Une chaîne de télévision de droite jugée discriminante envers les non orthodoxes
La Quatorzième chaine a été condamnée à payer une amende à des réformés et à des conservateurs auxquels elle avait dénié du temps d’antenne, en violation des termes de sa licence
Une chaine de télévision religieuse de droite a été condamnée, mardi, à verser des dommages et intérêts à des organisations juives réformées et conservatrices, par un tribunal qui a statué que la chaîne les avait systématiquement discriminés, en violation de sa licence de diffusion.
Le juge Elad Lang, du tribunal de première instance de Jérusalem, a déclaré recevable l’action en justice intentée en 2018 contre la Quatorzième chaine (alors dénommée Vingtième chaine) par le Mouvement israélien pour la réforme et le judaïsme progressiste – mouvement réformé – et le Mouvement Massorti en Israël.
Le jugement condamne la Quatorzième chaine à verser quelque 160 000 shekels aux deux organisations, frais de justice et d’avocat compris.
La chaine a manifesté son intention de faire appel de cette décision, qu’elle estime contraire à la liberté d’expression.
Créée en 2014 comme chaine dédiée aux traditions juives sous le nom de Vingtième chaine, elle a été condamnée à plusieurs amendes pour des émissions d’information en violation avec des termes de sa licence.
Cette licence a été étendue en 2018, en vertu d’une loi qui l’a sauvée de la fermeture et lui a permis – ainsi qu’à d’autres petites chaines – de diffuser librement des informations tant qu’au moins 51 % de son temps d’antenne était consacré à sa mission première.
En mars 2018, la chaîne a lancé une émission d’information diffusée le soir, alternative de droite aux trois bulletins d’information israéliens diffusés sur les Douzième et Treizième chaînes – commerciales – et sur le radiodiffuseur public Kan.
La chaine s’est rebaptisée en 2021 « Quatorzième chaine », avec une ligne éditoriale largement en phase avec les opinions et intérêts du Premier ministre Benjamin Netanyahu.
Dans le cadre du procès, les organisations juives progressistes ont fait valoir que la Quatorzième chaine leur avait systématiquement refusé le droit d’exprimer leurs opinions, en ne relayant pas leurs propos et en ne les invitant jamais en plateau. Elles ont, par ailleurs, versé au dossier la transcription d’une conversation téléphonique avec un rédacteur en chef de la chaine disant explicitement qu’elle était « liée au mouvement orthodoxe » et exprimant des doutes sur le fait que sa hiérarchie soit « prête à accepter le mouvement Massorti ».
Dans son jugement, rendu public mardi, le juge Lang a rappelé que la licence de diffusion de la chaine « l’obligeait à respecter le pluralisme et à représenter de manière équitable toutes les croyances, religieuses et laïques », y compris « les voix de groupes différents de la majorité orthodoxe » en Israël.
Lang n’a pas fait droit à l’argument de la chaine selon lequel ses décisions avaient été prises en fonction de considérations commerciales et financières, en phase avec un public majoritairement orthodoxe, fermé à des contenus « controversés ». Le juge a en effet rappelé que la licence de la chaîne l’obligeait expressément à consacrer du temps d’antenne aux « opinions opposées ou dissidentes ».
Il a ajouté que l’obligation faite à la chaîne d’ouvrir son antenne à des non orthodoxes résultait de son statut de chaine financée par des fonds publics pour diffuser des émissions sur la tradition juive en Israël comme à l’étranger, « alors qu’il était clair que tous ses téléspectateurs n’avaient pas nécessairement les mêmes opinions orthodoxes qu’elle ».
« Les plaignants ont prouvé que le défendeur avait agi de manière discriminatoire en ayant soin d’exclure de ses émissions toute personne en phase avec la vision du monde des demandeurs, malgré leurs nombreuses demandes en ce sens pendant la période pertinente au procès », a-t-il conclu.
Ce n’est pas la première fois que la chaine est reconnue discriminatoire envers les organisations juives réformées et conservatrices. En 2017, le Conseil de la radiodiffusion par câble et par satellite lui avait déjà infligé une amende de 100 000 shekels pour avoir refusé d’accueillir des représentants de ces confessions dans ses émissions.
L’appel interjeté devant le tribunal de district de Jérusalem a été rejeté.
La Quatorzième chaine a déclaré son intention de faire appel de cette récente décision, refusant toujours tout compromis l’amenant à « s’engager à donner une présentation positive et du temps d’antenne aux organisations réformistes de gauche ».
« C’est une atteinte choquante à la liberté d’expression », a déclaré la chaine dans un communiqué.
« Ce sont de sombres jours pour un pays démocratique, quand un tribunal utilise l’arme financière pour dicter aux journalistes comment, quand et avec quoi ils sont supposés couvrir [l’actualité]. »
Le député d’Avoda, Gilad Kariv, rabbin réformé, a déclaré que la décision du tribunal « était un message clair en faveur de l’égalité, du pluralisme et de la tolérance religieuse », ajoutant que « les débats et désaccords faisaient partie intégrante de la tradition juive, a contrario des discriminations et de la marginalisation, indésirables au sein d’un État juif démocratique ».