une préoccupation plus immédiate : l’intérêt malsain qu’il porte à son personnage public en ligne, qui lui crée une dépendance et lui apporte une anxiété et une inquiétude sans fin. En public, B s’efforce de se présenter sur les réseaux sociaux comme un homme de gauche progressiste qui se déchaîne inlassablement contre l’injustice sociale, l’intolérance raciale et l’inégalité des sexes.

Mais en privé, B est devenu un prisonnier ridicule et haineux de son propre politiquement correct. B conclut finalement que sa quête obsessionnelle pour créer l’alter ego en ligne parfait, dépourvu de toute faiblesse ou défaillance humaine, est une bataille perdue d’avance qui ne se terminera que d’une seule façon : en devenant un esclave de la culture de l’annulation (cancel culture) et du jeu de l’humiliation publique. Dans un rare moment de rage extérieure, B déclare que « nous sommes devenus une nation de moutons politiquement corrects ».

Le roman de Charlie Kaufman aborde le sujet de la politique identitaire avec une touche satirique légère et beaucoup de rires. Il y a plus de jeux de mots cérébraux, d’humour burlesque et de gags ludiques que de sérieuses prises de position polémiques.

Charlie Kaufman répond aux questions des journalistes lors d’une conférence de presse autour de son film « Synecdoche, New York », présenté au 61e festival de Cannes, le 23 mai 2008. (AP Photo/Francois Mori)

Mais l’auteur ne veut pas que son approche subversive soit mal interprétée.

« J’espère que le livre n’affirme pas que la culture américaine est devenue un carcan de la politique identitaire, car je ne le sens pas vraiment », précise-t-il avec une inquiétude évidente. « Ce personnage ne sait pas comment fonctionner dans le monde dans lequel il vit, et cette montée massive de la politique identitaire que nous connaissons [en ce moment aux États-Unis] est due à une immense injustice permanente envers les personnes qui sont en marge de la société ».

Charlie Kaufman admet qu’il est clairement préoccupé par la nature conflictuelle et chaotique de la politique américaine en ce moment où « le gouvernement et les entreprises essaient de faire avancer la machine de l’opinion publique dans une certaine direction ».

Mais en dépit de la politique, l’identité est une chose que Charlie Kaufman a toujours eu du mal à comprendre avec une quelconque clarté rationnelle.

Charlie Kaufman et l’actrice Michelle Williams participe à une projection du film « Synecdoche New York » le 15 octobre 2008 à New York. (AP Photo/Evan Agostini)

« Je ressens la même chose pour l’identité que pour le temps », indique Charlie Kaufman. Lorsque vous commencez à vous poser directement la question ‘que suis-je’, elle se désagrège et devient amorphe et ambiguë. Nous luttons toujours contre cette idée [parce que] nous n’existons pas en tant qu’entité unique, et nous sommes un organisme en mouvement constant, en évolution, dans une société qui change elle aussi constamment ».

Il n’est pas surprenant que l’intrigue de « Antkind » se déroule dans un chaos typique de Charlie Kaufman où rien n’est vraiment comme il semblait au départ. B se réveille dans un hôpital où on lui dit qu’il a passé trois mois dans le coma après un prétendu incendie, et sa mémoire est faussée.

Un certain nombre de questions suivent rapidement, jetant B – et le lecteur – dans le doute sur ce qui est réel et ce qui aurait pu être un rêve.

« Antkind » n’apporte pas de réponses définitives ; Charlie Kaufman n’est tout simplement pas ce genre d’écrivain.

« J’ai toujours pensé que le naturalisme – au cinéma comme en littérature – n’est pas une représentation naturelle de l’expérience du fait d’être en vie », indique l’artiste. « Les sujets que mon travail explore sont le monde réel, la rêverie de celui-ci est une tentative d’explorer le monde tel qu’il est réellement vécu. Ce n’est pas une tentative d’être délibérément bizarre, excentrique ou idiot ».

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