Tsahal publie les conclusions de l’enquête sur la mort accidentelle des trois otages
Tout en admettant que "l'armée a failli à sa mission" et que les tirs auraient pu être évités, le chef d'état-major affirme que les soldats "ont fait ce qu'il fallait selon leur analyse de l'événement"
Emanuel Fabian est le correspondant militaire du Times of Israël.
L’armée israélienne a publié jeudi les conclusions de son enquête sur la mort accidentelle de trois otages israéliens par des soldats de Tsahal dans le quartier de Shejaiya, à Gaza City, plus tôt ce mois-ci.
L’armée indique que les forces au sol n’avaient « pas suffisamment conscience » de la possibilité de rencontrer des otages du Hamas en dehors que dans une opération de sauvetage, et malgré le fait que l’armée disposait de renseignements suggérant que des otages étaient dans le secteur.
Les victimes sont Yotam Haïm, un batteur de Heavy Metal de 28 ans, et Samir al-Talalqa, un Bédouin de 25 ans, tous deux enlevés au kibboutz Nir Am lors de l’attaque meurtrière du groupe terroriste islamiste palestinien du Hamas dans le sud d’Israël le 7 octobre.
Le troisième otage tué est Alon Lulu Shamriz, 26 ans, habitant du kibboutz Kfar Aza.
L’enquête a révélé qu’au cours de combats intenses à Shejaiya le 15 décembre, un soldat du 17e bataillon de la Brigade Bislamach a ouvert le feu sur trois individus qu’il avait incorrectement identifiés comme une menace, tuant deux d’entre eux, tandis que le troisième fuyait vers un bâtiment voisin.
Les commandants sur place ont appelé les soldats à cesser le feu pour que le troisième individu puisse être identifié. Environ 15 minutes plus tard, le commandant du bataillon a entendu quelqu’un crier depuis le bâtiment « Au secours » et « Ils tirent sur moi » en hébreu, et a de nouveau ordonné aux troupes de cesser le feu, tout en criant à l’adresse de l’individu : « Viens vers moi ».
Le troisième homme est sorti du bâtiment en direction des troupes, mais deux soldats qui, selon l’enquête, n’ont pas entendu l’ordre du commandant en raison du bruit d’un char, ont tiré et tué l’otage.
L’armée israélienne indique que, selon son analyse et les images aériennes, les trois otages étaient torse nu et l’un d’entre eux agitait un drapeau blanc improvisé lorsqu’ils s’approchaient initialement des forces. L’enquête indique que la position à partir de laquelle le premier soldat a ouvert le feu sur les otages lui donnait une vision limitée du trio.
Après les tirs, les commandants sur place ont suspecté que les hommes étaient des otages et leurs corps ont été transportés en Israël pour identification.
Avant les faits, le 10 décembre, des troupes avaient trouvé une note à côté d’une entrée de tunnel à Shejaiya, avec l’inscription « Au secours » en hébreu. À côté de la note se trouvait une carte d’identité appartenant à un membre du Hamas. La note a fait l’objet d’un examen, mais l’enquête indique qu’il n’y avait aucune information la liant à la présence d’otages dans la région de Shejaiya, et les troupes ont évalué qu’il s’agissait d’une tentative du Hamas de les attirer dans une embuscade.
Toujours le 10 décembre, des troupes de l’unité de reconnaissance de la Brigade Golani opérant à Shejaiya ont perquisitionné plusieurs bâtiments pour localiser des terroristes et des armes du Hamas. Un chien de l’unité canine Oketz a été envoyé dans l’un des bâtiments, ce qui a déclenché un échange de tirs entre des terroristes du Hamas et les soldats de Golani.
Les soldats de Golani ont riposté, tuant au moins un terroriste du Hamas. Le chien a également été tué dans la bataille.
Des soldats ont entendu ces appels, « otages » et « au secours! » criés en hébreu. Mais ils ont cru à un stratagème de terroristes du Hamas pour leur tendre un piège dans cet immeuble situé à Shejaiya, dans l’est de la ville de Gaza.
Pensant ce bâtiment piégé par des explosifs, les soldats en sont sortis.
“Certains des soldats ont entendu les cris mais ont soupçonné qu’il s’agissait d’une tentative des terroristes de faire entrer les forces à l’intérieur du bâtiment pour leur nuire, comme cela s’était produit par le passé”, indique l’enquête.
L’armée israélienne indique que les forces ont quitté le bâtiment et ont ordonné à un hélicoptère d’attaque et à des chars de frapper le bâtiment. Lors des frappes, au moins cinq membres du Hamas ont été tués.
Ce n’est que le 18 décembre, lorsque les troupes ont examiné le bâtiment où s’était déroulé l’échange de tirs et ont récupéré la caméra du chien Oketz, que l’armée a découvert qu’elle avait enregistré les cris à l’aide des trois otages. Les trois hommes n’apparaissent pas dans la vidéo, mais leurs voix ont été enregistrées.
« À la fin de la bataille, après que les terroristes détenant les otages ont été tués, les otages ont probablement fui le bâtiment », indique l’enquête.
La veille de l’incident, le 14 décembre, un drone de l’armée avait identifié des inscriptions sur un bâtiment à 200m de l’endroit où les trois otages ont été tués : « SOS » et « à l’aide, trois otages ».
« Près du bâtiment, des barils bleus que l’on trouve couramment dans les zones piégées, auxquelles les forces ont déjà été confrontées dans la région de Shejaiya, ont été repérés, ce qui a laissé pensé à une embuscade », indique l’enquête.
L’armée israélienne indique que l’enquête révèle que les commandants impliqués avaient des informations sur la présence d’otages israéliens dans la région de Shejaiya, « et ont même pris des mesures pour éviter des frappes sur des endroits susceptibles d’abriter des otages à l’intérieur. »
« Dans ce cas, il n’y avait pas d’informations sur les deux bâtiments où se trouvaient les otages. De plus, dans le cadre des évaluations sur la question, des brigades de forces spéciales étaient préparées dans chaque zone de combat, immédiatement disponibles pour intervenir en cas de découverte d’un bâtiment avec des otages à l’intérieur », précise-t-elle.
L’enquête ajoute que « les forces n’avaient pas suffisamment conscience de la possibilité que des otages parviennent à rejoindre des forces israéliennes, ou que les forces rencontrent des otages lors de la fouille de bâtiments dans le cadre du combat et non dans le cadre d’une opération spéciale de libération d’otages. »
« Les soldats de Tsahal impliqués dans l’incident ont vécu des situations de combat complexes dans les jours précédant l’incident et étaient en état d’alerte élevé face à une menace. Au cours des combats, ils ont été confrontées à des embuscades de l’ennemi et des tentatives de les attirer dans des tunnels et des bâtiments piégés d’explosifs », conclut l’enquête.
« L’armée a failli à sa mission de secourir les otages », a indiqué dans un communiqué le chef d’état-major de l’armée israélienne, le général Herzi Halevi. Les tirs sur les trois otages « auraient pu être évités », a-t-il ajouté.
« L’ensemble de la chaîne de commandement se sent responsable de cet événement difficile, regrette ce résultat et partage le chagrin des familles des trois otages », déclare Halevi dans sa conclusion de l’enquête.
Halevi affirme que le tir sur les otages « aurait pu être évité » mais qu' »il n’y avait aucune malveillance dans ces événements, et les soldats ont fait ce qu’il fallait selon leur analyse de l’événement à ce moment-là. »
« Le tir sur les otages n’aurait pas dû se produire, ce tir ne correspondait pas au risque et à la situation. Cependant, il a été effectué dans des circonstances complexes, et dans des conditions de combat intenses sous une menace prolongée », dit-il.
Le chef d’état-major souligne également « l’importance capitale du respect des procédures opérationnelles standard. »
« Dans une situation où il n’y a pas de menace immédiate et où l’identification n’est pas clairement ennemie, il faut un moment d’examen avant de tirer, en fonction des circonstances. Cette action est nécessaire pour éviter, entre autres choses, des incidents de tirs amis. Dans ce cas, les trois otages ne bougeaient pas de manière menaçante et tenaient un drapeau blanc ; il aurait été donc juste de confirmer l’identification avant de tirer. La pression et l’environnement opérationnel ont rendu difficile la mise en œuvre de ces aspects par les soldats », déclare Halevi.
« Nous, les commandants, devons nous assurer que les instructions opérationnelles sont claires, et que le fonctionnement des forces sur le terrain prend en compte des aspects supplémentaires, qui s’expriment dans l’application du jugement des soldats et des commandants sur le terrain. Les procédures opérationnelles standard sont nécessaires, et elles sont également destinées à nous protéger, afin que nous ne tuions pas nos propres forces. Elles définissent et influent sur des décisions fatidiques, comme cela s’est produit dans cet événement », ajoute-t-il.
Halevi demande également à tous les commandants de passer en revue l’enquête et de sensibiliser leurs troupes aux otages, y compris les emplacements possibles, leurs photographies et d’autres découvertes les concernant.
Le chef du gouvernement, Benjamin Netanyahu, avait dit regretter « une insupportable tragédie », plongeant « tout l’Etat d’Israël dans le deuil ».
Les résultats de l’enquête ont été communiquées aux familles Haim, Talalka et Shamriz, a précisé l’armée.
L’AFP a contribué à cet article.