Une édition annotée de Mein Kampf publiée en Pologne, en « hommage aux victimes »
Le livre constitue "une source historique dans un contexte plus large" et "ne devrait pas être exploité par les forces extrémistes", estime le professeur Eugeniusz Krol
Une édition annotée de « Mein Kampf » va paraître cette semaine en Pologne, pour la première fois dans ce pays, et l’historien qui l’a préparée rétorque aux critiques qu’il s’agit d' »un hommage aux victimes ».
Le manifeste d’Adolf Hitler, publié en 1925, est entré dans le domaine public en 2016 mais n’a guère été réédité depuis. Pour le moment, seule l’Allemagne en a publié une version annotée, en 2016, qui compte 2 000 pages et s’est vendue à plus de 100 000 exemplaires.
L’édition critique polonaise, qui sera donc la deuxième au monde, compte mille page, dont la moitié constituées de notes.
« Selon les critiques, la publication de ce livre constitue une offense à la mémoire des victimes du national-socialisme. A mon avis, c’est le contraire », estime le professeur Eugeniusz Krol, historien et politologue, spécialiste de l’époque nazie qui a préparé cette édition pendant près de trois ans.
C’est « un hommage aux victimes du système criminel et un avertissement pour les générations à venir », assure-t-il.
Des versions pirates, abrégées, traduites le plus souvent de l’anglais et dépourvues d’appareil critique existent sur le marché polonais et « font du mauvais boulot », explique-t-il à l’AFP.
Le livre qui doit être publié mercredi constitue, lui, « une source historique dans un contexte plus large » et « ne devrait pas être exploité par les forces extrémistes », estime-t-il.
Tout en déclarant « comprendre » une édition à des fins scientifiques, le directeur du musée d’Auschwitz-Birkenau, Piotr Cywinski, met toutefois en garde dans le quotidien Rzeczypospolita contre toute campagne promotionnelle « qui pourrait entrer en conflit » avec la législation interdisant la promotion du fascisme, punie de jusqu’à deux ans de prison.
Le directeur de la maison d’édition polonaise Bellona qui édite l’ouvrage, Zbigniew Czerwinski, veut dissiper ces craintes.
3 000 exemplaires
Le premier tirage est de 3 000 exemplaires et aucune campagne de publicité n’est prévue. Le livre coûte environ 150 zlotys (33 EUR), un prix très élevé en Pologne.
« Nous ne tenons pas à ce que cette publication soit accessible de façon large et nous réfléchissons à ce qu’avec une partie des bénéfices, s’il y en a, nous soutenions la Fondation ou le musée d’Auschwitz », souligne le responsable de cette maison spécialisée dans les ouvrages historiques. Le livre est avant tout « un avertissement pour signifier qu’il est facile de démanteler la démocratie et conduire à un régime totalitaire presque de manière invisible ».
Ecrit par le dictateur nazi, en 1924 et 1925 alors qu’il croupissait en prison après un putsch manqué, ce texte fondateur du nazisme et du projet d’extermination des Juifs a été édité sous son régime sanguinaire à
11,5 millions d’exemplaires.
En Pologne, où six millions de citoyens dont trois millions d’origine juive ont été assassinés pendant la Deuxième guerre mondiale par les nazis, la publication annotée de l’ouvrage était « importante et nécessaire », estime M. Czerwinski.
Quelques éditions pirates y ont été publiées au début des années 2000. Celle de 2005 a été saisie à la demande du gouvernement de Bavière qui en détenait les droits avant qu’ils ne tombent dans le domaine public fin 2015.
Pour M. Czerwinski, « ce qui s’est passé après 1933 en Allemagne peut arriver aujourd’hui, demain, après demain dans plusieurs endroits du monde. Des signaux sont facilement perceptibles ».
Selon M. Krol, le pamphlet hitlérien constituait un « acte d’accusation des élites de l’époque » lesquelles ont sous-estimé Hitler.
Pour le grand rabbin de Pologne, Michael Schudrich, la question de savoir s’il faut ou non éditer Mein Kampf « se posait vraiment il y a vingt ans », dit-il à l’AFP, « alors qu’on peut trouver tout cela sur internet aujourd’hui ».
« Une édition critique bien faite peut en fait aider à comprendre de manière beaucoup plus complète et plus profonde les dangers du nazisme, du mensonge, du totalitarisme », estime-t-il, « à mon avis, cela peut être une chose positive ».
Selon lui, « il est important que les scientifiques puissent lire ce qu’Hitler a écrit dans ‘Mein Kampf’ parce que les mots comptent. Et ce qu’Hitler a dit avant d’arriver au pouvoir, c’est exactement ce qu’il a fait plus tard ».