Vanunu libre de discuter du nucléaire israélien en prime-time
L’homme reconnu coupable de trahison pour avoir divulgué des détails de l'arsenal nucléaire israélien a été autorisé à mettre en garde contre le « danger » posé par « la poudrière de Dimona »
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
Après des décennies de secret nucléaire, les censeurs militaires israéliens ont autorisé, de façon incroyable, l’espion nucléaire Mordechai Vanunu à donner une longue interview en prime-time à la télévision israélienne vendredi soir.
L’interview sur la Deuxième chaîne comprenait plusieurs révélations et anecdotes fascinantes, mais son aspect le plus spectaculaire était que Vanunu – auquel il était interdit de donner des interviews au terme de sa libération de 18 ans de prison pour trahison en 2004 – a été autorisé à parler librement, avec la pleine autorisation de l’establishment de la sécurité, de ce que son interlocuteur a qualifié de la divulgation de « l’un des plus grands secrets d’Israël ».
Technicien de 1976 à 1985 à la centrale nucléaire d’Israël de Dimona, Vanunu a révélé des preuves accablantes du programme nucléaire israélien au Sunday Times britannique en 1986, et publié des dizaines de photographies, permettant à des experts nucléaires de conclure qu’Israël avait produit au moins 100 ogives nucléaires.
À ce jour, Israël n’a jamais reconnu disposer d’un arsenal nucléaire, préférant maintenir une politique d’ « ambiguïté nucléaire » tout en jurant qu’il ne sera pas le premier à utiliser des armes nucléaires au Moyen-Orient.
Le moment de l’interview, vendredi, était particulièrement révélateur.
Israël venait de comprendre que ses efforts de lobbying n’ont probablement pas réussi à empêcher le Congrès d’approuver l’accord nucléaire des puissances mondiales avec l’Iran, qualifié par le Premier ministre Benjamin Netanyahu d’ « erreur historique ».
Netanyahu a maintes fois promis d’agir seul si nécessaire pour assurer que l’Iran ne se dote pas de l’armement nucléaire. Il y a deux semaines, la censure militaire a permis la diffusion à la télévision de conversations enregistrées sur bande, dans lesquelles l’ancien ministre de la Défense Ehud Barak révélait qu’à au moins trois reprises en 2010, 2011 et 2012, Israël était à deux doigts de frapper les installations nucléaires iraniennes.
Vanunu, aujourd’hui âgé de 60 ans, a été interviewé dans l’appartement d’un ami situé à Tel-Aviv. Il décrit un lent processus par lequel il a décidé, au cours de ses années de travail à Dimona, qu’il avait une obligation de révéler « aux citoyens israéliens, au Moyen-Orient et au monde » la nature de ce qu’il appelait « la poudrière » de Dimona : « les quantités, les nombres, les types ».
« Je voyais ce qu’ils produisaient et son importance », dit-il, qualifiant le programme nucléaire israélien d’ « échec » qu’il a « exposé », dans une critique manifeste de l’ensemble de la stratégie nucléaire israélienne.
Il raconte avoir apporté « un appareil photo ordinaire, un Pentax » dans l’établissement où il travaillait depuis neuf ans, peu après avoir appris qu’il allait être congédié, et avoir utilisé deux pellicules – soit l’équivalent d’environ 58 photos. Il n’a pas été suspecté parce qu’il était un habitué, et qu’il portait habituellement un sac à dos rempli de ses livres universitaires.
Il a ensuite gardé la pellicule pendant des mois, l’emportant à l’étranger, en Thaïlande, au Népal et en Australie avant de la développer à Sydney. « J’ai pris le risque que la pellicule soit abîmée, » dit-il.
Il nie avoir exposé le programme nucléaire pour se venger de la perte de son emploi, et avoir reçu de l’argent du Sunday Times ou autres pour ses révélations. Son avocat de longue date, Avigdor Feldman, travaille pour lui à titre bénévole, dit-il.
Vanunu décrit comment il a été attiré de Londres à Rome et arrêté – et s’être lié d’amitié avec l’agent « Cindy » (Cheryl Bentov), dans un guet-apens du Mossad. « Tout homme serait tombé » dans le stratagème, dit-il au journaliste Danny Kushmaro, « même vous ».
Il raconte qu’il est venu chercher Cindy, et non l’inverse, puis qu’ils ont traversé une rue à Londres. Il ne s’est jamais douté qu’elle était un agent jusqu’à ce qu’il se réveille trois jours plus tard, drogué sur un bateau en partance pour Israël. Elle avait suggéré qu’ils voyagent en Italie, où le Mossad a perquisitionné leur appartement et l’a maintenu enchaîné à un lit pendant sept jours. Même en Italie, il pensait que Cindy « était aussi une victime ».
A la question de savoir s’il était tombé amoureux d’elle, il dit : « Oui, non, je ne suis pas tombé amoureux d’elle. J’ai dit qu’une liaison pourrait s’être développée. »
Il dit que sa peine – 11 années sur 18 en prison dans un cachot – avait été radicalement injuste. Il a payé le prix, dit-il, de détruire la réputation du service de sécurité intérieure, le Shin Bet, en exposant le secret nucléaire. « Je m’en suis pris au Shin Bet, au Mossad, à l’armée, » dit-il.
Il ne dit pas qu’il n’était « pas un espion étranger », mais plutôt quelqu’un qui a agi comme il l’a fait « parce que je pensais que c’était le droit du peuple de savoir… Moi, Mordechai Vanunu, ai pris la responsabilité d’informer les citoyens du danger nucléaire… Dimona est très dangereux. »
Ce rôle a pris fin avec la publication du Sunday Times, dit-il. « J’en ai fini avec cette histoire. Je n’ai plus de secrets. »
Par conséquent, il a plaidé pour être autorisé à quitter Israël et à vivre à l’étranger avec sa nouvelle épouse norvégienne. (Il a épousé Pr Kristin Joachimsen à une cérémonie à l’église à Jérusalem en mai.) Il dit avoir voulu annuler sa citoyenneté. Il ne se sent plus Israélien et s’est converti au christianisme. Il s’interroge : « Pourquoi me gardent-ils encore ici ? »
Il dit qu’il serait prêt à s’engager à ne pas donner d’interviews s’il était autorisé à quitter Israël, mais il a semblé s’être rétracté. (Il a donné plusieurs interviews à la presse étrangère au fil des ans, en violation de ses conditions de libération.)
A plusieurs reprises, Israël lui a refusé l’autorisation de quitter le pays, en partie sous prétexte qu’il constituerait toujours une menace pour la sécurité.
Une nouvelle audience de la Haute Cour sur la question est prévue pour bientôt. (En 2007, Vanunu a été emprisonné pendant six mois supplémentaires pour violation de ses conditions de libération quand il a voyagé dans la ville de Bethléem en Cisjordanie, à bonne distance de sa maison de Jérusalem.)
Vanunu affirme avoir été puni plus sévèrement parce qu’il vient d’un milieu marocain pauvre. Mais il conclut simplement : « Ils devraient fermer l’affaire Vanunu ».