Un rabbin banni de l’université de Cleveland pour activisme anti-palestinien
Le rabbin Alexander Popivker est accusé de harcèlement envers des étudiants. Sur une vidéo, on le voit dessiner une croix gammée sur un keffieh

JTA – Pendant des jours, policiers et étudiants de l’Université d’État de Cleveland ont cherché à savoir qui avait volé la banderole d’un groupe de défense des droits des Palestiniens sur le campus.
Cette banderole, appartenant au groupe étudiant Palestinian Human Rights Organization, disait « L’Université d’État de Cleveland soutient les droits des Palestiniens », avec des dessins des contours d’Israël, de la Cisjordanie et de la bande de Gaza arborant tous un drapeau palestinien.
Une colombe tenant dans son bec une branche d’olivier complétait l’image.
Et finalement, le 19 janvier, la police a inculpé son principal suspect : un rabbin orthodoxe du quartier, dont la présence sur le campus n’était devenue que trop familière.
Quelques jours plus tard, l’homme avouait le vol sur Instagram, disant avoir dérobé la banderole du centre étudiant « par désobéissance civile ».
« Cette incitation à l’anéantissement d’Israël n’aurait jamais dû être autorisée par l’Université d’État de Cleveland », a écrit sur les réseaux sociaux le rabbin Alexander Popivker, 46 ans, résident de Cleveland Heights, à une dizaine de kilomètres de l’université. Sa publication était accompagnée d’une photo de la banderole volée.
Il ne s’agit pas, loin s’en faut, de la première altercation de Popivker avec des étudiants de l’université.
Homme à tout faire et rabbin à temps partiel pour une communauté juive russophone, Popivker s’est fait connaître par l’ardeur de son activisme pro-israélien et son omniprésence.
On l’a souvent vu contre-manifester lors de manifestations pro-palestiniennes, ou manifester lui-même, avec sa femme Sarah, chargée de filmer les interactions houleuses.
Popivker dit être un ancien émissaire Habad-Loubavitch à Naples (Italie), mais un représentant du mouvement Habad a déclaré à la JTA n’en avoir aucune trace.

Un des thèmes récurrents de ses manifestations, et plus largement de sa vision du monde, comme il l’a expliqué à la Jewish Telegraphic Agency : « Les Palestiniens et les nazis sont les mêmes. »
Chaque mois, ces douze derniers mois, Popivker a effectué des déplacements aux quatre coins de l’État de Cleveland, parfois accompagné d’étudiants ou de membres de la communauté, pour manifester publiquement autour de cette idée, parfois à l’aide d’accessoires portant une croix gammée.
Au tout début, l’université lui a accordé une protection policière, estimant que ses incursions sur le campus étaient protégées par les lois sur la liberté d’expression.
Mais il s’est alors mis à s’en prendre à des étudiants, en ligne et sur place, dont il pensait qu’ils avaient subi un « lavage de cerveau » du fait des messages antisionistes.
Victime de l’une de ces campagnes en ligne, une étudiante en droit, soutenue par un éminent doyen juif de l’université, a porté plainte et demandé une injonction d’éloignement à l’encontre de Popivker, l’automne dernier.
Popivker a rapidement violé l’ordonnance d’éloignement en retournant sur le campus.
Fin janvier, les autorités universitaires en ont eu assez.
Elles ont arrêté Popivker et, après une audience, l’ont déclaré persona non grata sur le campus, lui interdisant l’accès à l’université pendant une durée minimale de deux ans.
Popivker a également été banni de l’Université Case Western Reserve, où il avait été actif avant de se concentrer sur l’État de Cleveland.
Alors que, dans les universités américaines, les défenseurs pro-israéliens affirment que les étudiants juifs sont régulièrement en butte à de l’antisémitisme pour leur sionisme – réel ou supposé -, voici le cas contraire : celui d’un juif, sioniste déclaré, sans affiliation aucune avec les établissements au sein desquels il fait de l’activisme, accusé de harceler ceux qu’il estime être des menaces pour Israël, y compris des étudiants avec lesquels il n’a eu aucun contact direct.
La section de l’Ohio du Council on American-Islamic Relations, qui s’était prononcée à plusieurs reprises à l’encontre de Popivker, a félicité la police de l’université de l’avoir interpellé.
Une pétition soutenue par cette organisation, intitulée « Stop au harcèlement sur le campus » et qui mentionnait le nom de Popivker, avait recueilli près de 700 signatures.
Les organisations juives, et notamment celles spécialisées dans la défense des droits civils, sont moins claires sur la question.
Hillel International a refusé de commenter l’affaire et les directeurs du Comité juif américain régional de Cleveland et des bureaux du Conseil des relations avec la communauté juive n’ont pas répondu aux demandes de commentaires.
Jewish on Campus, organisation nationale de surveillance de l’antisémitisme en milieu universitaire qui suit ce qu’il qualifie de harcèlement antisioniste des étudiants juifs sur les réseaux sociaux, n’a pas davantage souhaité faire de commentaire.
Jared Isaacson, directeur exécutif de Cleveland Hillel, a déclaré à la Jewish Telegraphic Agency que son organisation n’était « pas très au fait de toute cette histoire ».
Cleveland Hillel coordonne pourtant la vie étudiante juive dans plusieurs universités, dont la Cleveland State et la Case Western, où se trouve son centre étudiant, ainsi que dans un autre établissement au moins où Popivker a été actif.

Mais, a ajouté Isaacson, « Cleveland Hillel est profondément engagé dans la lutte contre l’antisémitisme et la haine sous toutes ses formes. Et nous pensons qu’aucun étudiant – juif ou non – ne devrait se sentir menacé ou intimidé en raison de son identité. »
Popivker assure avoir le soutien du Lawfare Project, à New York, qui se présente comme un « fonds international juridique pro-israélien ».
Il a dit à la JTA que l’organisation « suivait les plaintes le concernant et lui prodiguait des conseils ».
Dans un communiqué, le Lawfare Project a qualifié Popivker de « militant juif des droits civiques », sans toutefois confirmer lui apporter une quelconque forme de soutien, hormis « un examen de la question ».
Cette organisation, qui intente fréquemment des poursuites au nom des étudiants qui se disent victimes d’antisémitisme sur leur campus, a déclaré à la JTA que l’ordonnance d’éloignement témoignait de l’existence de « deux poids, deux mesures […], alarmants pour les personnes impliquées dans la lutte contre l’antisémitisme ».
Lawfare a récemment conclu un accord avec l’Université d’État de San Francisco, après des années de procès, à propos de cas de harcèlement antisémite sur le campus issus de militants antisionistes qui avaient perturbé un événement autour du maire de Jérusalem.
L’accord oblige l’université à nommer un coordinateur de la vie étudiante juive.
Popivker va avoir du mal à contester les faits qui lui sont reprochés.
Il a en effet fait preuve d’un « comportement préjudiciable à la communauté universitaire » en volant la banderole palestinienne et en déployant un drapeau israélien sur un terrain appartenant à l’université, a écrit Matthew Kibbon, vice-président des services généraux de l’Université d’État de Cleveland, dans la décision de l’université de le déclarer persona non grata.
Le rabbin « n’est pas banni pour le contenu de son discours, mais pour la façon dont il a choisi de l’exprimer », a déclaré un porte-parole de l’Université d’État de Cleveland à la JTA dans un communiqué.
L’université a également fourni à la JTA une liste des dernières interactions de la police du campus avec Popivker, dont celle du 11 janvier dernier, concernant le vol de la banderole, celle du 18 janvier, lorsque la police lui a signifié que l’ordonnance d’éloignement dont bénéficiait l’étudiant ne lui permettait pas de se trouver sur le campus ou encore celle du 25 janvier, qui lui a valu d’être interpellé.
Popivker estime avoir parlé au nom d’Israël sur un campus doté d’une forte présence militante pro-palestinienne, mais d’un petit nombre d’étudiants juifs.
(Il y a moins de 200 étudiants juifs de premier cycle sur le campus de l’Université d’État de Cleveland, pour un total de 11 784 étudiants, selon les données de Hillel International.)
Il souhaite informer, dit-il, à la lumière de son statut de réfugié juif d’ex-Union soviétique.
Et il pense être la cible de militants pro-palestiniens, qui, assure-t-il, s’en sont pris à sa kippa et au drapeau israélien.
« Je n’ai jamais attaqué personne. Je n’ai jamais levé la main sur personne », a-t-il déclaré à la Jewish Telegraphic Agency, se disant inspiré par les icônes des droits civiques Martin Luther King Jr. et John Lewis.
« Je me rends dans des universités publiques. Je reste dans les zones permettant la libre expression. Et je sensibilise les gens à ce qui se passe. Je me suis lié d’amitié avec certains étudiants qui viennent étudier avec moi régulièrement. »
L’un de ces étudiants, Tyler Jarosz, a déclaré à la JTA s’être lié avec Popivker après un de ses plaidoyers en faveur d’Israël, sur le campus.
Peu informé sur les Juifs ou Israël – « je pensais qu’Israël était un État totalement pacifique », explique Jarosz – l’étudiant est séduit par les manifestations de Popivker, qui, de son propre aveu, lui apprennent beaucoup de choses.
« Il ne m’a pas donné de leçon, comme le ferait un professeur », explique Jarosz.
« Il était très attachant. Il posait des questions. »
Jarosz dit n’avoir jamais vu le rabbin harceler qui que ce soit sur le campus, mais avoir toujours fait en sorte d’inviter les gens à débattre posément, en dépit de ce qu’il qualifie de harcèlement de la part d’étudiants musulmans.
Il se souvient du jour où Popivker est venu sur le campus pour commémorer l’indépendance d’Israël, en offrant des falafels aux étudiants. Il affirme avoir vu un étudiant lui jeter le falafel au visage et menacer de le « violer ».
D’autres étudiants racontent une histoire différente.
Un des journaux du campus, The Cauldron, indique que le rabbin avait abordé des étudiants visiblement musulmans et arabes, sur le campus, exigeant de connaître leur point de vue sur Israël.
À cause de Popivker, « j’ai peur de venir sur le campus », lui déclare un étudiant membre du groupe de l’Organisation palestinienne des droits de l’homme.
« Je suis constamment sur les nerfs et je prends le chemin le plus long pour aller en classe afin de l’éviter. »
« On dirait qu’il cherche les Palestiniens », a confié n autre étudiant déclare à un autre journal du campus.
Le président de la section étudiante de la National Lawyers Guild de la faculté de droit a déclaré au Cleveland Jewish News que les tentatives de son organisation pour inviter Popivker à débattre posément avaient échoué lorsqu’il avait commencé à utiliser « des insultes raciales et un langage injurieux ».
Sur les images d’une manifestation de Popivker, on voit le rabbin dessiner une croix gammée avec un marqueur Sharpie sur ce que The Cauldron a indiqué être un keffieh, ce foulard porté par les hommes arabes, mais dont Popivker a dit à la JTA qu’il s’agissait d’un foulard palestinien dépourvu de toute signification spirituelle.
Selon cette même source d’information, on l’entend également crier les mots « les Palestiniens sont des nazis » et « Les Palestiniens sont le Ku Klux Klan » et montrer des images comparant les Palestiniens au nazis.
Les vidéos publiées par Popivker sur Instagram le montrent en train d’aborder des étudiants pour parler d’Israël, qualifiant certains d’entre eux de « terroristes » lorsqu’ils s’en prennent à ses drapeaux.
L’une des légendes de la vidéo mentionne « un étudiant d’apparence moyen-orientale ».

L’Université d’État de Cleveland a renforcé ses mesures de sécurité en raison des activités de Popivker, en fermant à clef certains accès au campus.
Mais une grande partie de ses activités se sont faites en ligne.
L’automne dernier, Popivker s’intéresse à une étudiante en droit, impliquée dans des groupes de défense des droits des Palestiniens sur le campus, qui a publié des contenus anti-israéliens en ligne, et notamment la photo d’un enfant qui, aux dires des groupes pro-palestiniens, a été victime d’un bombardement israélien, ou encore le message d’un groupe socialiste disant : « De la rivière à la mer, La Palestine sera libre. »
Il est prouvé que Popivker a envoyé un courriel et appelé l’employeur de l’étudiante, ainsi que la faculté de droit, dans l’espoir qu’elle se fasse rappeler à l’ordre, écrivant entre autres qu’elle était une « porte-parole du terrorisme et du racisme contre les Juifs ».
Il publie également des messages sur Instagram qui la prennent pour cible.
En réponse, l’étudiante demande et obtient une ordonnance d’éloignement à son encontre, ce que Popivker estime injustifié dans la mesure où il assure ne jamais avoir rencontré l’étudiante en personne.
Dans sa déclaration à la JTA, le Lawfare Project évoque cet épisode, affirmant que la décision de Popivker d’adresser un courriel à l’école ainsi qu’à l’employeur de l’élève au sujet de ce qu’il pense être des publications antisémites sur les réseaux sociaux est « un outil courant des militants des droits civils pour lutter contre les discriminations ».
Popivker demande alors à Jarosz de rédiger une lettre attestant de sa moralité en vue de l’audience pour l’ordonnance d’éloignement, ce qu’il fait.
« Alex comprend et respecte tout le monde, indépendamment de son milieu », écrit l’étudiant.
« J’ai personnellement été témoin de ce qui a été fait pour le diaboliser. »
Quelques semaines plus tard, Jarosz déclare à la JTA que toute cette affaire judiciaire est « bidon », mais précise ne pas être au courant de l’existence des courriels, enregistrements des réseaux sociaux et transcriptions téléphoniques examinés par la JTA attestant que Popivker a contacté l’employeur et l’établissement universitaire de l’étudiante.
Lors de l’audience chargée d’examiner la demande d’ordonnance d’éloignement, dont Popivker a envoyé une transcription à la JTA, un des témoins clés, favorable à l’ordonnance, est le doyen de la faculté de droit, Lee Fisher, ex-procureur général et vice-gouverneur de l’Ohio.
Fisher est également juif.
« Nous partageons la haine de l’antisémitisme », a dit Fisher à Popivker lors de l’audience, selon la transcription.
Le doyen s’est également identifié comme « pro-Israël, absolument ».
Mais Fisher a clairement fait savoir qu’il dénonçait les activités de Popivker sur le campus.
Interrogé par Popivker sur un message que l’étudiante avait publié sur les réseaux sociaux, Fisher a répondu que « même si elle a fait une erreur en la publiant, cela ne justifie pas le genre de réaction que je crois que vous avez eue. »
Fisher avait déjà rencontré Popivker auparavant, lors d’une session animée par un rabbin, ami de Popivker.
« Je lui ai confié mon inquiétude pour la santé et la sécurité de nos étudiants », a déclaré le doyen lors de l’audience.
Il aurait supplié Popivker de ne plus intervenir sur le campus, mais le rabbin aurait refusé.
Selon le rabbin, c’est cette injonction d’éloignement initiale qu’il conteste sur le fond.
Il y voit la preuve qu’ils « étaient de mèche avec les Palestiniens » pour « dissimuler le fait qu’ils ont un groupe antisémite qui propage ouvertement un discours favorable à la destruction d’Israël ».
Popivker se rend sur le campus à plusieurs reprises après avoir reçu l’ordre d’éloignement, mais est autorisé à rester sur le campus. Une seule fois, il reçoit un avertissement de la police du campus, assure Jarosz.
Les choses en restent là jusqu’à ce que le rabbin vole la banderole du groupe d’étudiants palestiniens afin, dit-il, « de mettre en lumière cet antisémitisme ».
Popivker décrit à la JTA comment il est entré dans le bâtiment étudiant, s’est rendu au troisième étage, où il savait que se trouvait la banderole, et a utilisé des ciseaux pour la retirer et l’emporter avec lui : « Clip, clip, clip ».
Il fait alors un séjour en prison – le deuxième à Cleveland pour activités pro-israéliennes, précise-t-il tout en reprochant aux forces de l’ordre de ne pas lui avoir fourni de nourriture casher lorsqu’il était derrière les barreaux.
En dehors du campus, Popivker est actif dans d’autres domaines.
En 2022, il a organisé un GoFundMe pour soutenir la famille d’un de ses anciens camarades de classe, tué par un partisan de l’État islamique lors d’un attentat terroriste à Beer Sheva, en Israël.
Il a également postulé en janvier au conseil municipal de Cleveland Heights, avant de retirer sa candidature.
Popivker prêche la non-violence, mais son activité sur les réseaux sociaux évoque des idéologies plus radicales.
Sur Instagram, il a ainsi publié une photo du drapeau de la Ligue de défense juive, organisation juive extrémiste fondée par le rabbin terroriste Meir Kahane qui prône la violence contre les ennemis des Juifs, et une image assortie du logo d’Im Tirtzu, organisation israélienne de droite accusée d’avoir appelé à la violence contre les groupes israéliens de défense des droits de l’homme.
Popivker a déclaré à la JTA n’être membre d’aucune de ces deux organisations, mais « se sentir autorisé à publier ces images, lorsqu’il pense qu’elles correspondent à ce en quoi il croit ».
Pour l’heure, Popivker assure en avoir fini avec la « désobéissance civile » et ne plus se rendre chaque semaine sur le campus de l’Université Cleveland State.
« J’ai cinq garçons merveilleux et une femme aimante, et même si mon séjour dans la prison [du comté] de Cuyahoga a été riche d’enseignements à bien des égards, je ne veux pas y retourner chaque semaine », affirme-t-il.
Quelques jours après son arrestation et son interdiction de pénétrer sur le campus, Popivker a publié sur les réseaux sociaux une photo de lui, avec un drapeau israélien, mais cette fois devant un casino, à un kilomètre du campus.