Washington jugera la coalition israélienne sur ses politiques, pas ses personnalités
Le secrétaire d'État a déclaré à J Street qu'il ne suffisait pas de décourager les parties de ne pas prendre de mesures qui nuisent à la perspective de deux États
Jacob Magid est le correspondant du Times of Israël aux États-Unis, basé à New York.
Le secrétaire d’État américain Antony Blinken a déclaré dimanche que l’administration Biden jugera le nouveau gouvernement israélien sur la base des politiques qu’il mettra en œuvre et non sur la base des personnes qui occuperont des postes importants dans la prochaine coalition.
« Nous jugerons le gouvernement (israélien) à l’aune de ses politiques et non à celle de ses personnalités individuelles », a déclaré le secrétaire d’Etat lors d’une intervention auprès du groupe progressiste américain pro-Israël J Street, ajoutant que l’administration Biden travaillerait « sans relâche » pour préserver un « horizon d’espoir » en vue de la création d’un Etat palestinien.
« Nous nous en tiendrons aux… normes que nous avons établies dans nos relations au cours des dernières décennies. Et nous parlerons honnêtement et respectueusement avec nos amis israéliens, comme des partenaires doivent toujours le faire. »
Ces remarques interviennent alors que l’on s’attend à ce que les responsables de Biden ne s’entretiennent pas avec certains des membres les plus à droite du nouveau gouvernement israélien, tels que le président du parti HaTzionout HaDatit Bezalel Smotrich, qui devrait devenir ministre des Finances, et le président d’Otzma Yehudit Itamar Ben Gvir, qui devrait devenir ministre de la Sécurité nationale. L’ambassadeur américain en Israël, Tom Nides, a refusé de dire, lors d’une interview la semaine dernière, s’il allait rencontrer Ben Gvir.
Lors de son intervention dimanche, Antony Blinken a félicité Netanyahu, dont les relations avec les Etats-Unis ont parfois été orageuses, provoquant un sifflement audible d’une poignée de personnes parmi le millier de participants à la conférence.
Le bloc de droite et ses alliés ultra-orthodoxes et d’extrême droite est arrivé majoritaire aux législatives israéliennes du 1er novembre, avec 64 sièges sur 120, permettant à Benjamin Netanyahu d’entamer des négociations pour former un gouvernement.
En vertu des lois israéliennes, il a jusqu’au 11 décembre pour former un gouvernement mais peut aussi demander une extension de 14 jours.
Le chef de la diplomatie américaine a souligné dimanche que les Etats-Unis insisteraient sur le respect des « principes démocratiques fondamentaux, dont le respect des droits des personnes LBGT+ et l’administration équitable de la justice pour tous les citoyens d’Israël ».
Le chef de la diplomatie américaine a également prévenu dimanche que les Etats-Unis s’opposeraient à l’établissement de nouvelles implantations par le prochain gouvernement israélien en Cisjordanie, au moment où Benjamin Netanyahu s’apprête à retrouver le pouvoir grâce à une coalition avec l’extrême droite.
« Nous continuerons également à nous opposer sans équivoque à toute action qui mette la solution à deux Etats en danger, notamment l’extension des implantations, des mesures en vue de l’annexion de la Cisjordanie, le fait de perturber le statu quo historique des lieux saints, les démolitions et les expulsions, et l’incitation à la violence », a indiqué le secrétaire d’Etat.
Benjamin Netanyahu a promis au cours de la campagne d’être « le Premier ministre de tous », mais un accord de coalition, avec un dirigeant d’extrême-droite ouvertement homophobe, a provoqué fin novembre la colère de la communauté LGBT+ israélienne.
Interrogé à ce sujet dimanche lors d’un entretien sur la chaîne américaine NBC, M. Netanyahu a balayé les critiques, assurant: « Je n’accepterai rien de cela. (…) Au bout du compte, je déciderai des politiques » mises en place.
Alors que Blinken a été chaleureusement accueilli par la foule, les militants de J Street sont de plus en plus frustrés par l’administration Biden en raison de ce que beaucoup d’entre eux considèrent comme un refus d’exercer une pression substantielle et de réprimander Israël sur sa politique vis-à-vis des Palestiniens.
Le secrétaire d’État, par moments, a semblé reconnaître cette frustration.
« Nous savons qu’à l’heure actuelle, les perspectives d’une solution à deux États semblent éloignées – c’est peut-être un euphémisme », a déclaré Blinken au sujet de la raison d’être de J Street.
Il a réitéré l’opposition de l’administration aux mesures unilatérales prises par Israël et l’Autorité palestinienne. « Nous continuerons également à nous opposer sans équivoque à tous les actes qui sapent les perspectives d’une solution à deux États, y compris, mais sans s’y limiter, l’expansion des implantations, les démarches en vue de l’annexion de la Cisjordanie, la perturbation du statu quo historique des lieux saints, les démolitions et les expulsions, et l’incitation à la violence », a-t-il déclaré.
« Il ne suffit pas de décourager les parties de prendre des mesures qui compromettent les perspectives de deux États », a précisé Blinken sous des applaudissements nourris, « car la réalité est qu’aujourd’hui, les Palestiniens et les Israéliens ne jouissent pas des mêmes mesures de liberté, de sécurité ou d’opportunités. »
Plus de 475 000 Israéliens vivent actuellement dans des implantations en Cisjordanie, illégales au regard du droit international, soit environ quatre fois plus qu’à la signature, dans les années 1990, des accords d’Oslo qui n’ont pas débouché à une paix durable entre Israéliens et Palestiniens.
Engagé dans les négociations gouvernementales, Benjamin Netanyahu a signé jeudi un accord de coalition avec une des trois formations d’extrême droite, qui a ainsi obtenu un posté clé dans l’essor du mouvement des implantations en Cisjordanie.
En vertu de cet accord, le parti HaTzionout HaDatit obtient notamment le portefeuille – en rotation – des Finances, celui de l’Immigration, ainsi que des « fonctions » dans la branche du ministère de la Défense chargée des implantations israéliennes en Cisjordanie.
Le chef de cette formation, Bezalel Smotrich, a dit son intention de « développer les implantations », dans un communiqué conjoint avec M. Netanyahu.
Une grande partie du discours de Blinken a servi à passer en revue les politiques de l’administration Biden sur le conflit israélo-palestinien, qui, selon la plupart des analystes, n’est plus une priorité, alors que la marge de progression vers une résolution se réduit encore.
M. Blinken a salué l’aide américaine à la sécurité d’Israël, ce qui a suscité un deuxième sifflement de la part de la même poignée de participants progressistes.
Il a exprimé sa solidarité avec le peuple ukrainien, ainsi qu’avec ceux qui protestent contre le régime de Téhéran, tout en insistant sur le fait qu’une solution diplomatique au problème du nucléaire iranien reste l’option privilégiée. Le secrétaire d’État a réaffirmé que « toutes les options sont sur la table », alors que l’Iran continue de progresser vers une arme nucléaire et que son « délai d’éclatement » s’est « réduit à quelques semaines ».
En ce qui concerne la position diplomatique d’Israël, Blinken a rejeté le mouvement anti-israélien Boycott, Désinvestissement et Sanctions, ainsi que les efforts visant à isoler Israël à l’ONU.
Il a souligné que l’administration a négocié un accord maritime entre Israël et le Liban et un échange d’îles entre l’Égypte et l’Arabie saoudite qui a conduit Ryad à accepter d’ouvrir son espace aérien aux avions de ligne israéliens.
Blinken a également réaffirmé l’engagement de l’administration à étendre et à renforcer les accords d’Abraham, qui ont normalisé les relations entre Israël et plusieurs de ses voisins arabes.
Mais dans une déclaration qui a suscité des applaudissements nourris, Blinken a précisé que les accords ne sont « pas un substitut à la construction de la paix entre Israéliens et Palestiniens ».
Il a toutefois fait remarquer que les États-Unis et les États arabes ayant des liens avec Israël peuvent tirer parti des accords pour améliorer les conditions de vie des Palestiniens. Les Émirats arabes unis soulignent que leur accord a permis à Netanyahu de s’engager à ne pas annexer de grandes parties de la Cisjordanie, tandis que le Maroc a participé aux efforts visant à étendre les heures d’ouverture du passage d’Allenby entre la Cisjordanie et la Jordanie, où les piétons palestiniens souffrent de longues files d’attente et de divers frais.
Le président américain Joe Biden a également rétabli les liens diplomatiques avec l’AP et relancé l’aide accordée aux Palestiniens, qui se chiffre en centaines de millions de dollars, tout en s’opposant à la politique de Ramallah consistant à verser des allocations aux terroristes et à leurs familles, a indiqué Blinken. Il a également appelé l’AP à faire avancer les réformes anticorruption, les jugeant nécessaires à une paix durable.
Par ailleurs, Blinken a souligné les mesures que les États-Unis ont encouragé Israël à prendre, comme l’autorisation de milliers de permis de travail pour les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, la légalisation du statut de résident de milliers de Palestiniens en Cisjordanie et l’augmentation de 40 % de l’approvisionnement en eau de Gaza.
Le président de J Street, Jeremy Ben-Ami, a déclaré aux journalistes après la conférence qu’il appréciait les remarques du secrétaire d’État, mais que son groupe jugerait l’administration sur la manière dont elle agit pour faire avancer la solution à deux États.
Il a déclaré que le groupe s’attendait à ce que la politique américaine sur le conflit israélo-palestinien revienne au moins à ce qu’elle était avant 2017, ce qui signifierait revenir sur les politiques de l’ère Trump qui ont brouillé la distinction entre Israël et les implantations de Cisjordanie et rouvrir une mission diplomatique auprès des Palestiniens à Jérusalem et un bureau de l’OLP à Washington. Biden a fait campagne sur la réouverture de ces bureaux, mais n’est pas encore passé à l’acte, en raison de l’opposition de ceux qui se trouvent dans les deux capitales.
L’AFP a contribué à cet article.