« Une brève libération », une histoire d’amour impossible entre deux mondes
Outre la relation entre une fille d’aristocrates antisémites et un résistant juif bourgeois, le livre restitue ce que fut la vie mondaine parisienne sous l’occupation nazie
C’est une histoire française, qui se passe pour l’essentiel à Paris, pendant l’occupation allemande, puis dans le maquis du Vercors où les résistants se battent dans la neige et le froid, jusqu’au dernier.
L’histoire de ce livre, Une brève libération de Félicité Herzog, oppose deux France.
Celle des Cossé-Brissac, le côté maternel de l’auteure, dont la grand-mère May reçoit dans son hôtel particulier le Tout-Paris de l’occupation, le Tout-Vichy, de Paul Morand à Pierre Drieu La Rochelle, de Josée Laval (la fille de Pierre Laval) à Coco Chanel.
Sa fille, Marie Pierre de Cossé-Brissac, mère de l’auteure du livre, grandit là, désapprouve en silence, puis désobéit, voulant s’échapper de ce monde clos par l’intellect et le plaisir.
L’autre France, c’est celle plus lumineuse, jeune, bravache, idéaliste, de la résistance par les idées et par les armes. Un grand bourgeois juif parisien envoie son jeune fils en province. Celui-ci rejoint le maquis du Vercors. L’intellectuel rompu aux joutes de l’esprit apprend à tirer, se cache dans les grottes, combat en montagne. Il se nomme Simon Nora, rebaptisé « Kim » dans son réseau. À la fin de la guerre, seul survivant du massacre de la grotte aux fées, il revient auréolé de courage. L’aristocrate de haute lignée rencontre alors l’héritier des héritiers du judaïsme. Deux aristocraties au fond, mais que tout oppose.
Et c’est là que Marie Pierre de Cossé-Brissac tombe amoureuse de Simon Nora, amour qu’elle raconte longuement dans son journal intime. Celui-ci, « tombant en poussière, écrit sur du mauvais papier », a été confié à sa fille pour son livre. C’est de là que sont parties toutes ses recherches historiques.
« On avait essayé de me marier à plusieurs reprises auparavant, avec le prince Rainier, avec Jean d’Ormesson aussi, avec qui j’ai bu mon premier cocktail », expliquait en septembre dernier Marie Pierre de Cossé-Brissac, qui aura bientôt 97 ans, au magazine Elle. « Mais quand j’ai vu Simon, j’ai su. Un de nos amis communs nous a présentés. C’est une passion qui vous domine, face à laquelle on est démuni, comme emporté dans un torrent. On aspirait au même idéal de liberté. On ne pouvait plus se quitter. Parfois, Simon me disait d’aller au cinéma pour qu’il y ait une respiration. C’était de cet ordre-là entre nous. »
Mais la famille Cossé-Brissac, dont l’antisémitisme était très fort même après la guerre, s’opposera vivement à cette union, tentant tout pour l’empêcher. En raison de la nature de la famille Cossé-Brissac, la famille Nora y était elle aussi opposée.
Quand ils se sont mariés, les parents Cossé-Brissac ont convoqué leur fille chez le notaire pour la priver de tout, et lui restituer un cheval avec un bijou. « Une rupture totale. Pas un sou. Pas un signe d’affection », dit Félicité Herzog.
Outre leur histoire d’amour, Une brève libération restitue ainsi ce que fut la vie mondaine parisienne sous l’occupation nazie.
L’auteure et administratrice de sociétés Félicité Herzog explique avoir, avec ce livre, compris qu’il y avait, chez elle et sa mère, « une culpabilité latente d’appartenir à une famille où il y a eu autant de collaboration ». Selon elle, ce livre est « une manière de sortir de tout cela. C’est insupportable de se dire que ses grands-parents ont failli à leurs responsabilités et ont joué un rôle actif dans cette persécution. Ils avaient les moyens de dénoncer, d’agir, mais ils ne l’ont pas fait, au contraire. Et ma mère est la seule personne de sa famille qui a eu le courage de s’exprimer sur ce sujet ».
L’histoire d’amour entre Marie Pierre de Cossé-Brissac et Simon Nora s’est terminé quelques années plus tard par un divorce, et chacun se sont remarié – Marie Pierre avec le père de Félicité.
Après la guerre, Simon Nora a été haut fonctionnaire et homme d’affaires français. Il a notamment été conseiller politique et directeur de l’ENA, et président du conseil d’administration de la banque Lehman Brothers. Il est décédé en 2006.
Félicité Herzog avait déjà raconté l’histoire de son père, l’alpiniste et homme politique Maurice Herzog, ancien ministre du général de Gaulle, dans Un héros (2012).
Marie Pierre de Cossé-Brissac a elle publié ses mémoires en 2009, après plusieurs essais et romans.