Visionnaire sur le 7 octobre, un ancien du Mossad reconverti peine à écrire l’avenir
Pour cet espion reconverti dans l'écriture de thrillers, les douze années passées dans les services de renseignement israéliens sont une source d'inspiration inépuisable
Il a anticipé un assaut du Hamas contre des kibboutzim israéliens et une attaque de missiles iraniens mais l’ancien agent du Mossad Mishka Ben-David n’en tire aucun orgueil. Plutôt de l’inquiétude sur la suite de l’histoire en train de s’écrire.
Pour cet espion reconverti dans l’écriture de thrillers, les douze années passées dans les services de renseignement israéliens sont une source d’inspiration inépuisable, avec le conflit israélo-palestinien comme fil rouge.
Depuis l’attaque sanglante du Hamas le 7 octobre en territoire israélien, l’un de ses best-sellers paru il y a 7 ans prend des allures prémonitoires : Le Requin décrit une escalade fatale qui commence par une attaque de terroristes du Hamas contre des kibboutzim et culmine avec une puissante riposte d’Israël contre l’Iran.
« Nous sommes à deux doigts », constate d’une voix posée l’ancien agent âgé de 72 ans en recevant l’AFP dans sa maison qui surplombe la campagne entourant Jérusalem et, loin à l’horizon, la bande de Gaza.
Téhéran a lancé ce week-end des centaines de missiles et de drones. Tout indique qu’Israël prépare une réaction à cette attaque inédite.
Failles
Sur la porte du pavillon de Mishka Ben-David, dans la petite localité de Ramat Raziel, un coin abîmé : « c’est la trace laissée par l’éclat d’une roquette tirée de Gaza qui a explosé tout près d’ici » explique-t-il. La roquette a touché son quartier pendant l’opération Opération Bordure protectrice de l’été 2014 ayant opposé Israël au groupe terroriste islamiste palestinien du Hamas au pouvoir dans la bande de Gaza.
Deux mois d’affrontement, une offensive terrestre d’Israël à Gaza et un constat : « Toutes ces guerres ne se sont terminées ni par une attaque décisive ni par un accord de paix et il était donc clair que l’affrontement reprendrait », dit Mishka Ben-David.
En 2017 sortait Le requin, avec ses premières pages dystopiques dans lesquelles des hommes armés du Hamas s’introduisent dans le kibboutz de Kfar Aza, l’un de ceux les plus touchés le 7 octobre, avec des dizaines de morts.
Un scénario que cet auteur prolifique d’une vingtaine d’ouvrages, dont plusieurs traduits à l’étranger, avait imaginé en effectuant des repérages dans ces localités du sud d’Israël, frontalières de Gaza. « Sur place, je me suis dit ‘quel serait le meilleur endroit pour attaquer si j’étais le Hamas’ (…) ces kibboutzim étaient protégés pour la vie quotidienne, pour une attaque en un seul lieu, pas pour une invasion globale ».
Qu’une armée ou des services de sécurité puissent faillir, Mishka Ben-David est bien placé pour le savoir.
En septembre 1997, il fut l’un des protagonistes d’une des plus rocambolesques opérations du Mossad : l’assassinat avorté de l’ancien chef du Hamas Khaled Meshaal qui résidait alors à Amman en Jordanie.
Poison
Une série de contretemps avaient fait dérailler le plan bien huilé et Mishka Ben-David s’est retrouvé dans le rôle improbable de devoir sauver sa cible.
Benjamin Netanyahu effectuait alors son premier mandat de Premier ministre. En juillet, un attentat suicide revendiqué par le Hamas au marché mahane yehuda de Jérusalem avait tué 16 personnes, en blessant plus de 160 autres.
« Nous avons proposé plusieurs moyens de tuer Meshaal. Placer une bombe dans sa voiture, le faire abattre par un sniper, lui tirer dessus directement mais Netanyahu a dit ‘je veux un moyen de le tuer silencieusement, sans traces' », raconte ce barbu débonnaire au milieu des fleurs de son jardin.
L’option du poison a finalement été retenue. Deux agents « ont réussi à pulvériser la substance », mais les imprévus se sont enchaînés, « et ils ont été attrapés », raconte Mishka Ben-David qui était alors chef du renseignement de l’unité opérationnelle du Mossad.
« J’avais l’antidote au poison avec moi au cas où l’un des agents serait touché par la substance » lors de l’opération.
C’est finalement Khaled Meshaal, gravement intoxiqué, qui en bénéficiera, la Jordanie négociant son sauvetage en échange de la libération des deux agents israéliens.
Le cours du conflit avec le Hamas aurait-il changé avec la mort de Meshaal ?
« Chaque chef du Hamas tué a un adjoint qui prendra sa place », relativise l’ancien espion alors qu’Israël traque dans la bande de Gaza l’un des cadres de la branche palestinienne des Frères musulmans, Yahya Sinwar, à l’origine de l’attaque du 7 octobre.
Mishka Ben-David, dont l’identité avait été exposée dans le fiasco d’Amman, a quitté le Mossad en 1999. Pour ce fils d’un couple rescapé de la Shoah, père de trois enfants, l’avenir de son pays s’écrit en pointillé « le peuple d’Israël a vécu plus de 3 000 ans, c’est formidable, mais aucun pays n’est éternel ».