Tel Aviv : Des milliers de personnes manifestent contre l’accord de coalition
Benny Gantz a été accusé d'avoir échoué à protéger le système judiciaire et d'avoir laissé Netanyahu avoir trop de contrôle sur ce dernier, dans le cadre de l'accord de coalition
Raoul Wootliff est le correspondant parlementaire du Times of Israël
Ce sont environ 2 000 personnes qui ont manifesté sur la place Yitzhak Rabin de Tel Aviv, samedi soir, dans le cadre du mouvement de protestation dit des « drapeaux noirs » qui s’applique à dénoncer, selon ses soutiens, l’érosion de la démocratie israélienne sous l’autorité du Premier ministre Benjamin Netanyahu.
Les intervenants ont affirmé que le nouvel accord de coalition menaçait les lois fondamentales israéliennes, quasi-constitutionnelles, et détruisait l’autorité de la Knesset.
Les manifestants ont adhéré aux directives de distanciation sociale mises en place dans le cadre de la pandémie du coronavirus par le ministère de la Santé en se tenant à l’écart de deux mètres les uns des autres.
C’est le deuxième mouvement de protestation de ce type en moins d’une semaine.
Plusieurs centaines de personnes se sont aussi rassemblées à Kiryat Tivon, un faubourg de Haïfa.
Le mouvement du « drapeau noir » a hérité de son nom en raison des drapeaux noirs accrochés par les manifestants à leurs véhicules et à leurs habitations et qui sont, disent-ils, autant de symboles du danger que la gouvernance continue de Netanyahu fait peser sur la démocratie israélienne.

Les manifestants avaient dans un premier temps vivement recommandé au parti Kakhol lavan et à son leader, Benny Gantz, de refuser d’entrer dans une coalition dirigée par le Premier ministre au vu des trois mises en examen de ce dernier pour corruption – ou tout du moins de l’empêcher d’obtenir une position de pouvoir sur le système judiciaire au sein du nouveau gouvernement.
A LIRE : Etat d’Israël vs. Netanyahu : détails de l’acte d’accusation du Premier ministre
L’organisatrice Shikma Schwartzman a déclaré qu’un « gouvernement d’unité ne doit pas impliquer un accord de coalition qui vienne piétiner les lois fondamentales israéliennes. Si vous décidez d’aller vers l’unité, vous devez avoir au préalable bâti un mur en béton entre l’homme qui est accusé d’activités criminelles et le système judiciaire ».
Les critiques ont accusé Gantz d’avoir échoué à protéger le système judiciaire et d’avoir laissé Netanyahu avoir trop de contrôle sur ce dernier dans le cadre de l’accord de coalition qui a été signé cette semaine.
Selon les termes de l’accord, Netanyahu a un droit de veto concernant les nominations dans la hiérarchie des procureurs d’Etat et il peut s’opposer à toute autre désignation de hauts-responsables au moins pendant les six premiers mois de la nouvelle coalition.
Le Likud s’est également assuré une majorité de droite au sein de la commission des Nominations judiciaires, qui désigne les juges, en comptant le député de Derech Eretz, Zvi Hauser — allié de Gantz et conservateur de droite qui, dans le passé, a également été chef de cabinet sous Netanyahu. Même s’il ne soutiendra probablement pas l’activisme judiciaire, Hauser a critiqué les attaques contre les tribunaux et il est considéré par Gantz et ses alliés comme un défenseur de l’indépendance des juges. Avi Nissenkorn, de Kakhol lavan, devrait diriger le ministère de la Justice – en remplacement d’Amir Ohana, du Likud, qui a pris pour habitude de provoquer et d’attaquer les tribunaux et les procureurs d’Etat.

Prenant la parole devant les manifestants, Carmi Gilon, ex-dirigeant de l’agence de sécurité intérieure du Shin Bet, qui se trouvait à la tête de l’organisation lors de l’assassinat de feu le Premier ministre Yitzhak Rabin — qui avait eu lieu sur cette même place foulée samedi soir par les participants au rassemblement – a indiqué que Rabin, plus que quiconque, avait « endossé la responsabilité de ses actions et de ses décisions » tandis que Netanyahu est « le premier et le seul chef de gouvernement israélien qui n’a jamais répondu de ses actions et de ses décisions ».
Gilon a ajouté que la Haute-cour de justice « est le dernier défenseur de la démocratie israélienne avant qu’elle ne vacille totalement », clamant que ses magistrats subissaient des menaces permanentes vis-à-vis de leur sécurité, « des menaces nées devant le tribunal de Benjamin Netanyahu et qui ouvrent la voie à un autre assassinat politique en Israël ».
Il a poursuivi en disant que l’accord de coalition « détruit la Knesset et offre son autorité à un gouvernement de 52 membres ».
Selon l’accord, la Knesset perd le pouvoir de déchoir un Premier ministre de sa fonction ; elle perd la capacité de gérer le portefeuille dans la mesure où elle ne peut plus retenir le budget de l’Etat et, au cours des six premiers mois du gouvernement au moins, elle perd, dans les faits, son pouvoir législatif dans la mesure où aucun texte ne sera adopté à moins que Netanyahu et Gantz ne s’accordent à leur sujet.
L’ex-magistrat à la Cour suprême, Elyakim Rubinstein, a qualifié jeudi l’accord de coalition de « choquant pour un juriste, parce qu’il contient de nombreuses monstruosités légales. Quelqu’un qui respecte les lois fondamentales, qui voit en elles un texte constitutionnel, ne peut pas apprécier cet accord. Les lois fondamentales y sont piétinées comme si elles étaient un vulgaire décret sur les eaux usées adopté par la municipalité de Raanana ».

Notant qu’il avait averti Netanyahu en 1995 – l’homme était alors chef de l’opposition – de « cesser ses discours d’incitations à la violence » contre Rabin qui étaient susceptibles de mener à une tentative d’assassinat du Premier ministre, Gilon a dit que « vous ne m’avez pas écouté alors, vous n’avez rien changé dans vos incitations ».
Il a ensuite ajouté avec un ton emprunt de solennité : « Aujourd’hui, je vous le demande encore : Ecoutez-moi et cessez votre campagne d’incitations à la violence contre les juges. Si un magistrat de la Cour suprême est assassiné en Israël, vos mains seront gorgées de son sang ».
Netanyahu est très souvent blâmé pour avoir contribué au climat politique qui avait débouché sur l’assassinat de Rabin, en raison de sa rhétorique féroce. Dans les semaines qui avaient précédé l’assassinat, Netanyahu et d’autres hauts-responsables du Likud avaient assisté à un rassemblement politique de droite à Jérusalem où les manifestants avaient qualifié Rabin de « traître », de « nazi » et « d’assassin » en raison de la signature d’un accord de paix avec les Palestiniens au début de cette année-là.
Selon ses critiques, Netanyahu – qui se tenait avec d’autres politiciens de droite sur un balcon de la place Sion alors que les manifestants défilaient dans la rue, et qui avait également pris part à un mouvement de protestation à Raanana où les manifestants avaient porté un cercueil, juste derrière lui – avait autorisé la banalisation de la rhétorique incendiaire qui avait abouti au meurtre de Rabin.
Netanyahu a nié ces accusations, disant qu’elles étaient « des tentatives de fausser la vérité historique ».
Un rassemblement similaire des drapeaux noirs avait eu lieu dimanche dernier en présence de plusieurs milliers de personnes. S’exprimant auprès de la foule, les leaders de Yesh Atid et Telem, Yair Lapid et Moshe Yaalon – tous deux anciens alliés de Gantz – avaient attaqué l’ex-chef d’Etat-major et Netanyahu, Lapid affirmant que Gantz faisait dorénavant partie du problème.
« Ils se battent pour entrer au gouvernement », avait-il dit en évoquant celui qui était son partenaire. « Ils se racontent des histoires. Ils disent : ‘On va se battre de l’intérieur’. Mais vous ne vous battrez pas de l’intérieur. Vous ne combattrez pas la corruption de l’intérieur. Si vous êtes à l’intérieur, vous faites partie de cette corruption ».

« Le gouvernement qui est actuellement en cours de formation n’est pas un gouvernement d’urgence et ce n’est pas un gouvernement d’unité nationale. Il s’agit du cinquième gouvernement Netanyahu. Lors des négociations, le sujet du coronavirus n’a même pas été abordé. Ils n’ont pas parlé de l’économie. Ils ont parlé d’eux-mêmes. De leur travail. Ceux qui ont brisé l’alliance Kakhol lavan, ceux qui nous ont trompés, vont se placer sous l’autorité d’un homme qui a été inculpé pour fraude. Ceux qui ont violé notre confiance vont se placer sous l’autorité d’un homme qui a été inculpé pour abus de confiance. Ceux qui ont été corrompus en se voyant offrir des emplois et des avantages vont se placer sous l’autorité d’un homme qui a été inculpé pour pots-de-vin », avait-il continué.
Netanyahu doit répondre de pots-de-vin, de fraude et d’abus de confiance dans trois dossiers pour corruption. Son procès aurait dû commencer le 17 mars, mais la majorité des tribunaux ayant fermé en raison de la pandémie du coronavirus, les audiences devraient débuter au mois de mai. L’administration judiciaire a fait savoir que suite à un allègement des restrictions imposées pour entraver la pandémie, elle reverrait à la hausse ses activités à partir du 3 mai – ce qui signifie qu’il n’y a plus d’obstacle au lancement du procès de Netanyahu à la date qui a été programmée, le 24 mai.
D’autres rassemblements organisés par le mouvement des Drapeaux noirs ont vu les manifestants rester dans leurs voitures par souci du respect des directives sur la distanciation sociale.

Vendredi, les ministres auraient tenté de limiter l’ampleur des manifestations dans le cadre des limitations dues au coronavirus mais ils auraient fait face à l’opposition du procureur-général Avichai Mandelblit.
Lors de la réunion du cabinet de vendredi, au cours de laquelle les ministres ont convenu de réduire encore les restrictions appliquées aux entreprises, le ministre de la Sécurité intérieure Gilad Erdan a clamé que la police était dans l’incapacité de faire respecter les directives de distanciation sociale dans les grands mouvements de protestation, affirmant qu’il était donc nécessaire de limiter le nombre de personnes présentes dans les manifestations, selon des informations parues dans les médias en hébreu.
« La police n’a aucun moyen de contrôler pleinement les manifestations regroupant des milliers de personnes, en faisant par exemple respecter la distance de deux mètres entre les groupes », aurait-il dit, des propos cités par le site Walla.
Erdan, dont le ministère supervise les forces de l’ordre, a indiqué que les mesures générales limitant les manifestations devaient être définies et il a appelé le cabinet à voter leur approbation.
« Je demande que le gouvernement donne pour instruction au ministère de la Justice de déterminer les règles policières de coordination et d’approbation des mouvements de protestation – notamment en révisant à la baisse le nombre de participants – de manière à ce qu’il soit possible de faire appliquer les directives du ministère de la Santé », aurait-il dit. « La situation, actuellement, est que nous n’avons aucun moyen de limiter la taille d’une manifestation au préalable ».

Le positionnement d’Erdan a été soutenu par des ministres qui n’ont pas été nommés par ailleurs, mais des informations ont fait savoir que Mandelblit s’était opposé aux limitations sur les mouvements de protestation à travers les ordonnances d’urgence utilisées par le cabinet pour imposer des restrictions à forte portée dans le but d’éviter la propagation du virus.
« Si vous le voulez, apportez cette idée sous la forme d’une législation à la Knesset », aurait ainsi dit Mandelblit.
Les manifestations sont l’une des quelques activités publiques permises par les règles de confinement strictes mises en oeuvre dans le pays. Partisans de droite et de gauche ont régulièrement organisé des rassemblements – notamment en soutien et contre Netanyahu – dont certains ont attiré quelques milliers de manifestants.