La réédition de “Mein Kampf” est “une claque aux visages des survivants de l’Holocauste”
Alors que les universitaires marquent la première réédition en Allemagne depuis 1944, des dirigeants de la communauté juive ne sont pas convaincus par l’idée d’enseigner le manifeste d’Hitler “comme vaccin contre l’extrémisme”
En tant que dernière résidence officielle d’Hitler, l’état allemand de Bavière détient les droits d’auteur du livre du dictateur génocidaire « Mein Kampf » sous clés depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Forcé de prendre le rôle de gardien réticent d’un tabou et bien que la plupart des historiens le voient comme une source importante sur la période nazie, pendant 70 ans l’État a interdit la publication du monstrueux manifeste autobiographique d’idéologie antisémite d’Hitler.
Les droits d’auteur ont expiré le 31 décembre 2015.
En vente, dès le 8 janvier en Allemagne, la version republiée par l’institut d’histoire contemporaine (IHC) de Munich de « Mein Kampf » est une édition massivement annotée avec des commentaires sur presque toute la longueur des 800 pages du texte original.
Le travail sur la version annotée a pris trois ans et pour la communauté des chercheurs, ce nouveau volume en deux éditions est une opportunité de finalement remplir une lacune majeure.
Alors que les deux côtés du débat public controversé s’interrogent sur l’efficacité – et le besoin – de republier le long laïus d’Hitler, beaucoup ne réalisent pas que, aux côtés d’autres extraits de textes de propagande nazie, « Mein Kampf » est déjà inclus dans les livres d’histoire allemands.
Quand l’IHC a présenté le projet à une commission internationale de chercheurs, il a rassemblé l’approbation des historiens, y compris de Dan Michman, directeur de l’institut international de la recherche sur l’Holocauste à Yad Vashem, à Jérusalem.
Pour le prix couteux de 59 euros, la nouvelle édition a lancé des discussions houleuses sur les scènes allemandes et internationales.
Avant la publication du livre vendredi, le président du congrès juif mondial, Ronald S. Lauder, a publié un communiqué condamnant l’effort académique.
« Cela serait mieux de laisser ‘Mein Kampf’ à sa place : le placard à poisons de l’histoire… Ce projet peut avoir de bonnes intentions, mais le gouvernement bavarois avait raison de ne pas autoriser de republication jusqu’à l’expiration des droits d’auteur, ou de soutenir financièrement une nouvelle édition », a déclaré Lauder.
Directeur de l’IHC, Andreas Wirsching déclare cependant que la publication d’une édition académique promeut des recherches responsables et contre les versions non annotées que les Allemands peuvent facilement se procurer en ligne via des librairies internationales. La version annotée « contribue à la démystification urgente et nécessaire de ce texte crucial de la période nazi », déclare Wirsching.
En effet, la plupart des universitaires s’accordent pour dire qu’il est grand temps que « Mein Kampf » perde son aura mystique, et que la censure continue est contreproductive pour cet objectif.
« Ce qui ne peut pas être examiné ne peut pas être discuté – il est mystifié à la place », écrit Christoph Schwennicke, le rédacteur en chef du mensuel politique allemand Circo dans un récent article. Il appelle à un examen ouvert de son contenu, et se demande si la publication n’arrive pas trop tard.
« N’est-ce pas pertinent de connaitre le cheminement d’esprit qui a mené à la catastrophe allemande ? », écrit-il.
Même le dirigeant de la communauté juive d’Allemagne, Joseph Schuster, a été d’accord pour dire que le livre peut contribuer à une meilleure compréhension de la période nazie et de l’Holocauste, et est favorable à une édition annotée.
Mais maintenant qu’il peut théoriquement être publié librement, Shuster a mis en garde avec insistance contre la circulation non contrôlée d’éditions non annotées de « Mein Kampf ». Il a appelé les institutions de l’état allemand à faire tout ce qu’elles pouvaient pour empêcher sa vente et sa distribution.
L’appel public contre les éditions non annotées ne va pas assez loin pour Charlotte Knobloch, directrice de la communauté juive de Munich et déléguée pour la mémoire de l’Holocauste au congrès juif mondial.
Dans une conversation récente, Knobloch a déclaré au Times of Israel que la vente de « Mein Kampf » en Allemagne sous toutes ses formes est une claque au visage des associations de survivants de l’Holocauste dans le monde, qui, dit-elle, ne peuvent pas comprendre que le livre soit à nouveau légalement disponible en Allemagne.
« Le fait est, simplement parler du livre éveille de l’intérêt pour lui – et cet intérêt, pour beaucoup, n’est pas dans les commentaires mais dans le texte original », déclare Knobloch, qui craint que les éditions annotées n’atteignent pas leur objectif.
Actuellement, il semble bien que l’édition annotée de « Mein Kampf » soit toujours probablement la seule à être en vente dans les librairies allemandes.
Les fonctionnaires de la justice allemande ont annoncé que quiconque publierait le livre sans commentaires adéquats serait poursuivi pour incitation à la haine raciale, selon la loi unique qui permet à la démocratie allemande de se défendre elle-même contre des forces anti-démocratiques.
Cependant, prenant une position forte sur la question de comment le livre devrait être utilisé dans les écoles, Knobloch s’est également violemment opposée à l’étude de « Mein Kampf » dans les salles de classe.
“Il y a généralement trop peu de temps en classe pour voir le national-socialisme, l’Holocauste et la Seconde Guerre mondiale de manière substantielle. Il n’y a aucun sens à passer le peu de temps qu’il y a à lire des discours de haine », dit-elle.
Le rabbin orthodoxe de Berlin Yehuda Teichtal fait écho à ces peurs, déclarant que le risque de l’introduire dans les écoles est plus grand que « le bénéfice douteux de l’étudier comme un vaccin contre l’extrémisme ».
Mais les représentants de l’éducation allemands ne sont pas d’accord et ceux qui soutiennent la discussion d’extraits de « Mein Kampf » dans les écoles incluent la ministre de l’Education allemande Johanna Wanka, du parti CDU de la chancelière Angela Merkel. A présent que c’est un sujet si important dans les médias, les étudiants auront des questions sur le livre. Il faut en parler dans les classes, a déclaré Wanka à un journal bavarien.
Président de longue date de l’association des enseignants allemands, Josef Kraus est d’accord, déclarant que plutôt que les étudiants achètent en secret le livre en ligne, il vaut mieux en faire un sujet de discussion en classes, où les professeurs d’histoire et de politique ont une chance de les influencer.
« Un traitement professionnel des extraits en classe peut être une contribution importante à la vaccination de jeunes gens contre l’extrémisme politique », affirme Kraus, ajoutant que son idéologie « dangereuse » ne serait adaptée que pour des lycéens âgées, à parti de 16 ou 17 ans.
Cependant, les critiques sur le système scolaire pointent que dans certains états allemands, les leçons d’histoire sont réduites à seulement une heure par semaine pour certaines classes. Avec des enseignants se précipitant pour exposer les notions de base aux étudiants, y a-t-il assez de temps de classe pour discuter correctement du texte ?
Et l’autre composant moins médiatisé du débat interne de l’Allemagne est que beaucoup pensent que « Mein Kampf » est simplement un mauvais livre. Il est à la fois trop ennuyeux et trop lourd pour être donné aux étudiants, disent-ils.
« Personne ne devrait se torturer lui-même avec le mal écrit ‘Mein Kampf’ », a déclaré au quotidien allemand Handelsblatt Volker Beck, politicien éminent du parti vert et directeur de l’important groupe parlementaire israélo-allemand.
Et peut-être y a-t-il de meilleurs textes pour parler de l’antisémitisme et de l’idéologie nazie. « Le livre est confus et encombrant, et donc difficile à utiliser en classe », a déclaré Ulrich Bongertmann, de l’association des professeurs d’histoire allemands. Il a cité la plate-forme du parti nazi de 1920 ou les textes de propagande des propres écoles nazies comme des alternatives plus adaptées.
De manière intéressante, les textes de la période nazie sont déjà utilisés dans d’autres matières scolaires, comme les études de la langue allemande ou les classes de rhétorique.
Puisque identifier les « stratégies rhétoriques qui sont utilisées pour influencer les lecteurs ou les auditeurs » fait partie du programme scolaire allemand pour les lycées, le discours de Joseph Goebbels au Sportpalace et d’autres diatribes nazies sont utilisées pour décrire les outils oratoires et étudier les différences entre information et propagande, et direction démagogique et charismatique.
L’utilisation des textes nazis, y compris « Mein Kampf » a déjà déclenché l’opposition des étudiants. Dans un éditorial récent, Noah Gottschalk, lycéen de 16 ans, a violemment critiqué l’idée d’utiliser « Mein Kampf » pendant les cours d’allemand.
Dans son article « Hitler au lieu de Schiller ? », il se prononce depuis une perspective littéraire et stylistique, où le manifeste de haine d’Hitler appartient à la poubelle et ne mérite pas d’être porté au même niveau que les grands noms de la littérature allemande.
Et en tant qu’auteur pour le quotidien allemand conservateur Frankfurter Allgemeine Zeitung, ce serait en fait un tournant ironique de l’histoire de faire de « Mein Kampf » un livre qui doit être lu dans les écoles. Cela lui donnerait un mérite qu’il n’a même pas reçu pendant la propre période d’Hitler. Bien que le livre a été largement lu dans les écoles pendant la période nazie, il n’a jamais fait partie du programme obligatoire.
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