Une initiative pour normaliser Yom HaShoah dans le secteur arabe israélien
Si le coronavirus a mis à mal les plans d'une vingtaine d'évènements, une association a opté pour des réunions virtuelles sur Zoom, avec le témoignage d'un ancien néo-nazi
Jacob Magid est le correspondant du Times of Israël aux États-Unis, basé à New York.
Yoseph Haddad a grandi dans la ville arabe israélienne de Nazareth et il n’avait pas pour habitude de s’arrêter pour observer la minute de silence quand la sirène retentit chaque année à Yom HaShoah.
« Ce n’était pas par dédain. C’était la coutume naturelle », explique-t-il.
Hadad n’a pris connaissance de l’existence de Yom HaShoah que lorsqu’il a intégré l’armée, et a rencontré pour la première fois un survivant à l’âge de 30 ans.
Aujourd’hui âgé de 35 ans, Haddad dirige depuis deux ans l’organisation « Together — Vouching for Each Other« , qui cherche à créer du lien entre les citoyens arabes et la société israélienne au sens large.
L’organisation s’est donnée comme mission, entre autres, de sensibiliser la population à Yom HaShoah, qui, selon Haddad, n’est pas souvent commémoré dans le secteur arabe.
« Les Arabes israéliens étudient la Shoah dans les écoles, mais plus dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale », a-t-il expliqué.
« Contrairement aux écoles juives, les élèves arabes ne vont pas au [musée de la Shoah de] Yad Vashem ni [dans les camps de concentration] en Pologne. »
Haddad observe néanmoins une amélioration au fil des ans et affirme qu’une majorité du secteur « respecte » cette journée, « même si de nombreuses personnes ne disposent pas de suffisamment d’informations » sur le sujet.
Mais selon Haddad, le vécu des citoyens arabes israéliens les place dans une position unique pour tirer les enseignements de Yom HaShoah.
« La Shoah a été causée par l’antisémitisme et la haine dirigées spécifiquement contre les Juifs, mais le racisme général a également joué un rôle, et c’est une chose à laquelle les Arabes israéliens peuvent s’identifier », a-t-il dit, en évitant soigneusement de dresser un parallèle entre les deux expériences.
« Précisément parce que nous subissons du racisme dans ce pays, nous devrions être les premiers à commémorer Yom HaShoah », a continué Haddad. « En tant qu’Arabes israéliens, nous devrions, non seulement être capables de respecter ce jour, mais aussi de lui donner une autre dimension. »
En coopération avec Zikaron BaSalon (en français, « commémoration dans le salon »), une initiative qui réunit les gens chez eux, sur leur lieu de travail et dans d’autres environnements plus intimes pour parler avec les survivants, « Together — Vouching for Each Other » a organisé son premier Yom HaShoah l’an dernier dans la ville de Kisra-Sumei, au nord d’Israël, en présence de 30 jeunes.
Le groupe avait prévu d’étendre ses activités à 20 événements cette années, et de réunir, dans chacun de ces événements, 15 à 20 personnes. Mais en raison de la pandémie de coronavirus, les organisateurs ont dû opter pour des réunions virtuelles sur l’application Zoom. L’une de ces réunions a eu lieu lundi soir, et deux autres sont prévues mardi. Elles réunissent, au total, une centaine de participants.
« Nous voulions rester en petit comité, parce que bien que les chiffres soient importants, nous voulions qu’il y ait de la discussion », a expliqué Haddad.
Le format de cette année est sensiblement différemment d’une réunion Zikaron BaSalon classique. L’an dernier, un survivant de la Shoah a parlé au groupe, mais cette année, il a été décidé de lire le témoignage d’un rescapé en arabe. « Il est important que nous ayons ces débats dans notre langue maternelle », a expliqué Haddad.
Après la lecture du témoignage, Yonatan Lutz Langer, s’est exprimé. Langer est un ancien néo-nazi berlinois converti au judaïsme et qui a immigré en Israël.
« J’ai choisi de lui donner la parole pour que les gens entendent comment l’ignorance a été à l’origine de beaucoup de choses », a déclaré Haddad.
Après le discours de Langer, les organisateurs ont ouvert la discussion aux 35 participants qui ont rejoint la vidéo-conférence.
« Nous sommes arrivés à la conclusion que cela ne fait aucune différence, que vous soyez Juif ou Arabe, de droite ou de gauche, religieux ou laïc, nous sommes tous humains, et devons travailler ensemble pour éradiquer la haine et le racisme », a déclaré Haddad après l’évènement.
La cheffe de projet du groupe, Lorena Khateeb, a déclaré que les jeunes participants « incarnent le symbole de responsabilité mutuelle qui reflète la solidarité, l’empathie et la compassion pour le peuple juif et pour l’humanité ».
« Nous avons décidé de ne pas être indifférents et de ramener la question de la Shoah au devant de la scène dans le secteur arabe, parce que sa commémoration est capitale pour l’Homme, [et pas seulement pour les Juifs] », a ajouté Khateeb.
Haddad a déclaré qu’il espère organiser une vingtaine d’événements l’an prochain en partenariat avec des municipalités arabes.
« Notre objectif est que ces événements ne soient plus considérés comme uniques dans le secteur arabe », a-t-il dit.
« C’est la Journée du Souvenir israélien. Ce n’est pas une commémoration exclusivement juive. »
Mansour Abbas, député de la Liste arabe unie, s’est adressé mardi au Parlement lors de la cérémonie de Yom HaShoah.
« J’offre une prière du Coran pour les âmes des six millions de personnes tuées pendant la Shoah », a-t-il dit. « En tant qu’Arabe palestinien et musulman religieux… j’ai de l’empathie pour la douleur et la souffrance des survivants de la Shoah et celle des familles des victimes au fil des ans. Je suis ici et j’exprime ma solidarité avec le peuple juif ici et dans le monde entier, le peuple désigné par les nazis comme cible de génocide et de massacre ».